Ahmed Ouyahia: « Bouteflika, le FLN, la Kabylie, l’armée, les grèves et moi »
Neuf mois après son retour à la tête du gouvernement, le Premier ministre donne son point de vue sur la présidentielle et les autres grandes questions de l’heure.
Si vous lui demandez de se définir, cet énarque de 52 ans, originaire de la Grande Kabylie, vous répondra : « Oulid ed-Dawla », « un enfant de l’État ». D’autres traduiraient par « enfant du système ». Sa carrière politique ? Il la doit à un brillant cursus universitaire, à d’énormes capacités d’assimilation et d’adaptation aux situations les plus inédites, et enfin à des rencontres déterminantes au cours d’un parcours sans faute. Ahmed Ouyahia, Premier ministre algérien depuis le 5 mai 2003, avait déjà occupé le fauteuil de chef de gouvernement de décembre 1995 au 5 juin 1997, avant d’être reconduit dans cette fonction après les législatives de juin 1997, et ce jusqu’à décembre 1998. C’est lui qui veillera à l’application du plan d’ajustement structurel. Tenu de prendre des mesures draconiennes, il voit sa popularité en prendre un coup. Mais il applique son programme sans état d’âme. Sa vie professionnelle débute dans la diplomatie, et par un succès : la médiation dans le conflit de l’Azawad qui opposait le gouvernement malien aux irrédentistes touaregs. Plus tard, il dirigera, en 2000, la mission de bons offices dans la crise érythro-éthiopienne.
Ouyahia est entré en politique comme on arrive sur un champ de bataille. En 1999, il prend la tête du Rassemblement national démocratique (RND), une formation qui entend fédérer les nationalistes déçus du Front de libération nationale (FLN), lequel avait, à l’époque, opté pour un combat qu’Ouyahia jugeait d’arrière-garde : la réhabilitation du Front islamique du salut (FIS), premier responsable de la guerre civile algérienne.
Ouyahia et son parti ont soutenu la candidature d’Abdelaziz Bouteflika en 1999, et continuent à la soutenir pour la présidentielle d’avril 2004. Successeur d’Ali Benflis au Palais du gouvernement, Ahmed Ouyahia a retrouvé en mai 2003 son fauteuil dans des conditions qui n’avaient rien à voir avec celles qui avaient présidé à sa première expérience de chef du gouvernement : aisance financière, violence terroriste nettement contenue. Mais quinze jours après sa nomination, un terrible séisme frappe la région d’Alger. À cette catastrophe s’ajoutent les dossiers pendants : la crise en Kabylie, une multitude de conflits sociaux et un scrutin déterminant à organiser. Le tout dans une ambiance de précampagne électorale des plus détestable. Dernier fait en date, une dizaine de personnalités politiques se sont réunies autour d’un mot d’ordre : la transparence de l’élection présidentielle nécessite le départ du gouvernement d’Ahmed Ouyahia, trop impliqué dans la candidature du président sortant. Lui n’en a cure. Il gère les affaires publiques, tentant d’aplanir les conflits sociaux et de régler la crise en Kabylie. Kabyle lui-même, il réussit à prendre langue avec les représentants de la protesta et relance le processus de dialogue, prémices d’une solution rapide et définitive à un problème que traîne le pays depuis son indépendance : la place des minorités ethniques dans l’espace Algérie.
La crise des lycées a montré un Ouyahia déterminé et ferme. À la limite de la rigidité. Même si ce trait de caractère frappe tous ceux qui le croisent, Ouyahia s’en défend et explique que la conjoncture impose d’éviter les « coquetteries ». Nous vous proposons les réponses à des questions de l’heure de l’un des hommes les plus énigmatiques de l’échiquier algérien, à la veille d’une échéance électorale qui accapare, depuis longtemps déjà, l’essentiel de la vie politique de ce pays.
Jeune Afrique/L’intelligent : Une dizaine de personnalités politiques font du départ de votre gouvernement une condition sine qua non pour que le scrutin présidentiel soit considéré comme transparent. Comment vivez-vous cette situation ?
