Chic, les Chinois reviennent !

Pékin a toutes les raisons de jouer la carte africaine et ne s’en prive pas. La spectaculaire augmentation des échanges commerciaux en témoigne. La prochaine tournée du président Hu Jintao aussi.

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 6 minutes.

Maputo (Mozambique), juin 2003. Des ouvriers chinois terminent à la hâte le Centre de conférences qui s’apprête à accueillir le sommet de l’Union africaine. Aucun des chefs d’État présents ne s’en montre surpris. Et pour cause : la plupart ont déjà vu fleurir dans leurs capitales respectives, qui un « Stade de l’amitié », qui un Palais des congrès, qui une Cité de l’information… Tous construits par des entreprises chinoises.
Si elle ne date pas d’hier, la coopération sino-africaine s’est considérablement renforcée depuis quelques années. C’est ce qui explique que Hu Jintao, le nouveau président chinois, ait choisi, à l’issue de son séjour de quelques jours en France, de se rendre, du 29 janvier au 4 février, en visite officielle dans trois pays du continent : l’Égypte, l’Algérie et le Gabon. Trois pays dont la fidélité ne s’est jamais démentie depuis qu’ils ont reconnu la République populaire de Chine (RPC) – respectivement en 1956, 1958 (par le Gouvernement provisoire de la République algérienne) et 1974.
Avec Hosni Moubarak et Abdelaziz Bouteflika, Hu Jintao doit signer des accords de coopération économique et technologique. « Sur le plan diplomatique, le Maghreb est très important pour la Chine, commente le chercheur Roland Marchal. L’Égypte est incontournable au Moyen-Orient et, à tort ou à raison, les Chinois continuent de la considérer comme une grande puissance africaine. L’Algérie offre une voie d’accès privilégiée au sud du Sahara, notamment via le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), dont Bouteflika est l’une des chevilles ouvrières. »
Et ce n’est pas tout. Depuis toujours, la Chine est, avec la Russie (et naguère l’URSS), l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’Algérie. En 1983, un accord secret avait même été conclu entre les deux pays, en vue de la construction d’un réacteur nucléaire algérien. La Chine a ultérieurement reconnu avoir dépêché des techniciens sur place. Aujourd’hui, c’est le secteur de l’énergie qui intéresse Pékin au premier chef. Au mois de décembre dernier, la China National Petroleum Corp. (CNPC) et la Sonatrach, les deux compagnies pétrolières nationales, ont signé un accord autorisant les Chinois à prospecter le gaz et le pétrole algérien. Montant de l’investissement : plus de 31 millions de dollars.
Rien de tel avec le Gabon, dont les réserves de pétrole sont en voie d’épuisement. Même si le bois et le manganèse présentent un certain attrait, c’est avant tout la personnalité du président Omar Bongo Ondimba qui intéresse Hu Jintao. Et qui expliquerait le choix de l’escale de Libreville – la seule en Afrique subsaharienne. « Comme les Japonais, estime Marchal, les Chinois sont convaincus qu’ils ont besoin d’intermédiaires pour pénétrer en Afrique francophone. Or, à leurs yeux, Bongo Ondimba est le « patron ». Raison pour laquelle ils le courtisent assidûment : ce sont eux qui ont pris en charge la construction des nouveaux palais du Sénat et de l’Assemblée nationale, ainsi que de la future Cité de l’information. Premier chef de l’État chinois à se rendre en visite officielle au Gabon, Hu Jintao ne viendra pas les mains vides. À l’enveloppe de 3,11 milliards de F CFA (4,7 millions d’euros) déjà accordée, sous forme de prêts et de dons, lors de la visite à Pékin, au mois de novembre, de Jean Ping, le ministre d’État chargé des Affaires étrangères, s’en ajoutera une autre de 3,35 milliards de F CFA. Dont 669 millions de don.
