Kofi, simplement

Publié le 2 janvier 2007 Lecture : 3 minutes.

A New York, on entend tout et son contraire à propos de Kofi Annan. « Il a été le deuxième meilleur secrétaire général de l’ONU après le regretté Dag Hammarskjöld », dit l’un de ses biographes, l’Américain James Traub. « Pas facile de se donner à fond pour quelqu’un qu’on ne respecte pas », corrige l’un de ses collaborateurs.
Le principal reproche qui lui est adressé est qu’il aurait été « l’homme des Américains ». Au début, c’est incontestable. En 1996, la Maison Blanche cherchait à placer un diplomate africain susceptible de se couler dans le moule anglo-saxon. Annan avait le profil. Dès 1958, à l’âge de 20 ans, il avait quitté son Ghana natal pour étudier à l’université de Saint Paul, Minnesota. Autre atout, Nane, sa seconde épouse, est la nièce de Raoul Wallenberg, le diplomate suédois qui sauva la vie de milliers de juifs hongrois pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est en outre une amie de Madeleine Albright, la représentante américaine à l’ONU.
Pendant son premier mandat (1997-2001), il ne manifeste que de rares velléités d’indépendance. En 1998, il rend visite à Saddam Hussein. Albright, devenue entre-temps secrétaire d’État, se fâche, et le Ghanéen rentre dans le rang. En octobre 2001, la nouvelle administration Bush félicite le lauréat du prix Nobel de la paix et, après quelques hésitations, se résigne à le soutenir pour un second mandat. Mais, en 2003, leur protégé s’oppose à l’invasion de l’Irak, d’abord mollement, puis de plus en plus ouvertement. En 2004, les conservateurs américains décident d’abattre ce secrétaire général par trop indocile.
Le reproche le plus fondé qu’on pourrait lui faire aujourd’hui est qu’il « manque de fermeté ». De fait, Annan, qui a fait toute sa carrière à l’ONU – quarante-cinq ans ! – a du mal à appeler les choses par leur nom. « La guerre en Irak est-elle illégale ? » lui demande, en septembre 2004, un journaliste de la BBC. Il répond à côté. L’intervieweur insiste. Une deuxième fois, puis une troisième. Annan finit par lâcher : « Oui, si vous voulez. » Un an et demi après les faits, il finit par reconnaître l’évidence, avec une voix de jeune marié.
Est-ce à cause de ce caractère trop lisse ? Le secrétaire général sortant a tendance à imputer ses propres fautes aux autres. Le génocide rwandais ? « C’est le Conseil de sécurité qui a failli », dit-il. Certes, les permanents du Conseil portent une lourde responsabilité dans l’inertie générale, mais, en 1994, c’est bien Annan qui dirigeait le département des opérations de maintien de la paix à l’ONU. Avant le déclenchement de la tragédie, ses deux chefs de mission à Kigali, le Camerounais Jacques-Roger Booh Booh et le Canadien Roméo Dallaire, se disputaient comme des chiffonniers – et continuent de le faire aujourd’hui à coups de livres et d’interviews. Résultat : les rapports alarmistes du second étaient régulièrement démentis par le premier. Annan n’a pas su mettre son équipe en ordre de marche. Pis, il a longtemps soutenu Booh Booh contre Dallaire.
Le refus du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) d’enquêter sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994 ? « C’est une décision du TPIR. Cela ne me regarde pas, et je n’ai pas d’avis sur la question », élude Annan. Or, que l’on sache, le TPIR est quand même un tribunal onusien ! Il feint même de ne plus se souvenir qu’en 1997 le TPIR avait ouvert une enquête sur cet attentat. Puis avait rangé les conclusions de l’avocat australien Michael Hourigan dans un tiroir fermé à double tour.
L’homme manque-t-il de cran ? À la fin de l’année 2004, au plus fort du scandale « Pétrole contre nourriture » en Irak, il a failli craquer. Les virulentes attaques des conservateurs américains et de la presse contre les activités commerciales de Kojo, son fils, l’ont rendu dépressif. Un moment, il songe à démissionner, puis se ressaisit. Son épouse l’y a aidé, mais c’est au fond de lui-même qu’il a trouvé le courage nécessaire. Le fils de chef fante a pris le pas sur le pâle fonctionnaire onusien. Dans l’épreuve, il a forcé le respect. Aujourd’hui, en Afrique, beaucoup l’appellent « Kofi », tout simplement.

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