Ahmed Ouyahia : Je reconnais à chacun le droit d’exprimer son point de vue. Mais si, à chaque élection, le doute devient la base du discours politique et si les institutions élues font l’objet d’accusations de partialité, la situation devient kafkaïenne. La présidentielle de 1999 a été l’occasion d’une revendication de révision de la loi électorale. Le gouvernement a pris ses responsabilités, et nul reproche n’a entaché la tenue du scrutin législatif suivi par les municipales en 2002. Ces élections ont été organisées par un gouvernement dirigé par un chef de parti, et nul n’a trouvé à redire. Plus près de nous, un parti politique [les islamistes du Mouvement de la réforme nationale, MRN-Islah d’Abdallah Djaballah, NDLR] a demandé, en décembre 2003, une révision de la loi électorale. Le législateur avait donc toute latitude pour créer les meilleures conditions de transparence. À aucun moment le gouvernement n’a eu une attitude négative durant le débat parlementaire et tous les projets d’amendement ont été adoptés par les deux Chambres. Les personnalités que vous évoquez avaient la possibilité de participer à ce débat d’une manière ou d’une autre.
J.A.I. : L’hostilité d’une partie de la classe politique ne vous déstabilise donc pas ?
A.O. : Pourquoi cela devrait-il me déstabiliser Pourquoi cela devrait-il me déstabiliser ? Je suis revenu aux affaires à la demande du chef de l’État, à un moment difficile. La situation s’est encore compliquée après le séisme du 21 mai à Alger et à Boumerdès. Cette mission, je l’ai acceptée en homme de devoir, et le plan de charge de mon gouvernement a été soumis à l’appréciation du Parlement. Nos objectifs étaient clairs : coordonner l’action de l’exécutif durant l’intermède qui nous séparait de la présidentielle et organiser le scrutin à venir avec le souci d’y consacrer le moins de temps possible.
J.A.I. : Outre une catastrophe naturelle, vous avez dû affronter les troubles en Kabylie et la multiplication des conflits sociaux, dont celui de l’enseignement secondaire, qui a failli provoquer une année blanche. Quel bilan dressez-vous de vos neuf mois au Palais du gouvernement ?
A.O. : Le discours ambiant m’oblige à faire un constat préalable. Il se dit un peu partout que le chef du gouvernement ne peut travailler en Algérie [Ali Benflis a accusé Bouteflika de ne pas lui avoir laissé les coudées franches, NDLR]. Je peux témoigner que ces propos sont dénués de tout fondement. Le nombre de dossiers traités durant cette période est là pour le prouver. Nous avons eu à faire face à un séisme. Si notre engagement de reloger tous les sinistrés avant l’hiver a été tenu, il serait déloyal d’en attribuer le mérite aux seuls gouvernants. Toutes les forces de ce pays ont retroussé leurs manches. Cela dit, nous revendiquons une petite part de cette performance.
Quant aux conflits sociaux, ils ne nous inquiètent pas outre mesure. La contestation syndicale est somme toute normale dans un pays qui sort d’une longue période de violences politiques. La paix revenue, il est légitime que les travailleurs se soucient de leurs conditions socio-économiques. S’agissant du conflit avec les professeurs du secondaire, je vous rappelle que le mouvement avait commencé bien avant mon retour aux affaires et que j’ai assuré la continuité de l’État…
J.A.I. : La longue durée de ce conflit a néanmoins dévoilé une certaine rigidité de votre gouvernement. On s’est étonné de votre refus d’accorder l’agrément à un syndicat qui a montré sa forte capacité de mobilisation…
A.O. : Permettez-moi d’essayer de corriger votre perception de la gestion des conflits sociaux. Nous sommes dans un pays qui a vécu une décennie d’instabilité et d’insécurité, qui sort d’un plan d’ajustement structurel. Il est tout à fait normal que les revendications socio-économiques refassent leur apparition, surtout dans une période d’aisance financière, du moins apparente. Nous faisons face à cette vague de revendications salariales du mieux que nous pouvons. Vous avez évoqué la crise des lycées : il faut savoir que les syndicats réclamaient 100 % d’augmentation salariale et un départ à la retraite après vingt-cinq années de cotisations. L’attitude électoraliste aurait consisté à satisfaire ces revendications. Mais ce n’est pas aussi simple. Le corps enseignant fait partie de la fonction publique. Pourquoi singulariser une corporation parmi d’autres ? Pour ce qui est de la représentation syndicale, l’Algérie a consacré le pluralisme, mais l’agrément d’une centrale est soumis à des formes et procédures qui n’ont pas été respectées. Et l’État de droit ne serait pas consolidé si le gouvernement ne veillait pas à l’application stricte de la loi.
