À quoi joue Kadhafi ?

Condamnation à mort confirmée pour les personnels soignants étrangers accusés d’avoir inoculé le virus du sida à 426 enfants. Entre la colère des familles et les pressions occidentales, la marge de manoeuvre du « Guide » est étroite.

Publié le 2 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

Le verdict est tombé. Le 19 décembre, les six ex-salariés du service de pédiatrie de l’hôpital de Benghazi accusés d’avoir volontairement inoculé le virus du sida à 426 enfants libyens ont été condamnés à la peine capitale. Mahmoud Rhouma Houissa, le président de la cour criminelle de Tripoli, a débité la sentence d’une voix monocorde, comme s’il était pressé d’en finir.

Les six accusés, cinq infirmières bulgares (Christiana Valcheva, Nassia Nenova, Valentina Siropoulo, Valia Cherveniashka et Snejana Dimitrova) et un médecin palestinien (Achraf el-Hadjoudj), ont accueilli la condamnation avec calme. « Ce verdict ne change rien, a murmuré ce dernier. Nous sommes innocents. » Devant le tribunal, les familles des victimes n’ont, en revanche, pas caché leur satisfaction et ont demandé que les condamnés soient fusillés sur-le-champ.

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Depuis l’incarcération des six accusés, en 1999, dans la prison de Jadida, à Tripoli, c’est la seconde fois que la justice libyenne prononce la peine capitale à leur encontre. En mai 2004, Mouammar Kadhafi avait cassé la première condamnation et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Deux ans et demi plus tard, la Haute Cour de justice a donc confirmé, après sept mois d’audiences, le premier jugement. Mais rien n’est perdu pour autant.

Sous la pression internationale, les autorités libyennes ont rappelé que la loi autorise les avocats de la défense à interjeter appel dans un délai de deux mois. Ce que ces derniers devraient faire rapidement. D’autant que tout porte à croire qu’entre les deux procès les juges ont lâché un peu de lest. Le 6 mai 2004, la cour criminelle de Benghazi avait condamné les six prévenus pour avoir « délibérément » inoculé le virus aux enfants dont ils avaient la charge. Or, à y regarder de plus près, le verdict du 19 décembre ne comporte plus aucune mention explicite d’une quelconque « conspiration ». Ni d’une infection « délibérée ». Si les accusés sont « sanctionnés », c’est « pour le crime qui leur est imputé : avoir provoqué une épidémie qui a propagé des virus dangereux et la mort de plus d’une personne ». On peut difficilement être plus confus. « Ce langage alambiqué semble être le résultat de tractations extrajudiciaires », commente un juriste.

Autre hypothèse : les juges auraient, dans les attendus du jugement, usé d’un langage imprécis afin de se démarquer des thèses tranchées de l’accusation. Le dossier, en effet, est vide. Toutes les enquêtes réalisées par des scientifiques étrangers prouvent que la contamination a été la conséquence d’une série de négligences de l’hôpital de Benghazi. Et qu’elle a commencé avant l’arrivée des praticiens étrangers. En outre, les juges ont rejeté plusieurs charges figurant dans le dossier d’instruction. Par exemple, que le médecin palestinien aurait eu des rapports sexuels avec plusieurs des infirmières. Ou que les accusés se seraient rendus coupables de distillation, recel et consommation illicites de vin. Ou encore qu’ils auraient utilisé illégalement des devises. En revanche, les magistrats ne se sont pas contentés de prononcer la peine de mort contre les accusés. Ils les ont également condamnés à verser à chaque famille de victimes des indemnités et compensations d’un montant compris entre 250 000 et 900 000 dollars, somme qu’ils sont naturellement bien incapables de payer, mais qui pourrait servir de base à de futures tractations avec la communauté internationale.

Tout cela devrait donc faciliter la tâche de la défense, voire aboutir à l’ouverture de nouvelles procédures, laissant ainsi un peu de temps aux diplomates pour intervenir. Dans un premier temps, ils vont s’efforcer de convaincre Kadhafi d’user de son pouvoir pour que la condamnation ne soit pas confirmée en appel. Puis, à défaut, d’obtenir leur grâce.

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Le « Guide » de la Jamahiriya se trouve placé devant un vrai dilemme. S’il fait la sourde oreille aux demandes d’acquittement, sa politique de rapprochement avec l’Occident subira de sérieux dommages. D’un autre côté, il ne peut pas ne pas prendre en compte la peine des familles des victimes, particulièrement remontées. Sur les 426 enfants contaminés, une cinquantaine sont décédés, les autres continuent de se battre contre la mort. Tous sont originaires de la région de Benghazi, traditionnellement frondeuse, où l’affaire a déjà provoqué de sanglants débordements. Par prudence, le second procès a d’ailleurs été déplacé de Benghazi à Tripoli. Si Kadhafi se montre intransigeant, il s’aliénera la communauté internationale. S’il fait preuve de clémence, il aura maille à partir avec les habitants de la seconde ville du pays. Pour lui, c’est l’heure de vérité.

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