Le Togo, mon père et moi

Vingt mois après son élection à la tête de l’État, le fils du général Eyadéma a enfin trouvé ses marques. Avec modestie et discrétion, c’est à une vraie rupture de régime que cet homme de 40 ans procède chaque jour.

Publié le 2 janvier 2007 Lecture : 20 minutes.

La seule habitude que Faure Essozimna Gnassingbé a conservée de l’héritage de son père, le général Eyadéma, est sans doute de se lever aux aurores. Le jeune président togolais est au bureau dès 6 heures du matin, y demeure jusqu’à 14 heures, fait une pause, puis reprend ses audiences en fin d’après-midi pour les clore à la nuit tombée. Pour le reste, tout a changé. Le cur du pouvoir s’est déplacé de la résidence excentrée de Lomé 2 pour revenir au Palais présidentiel du bord de mer, en plein centre de la capitale. Les groupes d’animation et les cohortes de thuriféraires qui patientaient des journées entières sous le soleil avant d’être reçus – et gratifiés – par Gnassingbé Eyadéma ont disparu. Désormais, les visiteurs attendent sagement leur tour dans un couloir étroit, et les rendez-vous s’enchaînent sans palabres inutiles. Le bureau présidentiel est équipé d’ordinateurs, et le titulaire des lieux a sans cesse à portée de main une petite horloge qui ponctue la fin de l’audience. Adieu champagne, brochettes, bière fraîche et
liqueur de racine. Au baobab de Pya a succédé un homme de 40 ans aux allures techno de patron d’entreprise qui n’a guère le temps de partager ne serait-ce qu’un café avec ses hôtes et qui dirige ses plus proches collaborateurs – au premier rang desquels son frère Kpatcha, ministre de la Défense, et son directeur de cabinet Pascal Bodjona – comme on préside un conseil d’administration. Fini l’informel et la tradition du chef éternel surgi du fond des âges. Place au travail.
Lorsque Eyadéma décède le 5 février 2005 après trente-huit années de pouvoir absolu – aujourd’hui encore, il se trouve des Togolais persuadés que le « vieux » n’est pas mort, qu’il se cache en son village et réapparaîtra bientôt -, peu d’observateurs parient sur les chances de survie politique de son fils si discret, que l’armée a imposé à la tête de l’État. Il faudra qu’il démissionne vingt jours plus tard, puis qu’il se fasse élire dans des circonstances très difficiles, le 26 avril, pour qu’on commence à le prendre au sérieux. Au passage, le successeur constitutionnel, Fambaré Natchaba, président de l’Assemblée nationale, dont l’accession au pouvoir aurait quasi automatiquement entraîné un coup d’État militaire, est passé à la trappe. Vingt mois plus tard, c’est donc à une vraie rupture de style et de ton que les cinq millions de Togolais ont pu assister. Rupture politique aussi puisque, depuis le 16 septembre 2006, un accord politique global a débouché sur un gouvernement d’union dirigé par un Premier ministre issu des rangs de l’opposition, l’avocat Yawovi Agboyibo. Mais ce chef d’État modeste et moderne, diplômé en gestion de Paris-Dauphine et de la George Washington University, dont le prénom a été choisi par son père en hommage à l’ancien président du Conseil français Edgar Faure, n’ignore pas que le seul vrai changement est ailleurs. Comment sortir enfin le Togo de son atonie économique, mettre un terme définitif aux sanctions qui l’accablent depuis 1992, redonner espoir à une population dont la moitié a moins de 16 ans et dont le revenu annuel par tête est inférieur à 400 dollars ? Des élections législatives, dernière des vingt-deux stations du chemin de croix assigné par l’Union européenne au Togo pour sortir enfin du tunnel, sont prévues pour juin 2007. Si tout se passe bien, le pays renouera alors avec la communauté des bailleurs de fonds. Et Faure Essozimna Gnassingbé se sera fait un prénom

Jeune Afrique : S’il fallait d’un mot résumer vos vingt mois d’exercice du pouvoir, ce serait lequel ?
