Pourquoi ils aiment l’Afrique

Bien qu’il avance en ordre dispersé – avec vingt pays producteurs -, le continent a réussi à s’imposer comme premier fournisseur des États-Unis et, bientôt, de la Chine.

Publié le 2 janvier 2007 Lecture : 7 minutes.

L’Afrique, nouvel eldorado pétrolier Maintes fois répétée depuis quelques années, jamais démentie mais jamais prouvée, l’hypothèse est-elle devenue réalité ? Les pétroliers africains ont-ils tiré parti de la modification des rapports de force internationaux sur un marché confronté à l’émergence de la Chine et au repli stratégique des pays du Golfe ? À dire vrai, pas réellement : la théorie ne résiste pas à l’examen des chiffres. Sur huit barils produits dans le monde, trois proviennent du Moyen-Orient et un seul d’Afrique. Le continent, dans son ensemble, abrite 2,3 fois moins de réserves que la seule Arabie saoudite Mais il apparaît que c’est en étant à la marge que l’Afrique a gagné son poids grandissant. C’est en effet ici – à la marge – que se joue désormais la bataille énergétique internationale. Que prennent corps les tensions nées de l’augmentation vertigineuse de la demande mondiale : elle devrait encore augmenter de moitié d’ici à 2030.
Cette analyse, les experts et diplomates du gouvernement américain la répètent à l’envi. « Nous avons appris du passé que ce sont les barils marginaux qui constituent le facteur décisif dans la détermination des conditions permettant de stabiliser le marché pétrolier. L’Afrique est importante pour nous parce qu’elle est une source importante de barils marginaux », expliquait déjà en 2003 John R. Brodman, sous-secrétaire adjoint pour la politique énergétique au ministère américain de l’Énergie. Le temps n’a pas altéré cette approche, et les évolutions récentes sont venues la confirmer. L’Afrique est stratégique. Du nord au sud, de l’Algérie à l’Angola, elle fournit un peu plus de 20 % des besoins du premier consommateur mondial, les États-Unis. En 2000, l’Afrique subsaharienne – Nigeria, Angola, Tchad, Guinée équatoriale, Gabon, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Cameroun et RD Congo – livrait déjà 15 % du pétrole brut acheté à l’étranger par les Américains. Six ans plus tard, la proportion atteint 18 %. Soit autant que le Canada ou le Mexique et davantage que l’Arabie saoudite ou le Venezuela, grands fournisseurs traditionnels des États-Unis (voir infographie ci-dessous). L’Algérie s’est en outre imposée en quelques années comme l’un de leurs principaux partenaires africains. Alors qu’en 2000 le pays ne leur livrait que 200 000 barils sur toute l’année, il en aura fourni autant par jour en 2006. Dans le même temps, la Guinée équatoriale a multiplié par dix ses exportations pétrolières en volume vers les États-Unis. Résultat : l’Afrique a délivré au cours des huit premiers mois de 2006 davantage de pétrole aux États-Unis que l’ensemble des pays du golfe Persique. Trois des dix plus importants fournisseurs américains sont africains.
L’autre grande révolution tient à la formidable et extrêmement rapide irruption de la Chine sur l’échiquier pétrolier international et, plus particulièrement, africain. Le continent fournit désormais plus d’un tiers des importations pétrolières chinoises. Selon la Banque mondiale, elles se sont élevées en 2005 à 13,2 milliards de dollars contre 3,6 milliards cinq ans plus tôt, et elles augmentent chaque année de 30 %. L’Angola représente la moitié des achats, suivi par le Soudan (19 %), le Congo (16 %), la Guinée équatoriale (10 %), le Nigeria (4 %) et le reste de l’Afrique (1 %). « La Chine est très engagée dans l’exploitation des ressources pétrolières africaines », souligne Elisabeth Economy, directrice des études asiatiques au Conseil des relations étrangères, un think-tank américain. La montée en puissance chinoise inquiète les Américains, obsédés par la sécurisation des flux pétroliers. D’autant plus que Pékin déploie une stratégie qui commence à heurter de front leurs intérêts. C’est par exemple le cas au Nigeria, où le géant public China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a acquis cette année 45 % du puits offshore d’Akpo pour 2,3 milliards de dollars. La présence chinoise s’amplifie également en Angola, qui exporte désormais autant de pétrole vers la Chine que vers les États-Unis. Ce pays de 16 millions d’habitants, à peine sorti de longues années de guerre civile, n’a guère tardé pour figurer parmi les tout premiers fournisseurs d’or noir d’un empire du Milieu pris de boulimie. Depuis le début de l’année 2006, il en est d’ailleurs le premier fournisseur d’or noir, devant l’Arabie saoudite La CNOOC, qui, en 2005, a été empêchée de reprendre la major américaine Unocal, a fait de l’Afrique l’un de ses terrains de jeux préférés. « Si vous ne pouvez le faire quelque part, alors vous pouvez toujours le faire ailleurs, expliquait il y a quelques mois Fu Chengyu, président du conseil d’administration. Nous regardons les débouchés en Afrique dans son ensemble. »