J.A.I. : Vous n’avez aucun regret à propos de cette crise ?
A.O. : J’aurais souhaité que le grève ne dure que trois jours, mais le règlement de ce confllit a nécessité neuf semaines. Je déplore le retard accumulé, mais je n’ai aucun regret particulier.
J.A.I. : Le fait que vous soyez revenu aux affaires en pleine année électorale n’a-t-il pas constitué un handicap de plus ?
A.O. : Ce que vous dites n’est pas injustifié, mais ce phénomène est lié à une hésitation culturelle que la collectivité nationale est tenue de transcender. Le suffrage universel est sollicité trois fois par quinquennat. Si chaque consultation électorale coûte six mois de paralysie économique, cela revient à dire que dix-huit mois sur les soixante que compte un mandat présidentiel sont sacrifiés. Nous n’avons pas honte de dire que nous sommes un pays en développement, voire sous-développé dans certains secteurs. Le facteur temps est encore plus déterminant que les ressources financières. Et si, au motif des compétitions politiques, qui nécessitent, certes, des débats et des campagnes, nous devions à chaque fois lever le pied, voire freiner, ce serait une catastrophe. Pour notre part, nous nous sommes attachés à ne pas tomber dans le piège. La machine Algérie, c’est-à-dire son administration et ses entreprises, continue de tourner.
J.A.I. : Quelles sont vos relations avec le président Abdelaziz Bouteflika ?
A.O. : Je m’honore de sa confiance. Nos relations sont marquées par le respect et l’écoute mutuels. Mon rôle est de gérer les affaires publiques et de préparer les dossiers appelés à être soumis à l’arbitrage du président de la République. Je témoigne, une nouvelle fois, que la collaboration se déroule dans une parfaite symbiose et dans une dynamique intéressante. Je suis mieux placé que d’autres pour tenir ces propos dans la mesure où j’ai occupé ces fonctions à deux reprises par le passé.
J.A.I. : Quels sont les changements que vous avez perçus en retrouvant le Palais du gouvernement ?
A.O. : L’Algérie revient de loin, mais elle n’a jamais cessé d’avancer. On peut longuement disserter sur le rythme du développement économique, mais ce ne serait pas raisonnable d’occulter un élément d’analyse déterminant : on donnait, à l’époque, peu de chance de survie à la République. Nous avons tenu le cap grâce à la détermination de la population, aidée par les forces de sécurité. Et le plus souvent dans l’indifférence de la communauté internationale, voire, s’agissant de certains épisodes dramatiques, dans l’entretien de l’amalgame et de la suspicion sur la véracité d’actes criminels et l’identité de leurs commanditaires. Les réformes économiques ont été entamées dans une Algérie soumise à un plan d’ajustement structurel, qui a été mené à son terme. Qui ne souhaiterait pas que cela aille plus vite ? Mais reconnaissons à ce pays le mérite de ne pas avoir reculé.
J.A.I. : Dans quel état l’avez-vous trouvé lorsque vous êtes revenu aux affaires ?
A.O. : Je ne les ai jamais quittées. J’ai trouvé des dossiers en souffrance pour des raisons parfois logiques et d’autres beaucoup moins. En revanche, je témoigne qu’aucun dossier n’a été retardé, comme on le prétend ici ou là, à l’instigation d’un individu, fût-il le président de la République.
J.A.I. : Comment qualifieriez-vous vos relations avec votre prédécesseur, Ali Benflis ?
A.O. : Elles tiennent en deux mots Elles tiennent en deux mots : respect et considération. Si un chef de gouvernement n’a pas de relations avec un ancien chef de gouvernement, c’est que quelque chose ne tourne pas rond. Cela dit, il est tout à fait normal qu’il y ait des divergences sur la perception de certaines questions politiques.