Faure Essozimna Gnassingbé : Apaisement. Après les tumultes et les violences qui ont suivi la disparition du général Eyadéma et qui ont accompagné l’élection présidentielle d’avril 2005, le Togo est désormais en paix et sans doute plus uni qu’il ne l’était. C’est ce dont je suis le plus fier.
Vous attendiez-vous au décès de votre père ?
Absolument pas.
Le pouvoir vous est donc littéralement tombé dessus.
On peut le dire comme cela, oui.
Comment avez-vous vécu cette période ?
Il y a d’abord le temps nécessaire pour admettre la mort et faire son deuil. Jusqu’au bout, j’ai cru en un miracle, j’ai espéré une intervention divine qui ramènerait mon père à la vie. Il s’était tant de fois sorti de situations désespérées ! Et puis il a fallu affronter la réalité : Dieu l’avait rappelé à lui. Au même moment, il m’a fallu accepter de devenir moi-même président dans ce type de circonstances. Je crois que sur ce point, le conditionnement qui était le mien a joué un rôle déterminant. Nos amis comme nos ennemis, tout le monde prévoyait le pire, l’apocalypse pour le Togo après la disparition d’Eyadéma. Moi-même, j’avais en tête qu’une guerre civile était quasi inéluctable si la continuité n’était pas immédiatement assurée à la tête de l’État. J’ai donc dit oui. Pour donner une chance à la paix.
Si c’était à refaire ?
Je le referais. Même si je déplore les violences qui, hélas, ont assombri le processus de transition de février à avril 2005. Si je n’avais pas répondu présent à l’appel que les forces armées puis l’Assemblée nationale m’avaient lancé, le pire était presque sûr.
Votre élection, en avril 2005, a-t-elle été « calamiteuse », comme le dirait Laurent Gbagbo en parlant de la sienne ?
À partir du moment où le sang a coulé, ce ne pouvait pas être une bonne élection. Je rappelle tout de même que je n’étais plus au pouvoir quand elle a eu lieu, que je ne l’ai pas organisée et que son résultat n’a pas été sérieusement contesté. Mais pour le reste, c’est vrai : quand la violence l’emporte sur le débat démocratique, on ne peut qu’être profondément déçu. Je suis sûr que nous ne répéterons pas ce gâchis la prochaine fois. Cette épreuve nous a servi de leçon.
Certains rapports d’enquête parlent d’un millier de morts
Ces chiffres sont très largement exagérés, multipliés par trois ou quatre par rapport au nombre réel de victimes. Au-delà, nous devons nous pencher sur ce phénomène de violences récurrentes dans notre pays à chaque consultation électorale, de 1958 à 2005. Pourquoi ? Quelles sont les responsabilités ? Une commission a été créée dans ce but, qui doit bientôt entamer ses travaux.
Étiez-vous préparé au métier de président ?
Oui et non. Non, car je n’ai jamais anticipé. À aucun moment mon père ne m’a dit, ni à moi ni à quiconque : « Faure sera mon successeur ». Le pensait-il ? C’est probable. Mais il avait appris auprès d’Houphouët que désigner un dauphin de son vivant c’est fatalement l’exposer aux couteaux des jaloux. Aussi a-t-il toujours gardé cette idée pour lui. Cela dit, je connaissais bien le pouvoir, son fonctionnement et ses contraintes, pour l’avoir côtoyé intimement depuis des années. J’ai été député et ministre. J’observais, j’évaluais, parfois je critiquais. La politique m’intéressait. Je n’étais donc pas un novice.
Dès le premier jour, vous vous êtes dit : « Lui, c’était lui. Moi, ce sera moi ! »
Tout à fait. Ne serait-ce d’ailleurs que par modestie. Il aurait été présomptueux de ma part de vouloir copier le président Eyadéma.
Votre père a-t-il commis des erreurs, selon vous ?
