Interdit aux chiens et aux Blondes
Quand même, on vit une époque assez dingue. Il fut un temps – disons, de la chute de Constantinople jusqu’à dimanche dernier – où les choses étaient simples : être blanc, c’était bien ; être noir, moins bien ; et être arabe, c’était l’abomination de la désolation. Tout cela était un peu injuste, certes, mais comme c’étaient les types les plus forts qui l’affirmaient, il fallait bien les croire. Il y a un demi-millénaire, ces costauds disposaient d’arbalètes ; aujourd’hui, ils alignent dix mille têtes nucléaires, mais c’est tout comme : techniquement, ils ont une longueur d’avance sur nous, pauvres métèques, et nous sommes réduits à quia.
Pardonnez-moi ce préambule philosophique après lequel on va, curieusement, parler de football. Hier, j’étais assis dans les tribunes d’un stade ouvert aux vents pour voir le Sparta de Rotterdam battre l’arrogant Ajax d’Amsterdam par 3 à 0. Intense jubilation, certes, mais on n’est pas là pour parler de ça. On est là pour parler d’un incident qui m’a sidéré. À un certain moment, exactement à la 17e minute du match, le meneur de jeu d’Ajax, l’international Wesley Snijder, énervé par un tacle un peu trop appuyé d’un joueur de Sparta, se retourne et hurle :
– Sale Blanc !
Soyons clair : Snijder est aussi blanc et blond que, disons, Le Pen, et l’autre joueur aussi blanc et blond que, disons, Hermann Goering. Vous voyez Le Pen traiter Goering de sale Blanc ? Jugez de mon désarroi.
Où va le monde, hein ? On ne s’y retrouve plus. Franchement, il y a de quoi se présenter spontanément au Tribunal de Nuremberg, la corde au cou, et laisser les juges démêler l’affaire.
En vérité, le pâle Snijder utilisa une expression plus compliquée (« vuile witte tyfushond ») qu’on pourrait traduire par « Sale Blanc atteint du typhus des chiens », mais, pour ne pas effrayer les petits, on s’en tiendra à « sale Blanc ». Il semble d’ailleurs que l’étonnante injure ait été inventée dans le feu de l’action par l’imaginatif avant-centre auquel on peut donc prédire un avenir de poète après que sa carrière de footballeur aura pris fin.
En tout cas, l’arbitre n’hésita pas à sortir le carton rouge et renvoya le poète à ses études de chromatologie. Or – l’affaire se corse – ledit Snijder refusa de sortir au motif que « sale Blanc » n’était pas une injure raciste. Sale Noir/Juif/ Arabe/Tchétchène, OK, tout ça c’est du racisme, mais Blanc ? Juristes, à vos Dalloz ! Voilà un cas que Me Vergès lui-même n’a pas prévu. En tout cas, depuis hier, le débat fait rage au pays de Rembrandt – le maître du clair-obscur. Est-il répréhensible de se traiter les uns les autres de Blancs ? Et, tant qu’on y est, de Roses ? Tout le monde sait en effet que les Blancs – j’en compte parmi mes meilleurs amis – sont en fait roses.
Je crois qu’on assiste à la fin d’une époque. L’intrusion du footballeur Snijder dans nos consciences signifie peut-être la fin du racisme tel qu’on le connaît depuis les Croisades. Désormais, on est tous, quelque part, victime potentielle. Va donc, eh, sale Blonde aux yeux bleus La fin de l’Histoire, annonçait Fukuyama. La fin de la Couleur, répond Snijder. Affolant !
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