Les vrais colonels

Publié le 2 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

On les appela les « soldats perdus ». La plupart avaient fait la Seconde Guerre mondiale avec les Forces françaises libres et quelques-uns dans les maquis de la Résistance. Ils avaient servi en Indochine, où ils avaient découvert la « guerre révolutionnaire », puis subi la défaite et l’humiliation. Ils avaient étudié la lutte clandestine et la subversion dans les uvres de Mao Zedong, quand ce n’était pas dans les camps de rééducation du Vietminh, avant de codifier la contre-révolution. La plupart participèrent activement au putsch dit des généraux en avril 1961. Non sans paradoxe, leur carrière s’acheva dans une participation aux activités terroristes de l’OAS (Organisation de l’armée secrète). S’ensuivit l’exil ou la prison. Voilà pourquoi aucun de ces hommes, presque tous brillants, n’accéda au grade de général.
En vertu du principe militaire selon lequel tout officier doit accomplir périodiquement un « temps de commandement », « les colonels » ont parfois exercé leurs talents à la tête d’une troupe, mais on les trouvait plus souvent dans des états-majors, où ils disposaient des moyens d’élaborer leurs théories aussi bien que de se faire entendre des chefs de l’armée et de recruter des disciples. Le doyen d’entre eux, né en 1906, avait effectué des travaux pratiques avant d’en induire un corps de doctrine : commandant du bataillon français en Côte d’Ivoire lors des troubles de 1949, Charles Lacheroy a laissé un cuisant souvenir aux militants du Rassemblement démocratique africain de Félix Houphouët-Boigny. Rentré d’Indochine, où il avait servi directement sous les ordres du futur maréchal de Lattre, il fut investi de la responsabilité de réfléchir sur la guerre moderne, puis envoyé en Algérie pour créer un « comité d’action psychologique et d’information », qui allait devenir le Ve bureau de l’état-major. Y siégeaient ou collaboraient quelques-uns des colonels dont il est question ici, certains proches de milieux d’extrême droite tels que le mouvement intégriste La Cité catholique. Lacheroy fut un des initiateurs les plus actifs du putsch et un des dirigeants de l’OAS.
Celui qui a visiblement servi de modèle principal aux auteurs de Mon Colonel, roman et film, est un soldat plus classique que Lacheroy, plus jeune de dix ans, moins intellectuel mais pas moins cultivé ni intelligent. Antoine Argoud est sorti de Polytechnique en 1934, à l’âge de 20 ans, et parmi les premiers de sa promotion. Contrairement aux usages selon lesquels les plus brillants élèves se destinent à une carrière de haut fonctionnaire, de chef d’entreprise ou d’homme d’État, il a choisi l’armée. Il n’est pas allé en Indochine, ce qui le fera d’abord tenir à l’écart de ses pairs. Il a servi à l’état-major de De Lattre et s’est consacré à l’étude du rôle de l’arme blindée dans les guerres futures. C’est en avril 1956 qu’il arrive en Algérie avec son régiment de blindés dont il est commandant en second. Il n’ignore pas tout de la guerre révolutionnaire et il a bien retenu la leçon n° 1 de Lacheroy et de ses amis : « Le maquisard, a dit Mao, doit être dans le peuple comme le poisson dans l’eau. Il nous appartient de retirer l’eau ou de prendre la place du poisson. » Autrement dit : gagnera la guerre celui qui aura conquis la population, de gré ou de force.
Concrètement, il faut procéder à des représailles. Exactement comme le colonel Duplan dans le film : une ligne téléphonique coupée, un hameau détruit au canon ; une école détruite, les logements de deux « fellaghas notoires » canonnés de la même façon par-dessus un tapis humain de cinquante hommes qui ont refusé de donner des renseignements. Les cadavres des combattants de l’ALN tués au cours d’un accrochage sont exposés sur la place. Etc. La plupart des scènes reconstituées par le cinéaste ont été méticuleusement racontées par Argoud dans son livre La Décadence, l’imposture, la tragédie (éditions L’Albatros). On ne saurait trouver meilleure source. L’auteur expose aussi comment, de Salan, commandant en chef, qui lui interdit de continuer à procéder à des exécutions publiques, il obtient l’autorisation de poursuivre à l’extérieur du village. Et par quelle méthode Massu a-t-il gagné la bataille d’Alger ? « Le renseignement est obtenu à n’importe quel prix. Les suspects sont torturés comme les coupables, puis éliminés si nécessaire. Pour ces combattants, habitués à courir tous les risques, la vie humaine n’a aucune valeur. » Fin de citation.

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