Tout homme commet des erreurs, et Eyadéma n’était pas Dieu. Mais je suis certain qu’un jour, au-delà des insultes et des blasphèmes, les historiens lui rendront l’hommage qu’il mérite. Cet homme fut un grand, un vrai bâtisseur.
Le Dialogue intertogolais, qui a débouché en septembre 2006 sur la mise en place d’un gouvernement d’union nationale dirigé par un Premier ministre issu de l’opposition, Yawovi Agboyibo, a été un succès. À qui l’attribuez-vous ?
En premier lieu aux Togolais eux-mêmes. Ce sont eux qui ont fait pression sur notre classe politique afin qu’elle s’accorde sur un programme de gouvernement et mette au rancart ses déchirements internes. L’opposition a réagi de manière intelligente, en abandonnant la stratégie de l’affrontement qui était la sienne sous Eyadéma. De mon côté, j’ai fait savoir que l’ouverture était totale. Enfin, dans la phase finale, le rôle de facilitateur joué par le président Blaise Compaoré a été déterminant. Il connaît très bien les politiciens togolais et il a su leur parler. Je n’oublie pas non plus la Communauté de Sant’Egidio, qui a organisé la première rencontre directe entre Gilchrist Olympio et moi-même.
Comment considérez-vous cet opposant historique à votre père ?
Gilchrist Olympio fait partie de l’histoire du Togo. Il fut un opposant résolu, c’est vrai. D’abord, par sentiment de vengeance personnelle, puisqu’il attribue l’assassinat de son père, le président Sylvanus Olympio, au général Eyadéma. Son combat a ensuite été dopé par le processus démocratique des années 1990 et son parti est devenu un acteur important sur la scène politique. Depuis le 5 février 2005, le président Eyadéma n’est plus de ce monde. À Gilchrist de démontrer, par ses actes et par ses paroles, que ce qu’il recherche est le bien du peuple togolais et non pas l’assouvissement d’une vengeance désormais sans objet. Depuis la signature de l’accord politique global, auquel, hélas, il n’a pas cru bon d’assister, le Togo évolue au sein d’un climat politique moderne et consensuel. Pourquoi Gilchrist s’obstine-t-il dans une culture archaïque de la défiance ? Pourquoi ne vient-il pas ici, à Lomé ?
Pour sa sécurité, dit-on
Ce n’est pas sérieux. M. Olympio s’est rendu pendant quatre jours à Lomé en avril dernier et il ne lui est rien arrivé. Nul ne le menace. S’il souhaite réellement travailler pour le peuple, qu’il vienne donc vivre au milieu du peuple.
Le problème, c’est cette succession aux allures un peu dynastiques. À un Gnassingbé succède un autre Gnassingbé. À ses yeux, vous n’êtes pas légitime
M. Olympio pense à l’évidence détenir le monopole de la légitimité. Cette rigidité pose d’ailleurs problème à ses collègues de l’opposition, qui ne lui reconnaissent pas ce droit autoproclamé. S’il souhaite parvenir au pouvoir, c’est à l’intérieur de l’espace démocratique togolais qu’il doit s’inscrire, pas à l’extérieur.
Ce qui signifie que les membres de son parti, l’Union des forces du changement [UFC], sont toujours les bienvenus au sein du gouvernement, à condition bien sûr qu’ils cessent de le boycotter ?
Absolument. La porte est ouverte.
Cela aurait pu déjà être le cas si vous aviez donné à l’UFC le poste de Premier ministre, ainsi que l’exigeait Gilchrist Olympio
L’accord politique global ne stipule nulle part que ce poste revienne de droit à l’UFC. Il nous a semblé que Me Agboyibo, qui était le coordonnateur de l’opposition pendant la période électorale, était le mieux placé pour représenter non pas une partie, mais toute l’opposition togolaise.
La « togolité » de Gilchrist Olympio a un moment été mise en doute sous votre père. Est-ce toujours le cas ?