J.A.I. : La coalition gouvernementale a connu quelques déboires. Notamment après la crise en Kabylie ayant entraîné le retrait des ministres du RCD, et le conflit au sein du FLN, qui a provoqué des remous dans votre équipe. Comment expliquez-vous la fragilité des alliances entre les partis ayant choisi le programme du président Bouteflika ?
A.O. : Les nuances au sein d’une coalition politique ne sont pas scandaleuses. Ce que je retiens est que le contrat de loyauté a toujours été respecté par les composantes de la coalition. La décision du RCD de se retirer du gouvernement est souveraine, et nous la respectons. Le noyau dur de la coalition est composé du courant nationaliste incarné par le FLN et le RND, d’un parti islamiste inscrivant son action dans un cadre républicain [le Mouvement de la société pour la paix, MSP, ex-Hamas] et, enfin, de personnalités indépendantes sollicitées pour leurs compétences dans des secteurs donnés. Cette coalition est toujours en place et, malgré les vicissitudes de la vie partisane et les querelles de personnes, le train Algérie avance.
Le multipartisme est une réalité concrète dans ce pays. Les élections locales de 2002, qui ont été une réussite, non pas en termes de participation [un Algérien sur deux s’est abstenu, NDLR] mais en termes de transparence, ont provoqué un émiettement de la représentation nationale. Seules 200 communes sur les 16 000 que compte l’Algérie sont administrées par une formation majoritaire. C’est dire que la gestion locale est complètement ouverte aux alliances circonstancielles et aux menaces de blocage. C’est une situation difficile, mais elle a permis au citoyen d’apprendre à accepter l’autre. En dehors des partisans de la violence, aucun parti politique ne subit l’ostracisme ou l’exclusion. Mais il faudrait trouver une solution à cet émiettement par la création de pôles politiques sur la base de programmes communs, par exemple.
J.A.I. : L’actuelle précampagne électorale est plus une affaire d’hommes et de querelles personnelles que l’occasion d’un réel débat. Avec le risque d’une forte abstention, mais aussi celui de voir les islamistes en tirer bénéfice. Quelqu’un comme Djaballah se tient soigneusement à l’écart des polémiques. Il en profite pour soigner son image et policer son discours. Il est déjà en campagne pendant que d’autres règlent leurs comptes…
A.O. : Vous avez mis le doigt sur un problème important : la précampagne à laquelle nous assistons se focalise sur des questions de personnes. Mais votre hebdomadaire est là pour témoigner qu’il ne s’agit pas d’une spécificité algérienne. Cela arrive fréquemment dans les pays en développement, mais aussi dans des démocraties beaucoup plus anciennes et plus rodées. Il faudra cependant arriver devant les électeurs avec des programmes et des idées. Car je ne pense pas que les Algériens se désintéressent de la vie politique. Seulement, l’actuel capharnaüm n’est pas fait pour capter leur intérêt. Le souci des citoyens, c’est l’amélioration de leur quotidien. Qu’on leur propose un projet, et ils se décideront.
Quant au risque d’une déconvenue du pôle républicain et démocratique, c’est effectivement une possibilité. Si nous continuons à produire ce triste spectacle et si nous ne parvenons pas à convaincre les électeurs, nous récolterons ce que nous aurons semé !
J.A.I. : La question de la levée de l’état d’urgence instauré en janvier 1992 fait l’objet d’un débat.
A.O. : Ce débat existe et il est légitime. Mais il ne faut pas en exagérer la portée. D’une part, est-ce que l’état d’urgence a empêché la vie politique de suivre son cours Ce débat existe et il est légitime. Mais il ne faut pas en exagérer la portée. D’une part, est-ce que l’état d’urgence a empêché la vie politique de suivre son cours ? Non. D’autre part, est-il nécessaire de le lever ? Il est aisé de défendre cette idée quand on est à Alger, dans le confort de la capitale. Je vous invite à faire la route vers le Sud sur 200 kilomètres. Vous verrez tous les moyens déployés pour assurer la sécurité de nos concitoyens. Cela ne signifie pas que le terrorisme nous déstabilise, mais il est aisé pour une demi-douzaine de criminels de se cacher dans un virage et de mitrailler un autobus ou de mettre en place ce qu’on appelle chez nous un faux barrage. L’état d’urgence est une nécessité imposée par la lutte antiterroriste. Cela n’a jamais été une camisole.