La stratégie pétrolière chinoise en Afrique, si elle risque de perturber à terme les intérêts économiques des États-Unis, dérange aussi parce qu’elle prend à revers les orientations politiques du bloc occidental. C’est le cas, pour l’essentiel, au Soudan, pays mis au ban de la communauté internationale, mais où la Chine produit et achète l’essentiel du pétrole. Ses entreprises se sont installées dès 1997 dans ce pays, alors sous embargo américain. Elles ont financé la construction d’un pipeline de plus de 1 000 kilomètres pour 15 milliards de dollars. L’une de ces sociétés, la China National Petroleum, est aujourd’hui le principal exploitant de l’or noir de Khartoum, et Pékin reste le seul protecteur d’un Soudan marginalisé au sein des Nations unies, en raison des massacres perpétrés dans la région du Darfour. Avec la Chine, la donne est claire – pas de condition politique au partenariat – et la méthode affirmée : financement et prêts contre pétrole. C’est ce qu’a fait Pékin, notamment, en accordant 2 milliards de dollars de crédit à l’Angola en 2005. Le résultat est frappant : si les exportations africaines vers le territoire chinois ont été multipliées par trois en trois ans, elles sont constituées aux deux tiers (62 %) d’or noir et de gaz.
Toujours à la marge de l’économie mondiale, l’Afrique posséderait-elle avec le pétrole la seule place qui lui est accordée au cur des échanges internationaux ? Selon les statistiques publiées par le groupe italien ENI, le continent a extrait 12,3 % de la production mondiale en 2005, soit 9,8 millions de barils pompés chaque jour, dont 5,3 millions au sud du Sahara. Le continent dans son ensemble se positionne ainsi à la hauteur de l’Arabie saoudite, de la Russie, les deux premiers producteurs mondiaux, et devant les États-Unis. Entre 2003 et 2005, la part de l’Afrique est passée de 10,6 % à 12,1 %, sa production ayant augmenté de 1,2 million de barils/jour. En matière de réserves, le continent abritait fin 2005 environ 9,7 % des réserves mondiales prouvées de pétrole, contre 7 % dix ans auparavant. Mais deux pays accaparent 65 % de ces réserves : la Libye et le Nigeria.
Pour juger de ces chiffres, il faut les mettre en relation avec ceux, plus généraux, de l’insertion des économies africaines dans le monde. Des données trop connues : en matière d’exportations mondiales, la part de l’Afrique, qui abrite plus de 10 % de la population mondiale et 30 % des pauvres, est tombée de 3,5 % en 1970 à moins de 2 % aujourd’hui. Une marginalisation qui s’est accélérée au cours des trente dernières années, alors que le continent manquait le virage de l’industrialisation et de la modernisation de son agriculture. Le pétrole peut-il être le remède au malaise africain ? La demande internationale directe, qu’elle émane de Chine ou des États-Unis, alimente clairement la croissance des pays pétroliers africains. Tout comme elle le fait indirectement, en tirant le prix du baril vers des sommets. À Londres, le cours du baril de brent est passé de 9,70 dollars en décembre 1998 à 78,50 dollars en août 2006, largement en raison de l’explosion de la demande chinoise, avant de redescendre autour de 60 dollars début décembre 2006. Les caisses publiques des pays pétroliers africains en ont bénéficié et en bénéficient encore.
Encore faut-il que ces gains soient équitablement partagés et profitent aux populations C’est encore loin d’être le cas dans la plupart des pays pétroliers africains. Mais des initiatives existent, dont l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives – l’EITI, proposée lors du Sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg en septembre 2002 et lancée officiellement en juin 2003. Elle vise à accroître la transparence des transactions entre les gouvernements et les compagnies opérant dans les industries extractives, et notamment pétrolières. Sur les 22 pays qui y ont adhéré au niveau international, 14 sont africains. Parmi eux, l’Angola, le Nigeria, le Tchad, le Gabon, le Congo-Brazzaville, la Guinée équatoriale ou la Mauritanie. De tous, seul le Nigeria, qui a lancé une vaste campagne anticorruption, s’est réellement engagé en faveur de la transparence. Des audits ont été menés et les chiffres sont disponibles sur le site du bureau spécialement créé pour la mise en uvre de l’EITI (www.neiti.org). Le Cameroun ou le Gabon (www.finances.gouv.ga/eiti2.htm) ont également fait des progrès. Le Congo-Brazzaville, aussi, notamment sous la pression des bailleurs de fonds (www.mefb-cg.org/eiti.htm). Même si c’est encore peu, ces mouvements témoignent que la transparence fait doucement son chemin dans l’Afrique pétrolière, après des années de dérive. Nombre d’observateurs occidentaux estiment que l’émergence de la Chine pourrait remettre en question cette tendance.
N’en déplaise à ces partenaires historiques, notamment les Européens, la montée en puissance de Pékin n’a rien d’une mauvaise nouvelle. C’est en tout cas l’avis exprimé par les équipes économiques de la banque d’affaires américaine Morgan Stanley. « Pour sécuriser l’offre de matériaux de base, la Chine pénètre profondément en Afrique. Cela bénéficie aux deux économies, souligne Andy Xie, de Morgan Stanley. La Chine achète des matières premières à des prix élevés et vend des biens de consommation à des prix bas. C’est exactement l’opposé de la relation que l’Afrique a avec l’Occident. En plus, les entreprises chinoises construisent des infrastructures en Afrique à des prix bas. Cette amélioration énorme des termes de l’échange pour l’Afrique a conduit à un boom économique pour la région. » Quoi qu’il en soit, à ce jour, l’équation « pétrole = développement » reste à être démontrée.

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