Gilchrist Olympio est togolais, cela ne souffre pas de doute. Son père, Sylvanus Olympio, a été notre premier chef d’État et j’ai pensé que l’heure était venue de réhabiliter cette figure de l’histoire de notre pays, tragiquement disparue en 1963. Je n’exclus personne ni de notre mémoire collective, ni de notre présent politique. Il serait souhaitable que Gilchrist fasse de même.
Des élections législatives sont prévues pour le 24 juin 2007. Cette date sera-t-elle tenue ?
Nous ferons tout pour cela. C’est la mission essentielle du gouvernement Agboyibo et de la Commission électorale nationale indépendante.
Transparence totale ?
Transparence totale.
D’autant qu’il s’agit là du dernier des 22 engagements que le Togo doit remplir avant la reprise pleine et entière de la coopération avec l’Union européenne, le FMI et la Banque mondiale
C’est le plus important de tous. La clé de notre réintégration au sein de la communauté financière internationale. L’adieu définitif aux sanctions.
Votre parti, le Rassemblement du peuple togolais, espère l’emporter. N’est-il pas gênant, vous qui voulez être un chef d’État impartial, que vous en soyez le président ?
Ce n’est effectivement pas souhaitable à terme, mais il y a des urgences prioritaires. Le RPT a été fondé il y a trente-sept ans en tant que parti unique et il doit se réformer, accepter le débat en son sein – faute de quoi le débat se déroulera à l’extérieur, à ses risques et périls. Cela dit, j’ai confiance dans le RPT. Ce parti à qui on a souvent reproché d’être fermé démontre aujourd’hui qu’il peut travailler avec l’opposition. Désormais, dans des pays comme le nôtre, aucune formation ne peut prétendre gouverner seule. La gestion gouvernementale doit être plurielle.
Votre style est évidemment très différent de celui de votre père. Pour les Togolais habitués à l’omniprésence autoritaire d’Eyadéma, votre discrétion n’est-elle pas un peu excessive ?
Certains me le reprochent et estiment que je manque de visibilité, effectivement. Faudra-t-il que je trouve un juste milieu ? C’est possible, mais je n’en suis pas si sûr. Ce décalage dont vous parlez est avant tout dû au fait que nous sommes passés d’un système où nous attendions tout du chef à un système où la décision est partagée. Au-delà du changement de personne à la tête de l’État, c’est une vraie révolution.
Parmi les nostalgiques de l’ancien système, beaucoup n’arrivent ni à vous suivre, ni à vous comprendre. Pour ces orphelins d’Eyadéma, vous allez trop vite et trop loin. En avez-vous conscience ?
Tout à fait. Je sais que certaines personnes aimeraient que je sois plus tranchant, plus autoritaire, plus traditionnel. Je les entends, mais je crois qu’ils se trompent. Moi, j’écoute tout le monde et je décide ensuite. Le monolithisme n’est plus de mise au Togo.
Votre père avait un sens très politique de la générosité. Rares, dit-on, étaient les visiteurs de sa résidence de Lomé 2 – et il en a reçu des milliers, de tous horizons et de toutes conditions – qui en repartaient les mains vides. Avez-vous mis un terme à cette technique de pouvoir ?
Écoutez. La redistribution des richesses est en soi une bonne chose. Mais je suis intimement convaincu qu’elle doit procéder du travail, lui-même fruit du développement et non l’inverse. Plus nous travaillons, plus nous nous développons, plus l’État aura les moyens financiers d’élever le niveau de vie des citoyens. Le président Eyadéma agissait de la sorte en tant que père de la nation. S’il avait pu, il aurait fait profiter de sa générosité tous les Togolais, mais tous les Togolais n’avaient pas accès à Lomé 2. Moi, je n’ai pas de critères objectifs pour appliquer les mêmes méthodes. Je n’en ai pas les moyens non plus.
Vous souhaitez réconcilier le Togo avec sa propre histoire. Toute son histoire ?