J.A.I. : On a longtemps présenté le FLN et le RND comme des faux jumeaux. Vous défendez peu ou prou les mêmes valeurs. La crise de l’ex-parti unique, d’un point de vue électoral, doit arranger le secrétaire général du RND que vous êtes…
A.O. : Très franchement, ce n’est pas une situation qui nous fait plaisir. Nous souhaitons oeuvrer pour l’instauration d’un débat d’idées. Cependant, je pense qu’il faut respecter les principes qui régissent notre système. Ne pas remettre en question le fonctionnement de la justice ou la transparence des élections, comme certains membres du FLN le font aujourd’hui. Je rappelle qu’Ali Benflis était Premier ministre lors des législatives de 2002, qui ont vu sa formation l’emporter. Je ne l’ai pas entendu à l’époque se plaindre… De notre côté, nous n’avons pas crié au loup et condamné le fait qu’il organise ces élections alors qu’il était secrétaire général du FLN. Nous avons également intenté des actions en justice, des recours devant la Cour constitutionnelle. Nous n’avons pas obtenu gain de cause et avons accepté les décisions prises. Il faut respecter les règles du jeu.
J.A.I. : L’impartialité de la justice dans cette affaire a pourtant été remise en question. On a parlé de manipulation…
A.O. : Les affaires du FLN sont celles de ses militants, pas les miennes. Ensuite, la justice est un pouvoir indépendant. Que ce type de litige lui soit soumis plutôt que d’être réglé dans la rue constitue à mes yeux une avancée. Si on se présente devant le juge, il faut accepter ses décisions. La Chambre administrative d’Alger a tranché, conformément à la loi. Un recours devant le Conseil d’État a été exercé. Je ne vois pas pourquoi il faudrait considérer que le juge a été manipulé sous prétexte que sa décision ne convient pas à tel ou tel. Nous sommes un État avec des institutions. Si ces dernières ne vous plaisent pas, ce que je peux concevoir, il faut oeuvrer à les changer de manière démocratique. Je ne pense pas que l’on rende service à notre démocratie en balançant, à tort ou à raison, des articles incendiaires sur la manipulation de la justice.
J.A.I. : La classe politique algérienne a longtemps exigé que l’armée se retire du débat politique. Aujourd’hui, elle revient en arrière et exige son arbitrage dans la course à la présidentielle. Le chef d’état-major, le général Mohamed Lamari, s’est exprimé récemment. Comment analysez-vous ses déclarations ?
A.O. : L’Armée nationale populaire [ANP] est une armée républicaine, qui a eu à faire face à la faillite des politiques au cours de la décennie noire. Elle n’est pas ce que l’on veut montrer d’elle : un groupe de décideurs qui tirent les ficelles dans l’ombre. Elle a fait plus que son travail et a payé un lourd tribut. Mais, il y a déjà un an et demi de cela, elle a clairement fait savoir qu’elle se plaçait hors du jeu politique et que l’élection présidentielle ne la concernait pas. Certains lui ont alors dit : « Vous ne pouvez pas être neutre ! » Le chef d’état-major, au cours d’une cérémonie officielle, a été interrogé, le 14 janvier, par des journalistes. Il a réaffirmé cette neutralité tout en précisant que, si d’aventure l’ordre républicain était menacé, l’armée aurait à intervenir. Ce qui est logique. La lecture qu’en ont fait certains acteurs politiques [qui y voient un refus de soutenir Bouteflika donc une opposition à la réélection du président, NDLR] n’engage qu’eux… L’ANP a été échaudée par l’expérience de 1999. Elle s’y est donc prise très en avance pour expliquer qu’elle ne parrainera pas le prochain président de la République et demander que chacun se présente à cette compétition et y concoure normalement. L’incohérence de notre classe politique n’est qu’une erreur de jeunesse.