« Pour la Chine, l’Afrique est un marché stable, insensible aux chocs conjoncturels de l’économie mondiale, explique encore Marchal. La part du continent dans le commerce extérieur chinois reste faible, mais elle connaît une progression assez spectaculaire. » De fait, les échanges bilatéraux ne représentent que 2 % du commerce extérieur de la Chine et 5 % de celui du continent. Mais ils ont augmenté de 700 % entre 1991 et 2002. Les flux ont atteint 12,39 milliards de dollars il y a deux ans et 15 milliards au cours des dix premiers mois de 2003, selon le rapport présenté à Addis-Abeba par Li Zhaoxing, le ministre chinois des Affaires étrangères, lors de la deuxième conférence ministérielle du Forum Chine-Afrique (15-16 décembre). À cette occasion, une douzaine de chefs d’État et de gouvernement, dont le Premier ministre chinois Wen Jiabao, et les ministres des Affaires étrangères et du Commerce de quarante-six pays africains ont fait le bilan de la nouvelle forme de coopération engagée en octobre 2000 à Pékin, lors de la création dudit Forum.
On revient de loin. Pendant les années 1980, les relations sino-africaines avaient été passablement atones. Par la suite, les pays africains, pour la plupart en banqueroute, ont été contraints de passer sous les fourches Caudines du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Et de jeter par-dessus les moulins leur « marxisme » d’hier. Pourtant, contrairement à la Chine, métamorphosée en deux décennies en championne de la croissance économique et du développement industriel, leur conversion à l’économie de marché n’a pas fait d’eux, il s’en faut, des « tigres » ou des « dragons ». La sollicitude de Pékin à leur égard est donc fort bienvenue.
À Addis-Abeba, lors du Forum, il a davantage été question de business que de politique. Les Africains ont apprécié que Pékin ait respecté son engagement d’alléger la dette bilatérale de trente et un pays parmi les moins avancés (montant global de la remise : 1,27 milliard de dollars) et d’encourager les investisseurs chinois à s’intéresser au continent. En trois ans, des accords de protection des investissements ont été signés avec trente-quatre pays africains. Et 245 accords de coopération économique ont été conclus. Pékin consacre aujourd’hui à l’Afrique 44 % de son aide extérieure. Un Fonds de développement des ressources humaines a par ailleurs été créé. Dans ce cadre, sept mille Africains ont suivi des stages de formation en Chine.
Le Premier ministre Wen Jiabao n’a pas manqué de rappeler que la coopération chinoise ne concerne que les pouvoirs en place et n’est assortie d’aucune condition politique (démocratisation ou « bonne gouvernance »). Sauf, bien sûr, la reconnaissance d’une « Chine unique ». Ce qui revient à occulter l’île « rebelle » de Taiwan (voir encadré). Nombre de dirigeants africains ont toutes les raisons d’apprécier cette mansuétude.
Région troublée s’il en est, l’Afrique centrale a largement bénéficié, l’an passé, de la générosité de l’« ami » chinois. Au mois d’avril, au lendemain du coup d’État du général Bozizé (15 mars), la Chine a octroyé à la Centrafrique 1,5 milliard de F CFA (2,25 millions d’euros). Ce qui a permis de payer aux fonctionnaires un mois d’arriéré de salaire – héritage de l’ancien régime – et de verser ceux du mois écoulé. En novembre, elle a de nouveau mis la main à la poche et octroyé à Bangui une nouvelle aide de 1,09 milliard de F CFA (1,5 million d’euros). Depuis 1962, les Centrafricains ont pourtant changé d’avis à cinq reprises sur la « question chinoise », soutenant alternativement la Chine populaire et Taiwan. En outre, Bangui sera bientôt doté d’un nouveau stade de football de vingt mille places et de logements sociaux construits par les Chinois. Apparemment, la « diplomatie du béton » a encore de beaux jours devant elle.
Si l’Afrique intéresse « l’usine du monde », comme on surnomme parfois la Chine, c’est évidemment en tant que débouché pour ses exportations de produits manufacturés bon marché. Mais aussi en tant que fournisseur de matières premières. Avec une croissance de plus de 8,5 % en 2003, les besoins de l’économie chinoise en ce domaine sont énormes. Outre l’Afrique du Sud (20 % du commerce entre la Chine et le continent), l’Angola et le Soudan sont ainsi des partenaires essentiels. Les importations chinoises en provenance de chacun de ces deux pays dépassent chaque année le milliard de dollars. Elles concernent avant tout les produits pétroliers. Depuis 1995, la CNPC est présente à Khartoum et accompagne le régime soudanais dans sa nouvelle aventure pétrolière.

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