Toute son histoire. Une histoire dont nul n’est propriétaire et qui est faite de réussites et d’échecs, de blessures et de douleurs. Une histoire qu’il faut prendre dans sa globalité, sans retenir ce qui arrange et oublier ce qui gêne. Pouvoir comme opposition, chacun a connu ses heures de gloire et ses moments sombres.
Quels gestes avez-vous accomplis en ce sens ?
Une messe commémorative a été célébrée à la mémoire de Sylvanus Olympio le 13 janvier 2006, et l’une des rues principales de Lomé a été rebaptisée à son nom. Tout cela était impensable avant.
La date du 13 janvier pose problème, puisqu’elle est aussi celle de la fête nationale.
Vous touchez du doigt toute la complexité de notre histoire. Si le 13 janvier 1963 fut pour certains un jour de deuil, ce fut pour nombre de Togolais une libération. C’est cette délivrance qui est célébrée ce jour-là, en aucun cas l’assassinat d’Olympio, dont nul ne saurait se réjouir.
Les barrages nocturnes de l’armée dans Lomé ont disparu, ce qui est une bonne chose. Mais l’insécurité a augmenté. Que comptez-vous faire ?
Je n’ai pas l’intention de remettre l’armée dans les rues, si c’est à cela que vous faites allusion. Par contre, je suis en train d’accroître les moyens et les effectifs de la police et de la gendarmerie. L’armée togolaise a été trop souvent critiquée pour avoir assuré des fonctions de maintien de l’ordre et de lutte contre la criminalité. À tort d’ailleurs : cela n’était pas son rôle, elle n’y était pas préparée et, surtout, elle n’a pas agi d’elle-même, mais sous l’autorité du politique.
Votre père était un militaire. Pas vous. Quelles relations entretenez-vous avec l’armée togolaise, dont on connaît la qualité, mais aussi l’esprit de corps ?
Celles d’un chef d’État avec une armée disciplinée et respectueuse des institutions. Les règles d’engagement des forces armées togolaises sont claires : c’est aux responsables politiques de décider quand, où et dans quelles conditions elles seront autorisées à sortir de leurs casernes.
Lorsque votre père meurt, le 5 février 2005, qui décide de votre accession au pouvoir : vous-même ou l’armée ?
On ne se fait pas chef tout seul, dit le proverbe. Je ne me suis pas levé au soir du samedi 5 février pour m’autoproclamer président. L’unique institution qui ce jour-là pouvait agir face au vide était l’armée. C’est elle qui m’a proposé le job. Mais mon acceptation n’impliquait de ma part aucune sujétion.
Pourquoi avez-vous nommé votre propre frère, Kpatcha Gnassingbé, au poste clé de ministre de la Défense ?
Parce qu’il est compétent et parce que l’armée togolaise ne lui est pas inconnue. Il a fréquenté un collège militaire et il s’intéresse depuis longtemps à ce secteur. Cela se passe bien.
À quand la fin des sanctions ?
Nous avons défini avec l’Union européenne une feuille de route que nous appliquons strictement. Je souhaite que la communauté internationale soit indulgente avec le Togo, qu’elle regarde les progrès accomplis et ne nous enferme pas éternellement dans des préalables. Une fois les législatives achevées, j’espère que l’UE tiendra sa parole comme nous aurons tenu la nôtre. Le fait que le Togo soit pénalisé de même que le Zimbabwe ou la Guinée est une injustice.
Ferez-vous personnellement campagne pour votre parti aux législatives ?
Probablement pas. Je me tiendrai au-dessus de la mêlée.
La situation sociale et le niveau de vie des Togolais stagnent depuis quinze ans, s’ils ne régressent pas. Que faire ?
