Abolition d’un archaïsme français

Publié le 26 janvier 2004 Lecture : 3 minutes.

Jugeant qu’on « a le droit de dire ce qu’on veut d’un chef d’État étranger, quel qu’il soit, sauf à répondre de la diffamation », les sénateurs français ont voté à l’unanimité, dans la nuit du 20 au 21 janvier, l’abrogation de la loi sur le délit d’offense aux chefs d’État (Premiers ministres et chefs de la diplomatie) étrangers.

Ils sont presque tous africains, les présidents qui ont eu recours à l’article 36 de la loi du 29 juillet 1881 pour attaquer en justice des journalistes ou des écrivains français un peu trop hardis. Disposition archaïque témoignant d’un souci de faciliter les relations internationales de la France, le délit d’offense à chef d’État étranger est inexistant en Europe (sauf en Belgique, au Luxembourg et aux Pays-Bas). Le 25 juin 2002, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait d’ailleurs condamné la France pour violation de la Convention européenne des droits de l’homme dans l’affaire « Colombani et autres versus France ». Les faits remontent à 1995 : le quotidien Le Monde avait cité un rapport sur la drogue au Maroc mettant en cause l’entourage du roi Hassan II. Hervé de Charette, alors ministre français des Affaires étrangères, porte plainte contre le directeur du Monde à la demande du souverain marocain. En 1997, Jean-Marie Colombani et son journaliste sont condamnés à verser une amende de 5 000 francs et 10 000 francs de dommages et intérêts. En critiquant vivement la notion « d’offense à chef d’État étranger », la CEDH a considéré que la France « tendait à conférer aux chefs d’État un statut exorbitant du droit commun qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d’aujourd’hui ». D’autant que pour un délit d’offense, l’accusé n’est pas autorisé à présenter les preuves du bien-fondé de ses affirmations, comme cela est le cas dans un procès en diffamation.

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« La suppression de cet article s’inscrit dans un mouvement positif de désacralisation générale, explique Philippe Bilger, avocat général à la cour d’appel de Paris. On est en train de faire perdre au droit de la presse ce qu’il avait d’exceptionnellement protecteur de certaines institutions et personnalités. » Après tout, n’importe quel individu peut intenter un procès à un journaliste pour « diffamation », et le gagner.
Les poursuites pour « offense » sont d’ailleurs beaucoup plus rares. « Beaucoup de chefs d’État répugnent à se servir de cette arme juridique », souligne Philippe Bilger. Réticence compréhensible quand on constate que les procès sont souvent beaucoup plus retentissants que « l’offense » initiale, fût-elle fondée. À l’image de ceux intentés en 2000 par Omar Bongo, Idriss Déby et Denis Sassou Nguesso à François-Xavier Verschave pour son ouvrage Noir Silence (perdu en première instance et en appel en 2002). Ou encore comme celui intenté en 1973 par Jean-Bedel Bokassa à Jeune Afrique, à qui le maréchal-président centrafricain réclamait 1 million de francs français (procès perdu par le plaignant en 1975). D’autres, en revanche, ont obtenu gain de cause : en 1996, Edem Kodjo, Premier ministre togolais, accusé de frayer avec la secte du Mandarom, gagne contre LÉvénement du jeudi. En 1998, Hu Sen, Premier ministre cambodgien, l’emporte contre Le Figaro. Reste que dans ces deux cas, le verdict aurait probablement été le même dans un simple cas de « diffamation » puisque les plaignants avaient subi des attaques personnelles.
L’abrogation de l’article 36 devra être avalisée par les députés dans les semaines à venir. Il ne restera plus à la France qu’à supprimer « l’outrage au président de la République », qui n’aura plus de raison d’être et n’a d’ailleurs plus été utilisé depuis l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, en 1974.

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