Césaire, enfin ?
Aimé Césaire et le Nobel, c’est un peu l’histoire de l’Arlésienne, ce personnage de l’opéra de Georges Bizet dont on parle tout le temps mais qui n’apparaît jamais sur scène. Il n’est guère d’année sans que, en septembre, quand les rumeurs autour du prix littéraire qui sera décerné le mois suivant commencent à circuler, le nom de l’écrivain martiniquais ne soit avancé. Mais, attachés à leur indépendance et faisant leur choix selon des critères connus d’eux seuls, les jurés de Stockholm ont le chic pour déjouer les pronostics.
Et pourtant, à 93 ans, l’heure de Césaire est peut-être enfin venue. Au début de 2006, un mouvement d’opinion s’est dessiné en faveur de l’attribution du Nobel de la paix au père de la négritude – le mot lui revient, et non à Senghor comme on le croit souvent. Plusieurs universités européennes ont proposé son nom au comité norvégien, initiative appuyée par une pétition sur le site culturel Afrikara.com. Le Nobel de la paix ? Ce serait une façon de saluer le rôle décisif de l’ancien député-maire de Fort-de-France en faveur des départements français d’outre-mer. Dès 1946, en effet, Césaire a défendu au sein du Parti communiste français puis à la tête du Parti progressiste martiniquais l’idée de départementalisation des « vieilles colonies ». Violemment dénoncé par les indépendantistes, ce statut a permis aux descendants d’esclaves d’acquérir – de manière pacifique – les mêmes droits et avantages que les métropolitains.
Mais décerner le Nobel de la paix à Césaire reviendrait à tracer une croix sur son uvre littéraire, immense. Qui a lu le Cahier d’un retour au pays natal, paru en 1939, ne peut que sortir bouleversé de la confrontation avec ce flot de mots surprenants, d’images somptueuses, de déchirements de langage dont la puissance émotive en fait l’un des textes fondateurs de la littérature nègre. Avec ce recueil et les suivants (Les Armes miraculeuses ; Soleil cou coupé ; Corps perdu ; Ferrements ; Cadastre ; Moi, laminaire), aussi bien qu’avec ses pièces de théâtre (La Tragédie du roi Christophe, Une saison au Congo, etc.), sans oublier son Discours sur le colonialisme, Césaire est bien l’un des plus grands écrivains de langue française de son époque.
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