Comment à la fois apurer les arriérés de salaire, revaloriser les revenus et réduire le chômage en recrutant dans la fonction publique, le tout sans apport financier exogène ? C’est très difficile. Nous relançons la filière cotonnière, le phosphate et les cultures de rente. Nous faisons tout ce que nous avons à faire en matière de rationalisation des dépenses, de transparence et de bonne gouvernance. Peu à peu, je crois, les choses s’améliorent, même si je sais que pour beaucoup de Togolais la vie est encore rude, trop rude.
À quoi ressemblera le Togo dans dix ans ?
À un pays moderne et solidaire, totalement intégré dans l’espace ouest-africain et qui aura su profiter de ses avantages comparatifs. Les Togolais sont travailleurs, honnêtes, disciplinés, sérieux, éduqués. Le taux d’alphabétisation est ici le plus élevé de la région – un plus que l’on doit à Eyadéma. En termes de services, nous sommes idéalement placés pour desservir notre environnement géographique. Et puis, bien sûr, le Togo sera une démocratie exemplaire.
Vos compatriotes vous reprochent parfois de trop voyager. Vous êtes rarement deux semaines de suite à Lomé
Deux raisons à cela. Le choix de l’intégration africaine implique une multiplication de réunions au sommet, auxquelles la présence des chefs d’État est requise. C’est une période transitoire, mais indispensable. Et puis, j’ai moi-même un devoir de connaissance et de reconnaissance. Le rayonnement et la stature de mon père faisaient qu’on venait à Lomé rendre visite au doyen. Moi, j’arrive. C’est donc à moi de me déplacer, ne serait-ce que pour remercier tous ceux qui ont aidé le Togo pendant la période difficile que nous venons de vivre.
Comment les chefs d’État africains vous ont-ils accueilli ?
À bras ouverts. Ils savent que nous faisons notre possible pour mériter la confiance qu’ils nous ont accordée.
Les divergences que vous avez eues avec Olusegun Obasanjo et Alpha Oumar Konaré sont-elles oubliées ?
Je n’en veux ni à l’un ni à l’autre. Nos rapports sont désormais courtois et apaisés.
Quelle est votre analyse de la crise ivoirienne ?
Mon père avait pour la Côte d’Ivoire un intérêt soutenu et un attachement à la mesure du lien quasi filial qui l’unissait à Félix Houphouët-Boigny. Je ne suis, moi, qu’au tout début de mon mandat, et il serait à la fois malsain et présomptueux de ma part de vous livrer une analyse personnelle. Le Togo ne prend pas parti. Il ne fera jamais rien qui puisse envenimer la situation, d’autant qu’il a sur place un contingent au sein des forces impartiales. Ce que je dis peut apparaître un peu langue de bois, mais il faut me comprendre.
Vos relations avec vos voisins ?
Excellentes. J’ai beaucoup d’estime et de reconnaissance pour les présidents Compaoré et Kufuor. Ils se sont toujours montrés disponibles et leurs conseils me sont très précieux.
La France ?
Mon père avait avec la France un rapport sentimental, chargé d’histoire et de souvenirs partagés. Dire qu’il a connu et fréquenté pas moins de cinq présidents français ! Ma relation à moi est sans doute plus professionnelle. J’ai effectué une grande partie de mes études dans ce pays au cours des années 1980. J’en connais les qualités, nombreuses, et aussi les petits défauts. Le Togo a désormais avec la France des relations d’État à État. Chacun défend ses intérêts, le plus souvent convergents, mais parfois divergents.
La Françafrique ?
Un concept dépassé. Je ne suis pas un homme de réseaux.
C’est la fin des relations exclusives avec Paris ?
C’est peut-être le début d’une relation adulte. Ce qui ne va pas toujours sans heurts, surtout avec les grandes sociétés françaises qui considèrent le Togo comme une chasse gardée. Autant les diplomates et hauts fonctionnaires français semblent avoir parfaitement compris cette indispensable évolution, autant le secteur privé est à la traîne. Par facilité sans doute, par crainte aussi d’affronter ses concurrents chinois, indiens, brésiliens ou autres. Sans être, loin de là, antifrançaise, ma génération s’est débarrassée des complexes qui habitaient la précédente. Je parle l’anglais, je maîtrise l’outil informatique et je sais que le monde ne s’arrête pas aux frontières de l’Hexagone
Entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, pour qui votez-vous ?
