Les moyens de ses ambitions

Des recettes en constante progression, une dette quasiment nulle, des réserves abondantes la richesse est un gage d’indépendance.

Publié le 2 janvier 2007 Lecture : 5 minutes.

Des recettes en constante progression, une dette quasiment nulle, des réserves à ne plus savoir qu’en faire La plupart des chefs d’État africains rêvent secrètement de disposer de la vitalité financière de la Guinée équatoriale. Certains jalousent même son président, à qui cette soudaine richesse apporte une grande indépendance.
À la tête d’un véritable émirat pétrolier, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est donc de plus en plus courtisé par ses pairs. S’il affiche aujourd’hui une générosité désintéressée, même à l’égard de ceux qui le méprisaient hier, l’homme fort du pays n’a pas pour autant perdu la raison. Principal ordonnateur des dépenses nationales, il se veut le garant de la bonne gouvernance et de la judicieuse utilisation des ressources nationales. Il compte pour cela sur la fidélité des membres du gouvernement.
Les efforts commencent aujourd’hui à porter leurs fruits. En janvier 2006, une mission du Fonds monétaire international a salué les progrès réalisés en matière de transparence et de comptabilité budgétaire. Elle a également souligné les bénéfices tirés de l’adoption d’un nouveau code des impôts en 2005, de la mise en place de la TVA et de la réforme de l’administration fiscale. Sans oublier de signaler les bienfaits de la modernisation du secteur bancaire, qui permet dorénavant de verser les salaires des fonctionnaires sur des comptes courants et de formaliser les flux financiers.
Peu à peu, la Guinée équatoriale tente donc de se doter d’un cadre macroéconomique plus conforme à ses nouveaux revenus. Grâce à la flambée des cours du pétrole et du gaz, dans un contexte de légère hausse de la production nationale, les recettes de l’État sont en continuelle augmentation : 354 milliards de F CFA en 2001, 1 523 milliards en 2005 et 1 729 milliards programmés pour 2006. Une manne qui représente presque 93 % des ressources publiques et finance le développement du pays à marche forcée.
Aussi bien sur l’île de Bioko que sur la partie continentale, la Guinée équatoriale opère sa mue à coups de pétrodollars. Les grandes agglomérations connaissent une expansion considérable, favorisée par la construction d’axes routiers, la rénovation des aéroports et la réhabilitation des réseaux de distribution d’eau et d’électricité. Les commerces, sociétés de service, casinos ou encore restaurants, bars et lieux de distraction nocturne s’implantent également aux quatre coins du pays. Si bien que le président n’hésite plus à affirmer : « Il n’y a pas de chômeurs chez nous. Il n’y a que des absentéistes. Tous ceux qui veulent travailler travaillent. »
Alors que la main-d’uvre nationale est faiblement qualifiée, des dizaines de milliers d’étrangers ont rejoint l’ancienne colonie espagnole pour y tenter leur chance. Sur les plates-formes de forage, les « pétroliers » américains ont embauché du personnel national et asiatique. Les Français et les Espagnols sont présents dans la distribution de produits pétroliers, le BTP, la téléphonie et les services. Ils sont de plus en plus concurrencés par les Chinois ou les Coréens, qui font une percée fulgurante dans l’exploitation forestière, la construction, l’hôtellerie et la restauration. À côté des « visages pâles », il y a les Africains venus des pays voisins, Gabon et Cameroun, mais aussi de l’Afrique de l’Ouest : Sénégal, Mali, Bénin, Nigeria et Ghana. Si la plupart font des petits métiers, les cadres cherchent de nouveaux débouchés au pays de l’or noir, soit en proposant leurs services comme consultants, soit en créant leur PME.
L’économie nationale reste néanmoins fragile compte tenu de la faible diversification des activités. Naguère florissante, la production agricole se limite désormais à la culture vivrière destinée à la consommation des ménages. Plus de 60 % de la population vit encore en milieu rural et la plupart des familles possèdent leur jardin potager. Mais la FAO (Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) ne dénombre pas plus de 100 000 « vrais » paysans. Le pays exporte moins de 2 500 tonnes de cacao, très loin des 30 000 tonnes réalisées au début des années 1970.
Les jeunes ont aujourd’hui largement délaissé l’agriculture pour aller travailler sur les plates-formes de forage. Si bien que Malabo importe plus de 5 000 tonnes de riz par an, 10 000 tonnes de blé et des quantités importantes de viande de poulet. La pêche est également un domaine sous-exploité alors que le pays dispose d’une zone maritime de 300 000 km², soit une superficie dix fois supérieure à son territoire. Un potentiel estimé à 74 000 tonnes de poisson et 600 tonnes de crustacés par an, mais qui n’est exploité que par quelques pêcheurs artisanaux et de rares professionnels. En fait, seule la sylviculture apporte des revenus complémentaires à l’État. La forêt couvre 2,2 millions d’hectares dont 400 000 hectares sont exploités. La Guinée équatoriale produit plus de 500 000 m3 de bois par an, dont la presque totalité est exportée. Dans le secteur minier, le pays compte quelques exploitants artisanaux d’or alluvionnaire. La recherche de gisements divers mériterait d’être développée par les investisseurs.
Pour cela, les autorités devront améliorer l’environnement des affaires et surtout sécuriser le cadre juridique. Le patriotisme économique, très à la mode partout dans le monde, est de plus en plus prononcé dans les textes de loi. Tous les investisseurs doivent disposer de partenaires nationaux. La corruption, elle, reste un obstacle important aux investissements, le pays obtenant la peu reluisante note de 2,3 (sur une échelle de 0 à 10) dans la dernière évaluation de Transparency International.
Longtemps accusé de se limiter à de beaux discours en matière d’orthodoxie financière, le chef de l’État a placé, en août, un juriste, ancien président de la Cour d’appel, à la tête du gouvernement, et lui a demandé d’instaurer un cercle vertueux dans l’administration. Illusion ? Ricardo Mangué Obama Nfube assure, en tout cas, qu’il est là pour changer les choses. Trois mois après sa nomination, une commission anticorruption a vu le jour et les premières têtes sont tombées. Il y a eu d’abord l’affaire des lignes téléphoniques, qui a coûté son poste au secrétaire général du ministère des Transports et Communications. En cause, l’attribution de quelque 800 lignes téléphoniques. Autre personne mise en cause, le secrétaire général du ministère du Travail, accusé d’avoir reçu un pot-de-vin d’une société belge du bâtiment, Besix. L’entreprise a, elle, été condamnée à payer une amende de 50 millions de F CFA.
Le mal est néanmoins profond et les retombées faramineuses de l’or noir attisent toutes les convoitises. Il faudra du temps pour changer les mentalités d’agents habitués aux passe-droits et au clientélisme. « Nous avons un problème. Notre économie ne se développe pas au même rythme que la formation de nos cadres, admet Melchor Esono Edjo. Notre élite a fait ses études aux quatre coins du globe, notamment en Espagne, en Chine, en Corée du Nord, à Cuba et en URSS. À l’arrivée, nous disposons d’un capital humain très hétérogène et peu rompu à la finance moderne et à la gestion capitaliste. » Les autorités tentent d’inverser la tendance. On voit émerger une jeune génération de cadres, formés dans les écoles américaines et européennes, pour prendre en main les destinées du pays.

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