J.A.I. : La crise kabyle est en voie de règlement. C’est indéniablement un succès à votre actif. Le fait que vous vous soyez exprimé en tamazight à l’Assemblée nationale et à la télévision ou que vous soyez kabyle vous a-t-il aidé ?
A.O. : Je ne veux pas me réfugier dans une fausse modestie, mais si nous avons pu renouer les fils du dialogue, c’est aussi le fruit d’une lente « sédimentation », d’un travail entrepris avant moi, d’expériences tentées même si elles n’ont pas abouti. Je préciserai que j’ai parlé en tamazight plusieurs fois, mais n’en ai aucun mérite : le tamazight est désormais consacré langue nationale par la Constitution. Mais je n’ai pas fait cela par démagogie. Il y a eu une cassure entre le gouvernement et le mouvement de contestation, une perte de confiance. J’espère qu’elle est aujourd’hui retrouvée. Si le fait que je sois kabyle et que je m’exprime en tamazight a pu aider, je ne peux que m’en féliciter. Le dialogue se poursuit et j’espère que nous irons au bout.
J.A.I. : Vous avez la réputation d’être un homme intègre, travailleur. Bref, vous avez le profil du parfait commis de l’État. Ce n’est pas forcément un gage de popularité, mais avez-vous des ambitions nationales, pour la présidentielle de 2009 par exemple ?
A.O. : Pour moi, la notion de commis de l’État est d’une grande noblesse. J’ai derrière moi presque une trentaine d’années au service de l’État. Rédiger un document en tant que jeune cadre de l’administration ou occuper le poste de Premier ministre a la même valeur à mes yeux. J’ai eu l’honneur de servir mon pays et j’ai dirigé le gouvernement pendant une des périodes les plus difficiles de l’histoire de l’Algérie. J’ai évidemment parfois ressenti de la lassitude, une sorte de découragement. Mais cela m’a également appris l’humilité. Que sommes-nous, bien assis dans nos bureaux, par rapport à ceux qui, chaque matin, apportent leur contribution à la vie du pays, à l’usine, à l’école, dans les hôpitaux ? En 1994, dans la wilaya de Sidi Bel-Abbès, seize enseignantes se rendaient chaque jour dans les villages les plus reculés pour faire leur métier. Elles ont été lâchement égorgées par des terroristes. Le lendemain matin, une nouvelle équipe a repris le flambeau et poursuivi leur mission, parcourant les mêmes villages pour que les écoles continuent de tourner. À l’époque, j’étais directeur de cabinet de la présidence et je servais ma patrie. Mais, à côté de ces gens, je ne suis rien. J’ai effectivement des ambitions, mais pour mon pays.
J.A.I. : Si le président Bouteflika est réélu et qu’il vous demande de poursuivre votre mission à la tête du gouvernement, accepterez-vous ?
A.O. : Pour l’instant, je m’attache à accomplir celle-ci, dans la difficulté et le vacarme. Ensuite, on verra ce que Dieu décidera…
J.A.I. : Depuis que vous êtes à la tête du gouvernement, on ne vous a pas vu à l’étranger. Pourquoi ?
A.O. : Mon plan de travail m’en a empêché. Il fallait, et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres, tenir chaque semaine une réunion de l’équipe gouvernementale pour la gestion du tremblement de terre. Il y avait des priorités en Algérie.
J.A.I. : L’Union du Maghreb arabe est plus que jamais enlisée. L’Algérie en exerçait la présidence depuis 1994 et vient de la transmettre à la Libye. Quel est votre sentiment ?
A.O. : Cette situation est affligeante. Nous n’avons pourtant pas ménagé nos efforts pendant ces dix ans. Mais ce constat d’échec ne m’incite pas pour autant au pessimisme. Cette union est inéluctable. La pression exercée par nos peuples est trop ancienne et trop forte pour qu’elle n’aboutisse pas un jour. Je ne suis pas en train de plaider le Maghreb des peuples contre le Maghreb des États. Nos États ont des intérêts réels à mettre en oeuvre cette union. Mais il sera écrit que les Maghrébins auront perdu un temps considérable.
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