Peu importe qui sera élu, même si, dans un cas comme dans l’autre, je crois que la relation franco-africaine sera différente de ce qu’elle était auparavant.
Regretterez-vous Jacques Chirac ?
Dans un rapport d’État à État, il n’y a pas de regret à formuler. Ce qui n’empêche pas de rendre à César ce qui lui revient. En l’occurrence, le président Chirac a beaucoup fait pour le Togo. Qu’il en soit remercié !
En diriez-vous autant des dirigeants allemands, dont on connaît l’intérêt pour votre pays, lequel fut jadis la « colonie modèle » de Berlin ?
Absolument pas. L’Allemagne fait preuve à notre encontre d’une hostilité de longue date, dont la persistance aujourd’hui encore m’étonne. Cette position influence hélas une bonne partie des pays membres de l’Union européenne. Heureusement qu’un homme comme Louis Michel, le commissaire au Développement, a de nos réalités une approche beaucoup plus objective.
Le pouvoir, dit-on, tourne la tête. Comment va la vôtre ?
Bien, merci. Mais ce que vous dites est exact. Il faut faire très attention à ne pas se couper des réalités. Il faut être patient, avoir de l’éthique et de la morale, il faut lutter contre les phénomènes de cour qui vous isolent de la population. Il faut savoir aussi que, lorsque vous vous déplacez dans le pays entouré d’apparat et de gardes du corps, votre intrusion peut être gênante pour les gens et que ce que vous voyez n’est pas forcément ce qui est.
Comment se prémunir contre ce mal ?
Je connais bien ces risques et ces dérives, pour les avoir observés dans l’entourage de mon père. Pour les contrôler et les atténuer, je dois jouer collectif, comme on dit, et trouver le moyen d’être en contact direct avec les Togolais. J’y réfléchis.
Être fils de, est-ce un avantage ou un inconvénient ?
C’est plus un inconvénient, car il faut supporter le poids des préjugés et apporter la preuve qu’on mérite réellement le poste. Cela dit, dans l’exercice même de la fonction, c’est un avantage.
Considérez-vous que votre période d’apprentissage est achevée ?
Pas tout à fait. Il y a des habitudes acquises, comme celle de fonctionner avec mes collaborateurs par SMS, dont je ne me suis pas encore tout à fait départi. Parfois, j’ai encore l’impression d’être le spectateur du président que je suis devenu. Avant que les deux personnages ne fassent qu’un, il me faut un peu de temps.
Que lisez-vous en ce moment ?
Le dernier Dan Brown pour la détente, Muhammad Yunus, le Prix Nobel, pour les leçons que le Togo peut tirer de son expérience, les livres politiques de Lionel Jospin et Nicolas Sarkozy parce que, qu’on le veuille ou non, la France et nous sommes liés.
Quel modèle voyez-vous pour le Togo ?
L’expérience que mène depuis plus de sept ans au Maroc le roi Mohammed VI me paraît exemplaire. En termes de modernisation économique, sociale et politique, c’est une vraie réussite. Le roi et moi sommes de la même génération et nous avons un itinéraire semblable. Ses conseils me sont précieux, même si entre une monarchie millénaire et une jeune république les comparaisons ne sont pas toujours raison. La Tunisie est également, dans le domaine du développement, un bon modèle, tout comme le Ghana voisin.
Avez-vous été révolutionnaire dans votre jeunesse ?
Disons que, quand j’étais étudiant, mes références politiques n’étaient pas du tout celles qui étaient en vigueur à l’époque au Togo. Cela faisait sourire mon père, qui savait que je finirai par mûrir.
Le Togo n’a toujours pas de première dame. Songez-vous à vous marier ?
[Rires.] Désolé, je n’ai pas entendu votre question.

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