Si Bush était battu… presque tout changerait

Publié le 25 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Lorsque ce numéro de Jeune Afrique/ l’intelligent sera entre vos mains, les électeurs des États-Unis seront à une semaine du vote par lequel ils choisiront au suffrage indirect entre George W. Bush, l’actuel président, et son challengeur, John F. Kerry.
Nous n’avons pas d’influence sur le choix que feront les Américains, mais nous en sentirons les conséquences dans notre vie quotidienne : à mes yeux, il ne fait aucun doute que le monde dans lequel nous vivrons les quatre prochaines années sera bien meilleur si, comme nous l’imaginons dans la fiction qui occupe les pages 26-35 de ce numéro, George W. Bush était battu et devait quitter la Maison Blanche au début de 2005.

Il m’est arrivé d’entendre dire qu’entre un président démocrate et un républicain il n’y a pas plus de différence qu’entre un Coca-Cola et un Pepsi-Cola ; j’ai également lu ici et là que les présidents américains n’ont pas beaucoup de marge de manoeuvre, que dans un grand pays aussi structuré que le sont les États-Unis, la continuité prévaut toujours sur le changement.
C’est vrai en général, mais beaucoup moins en l’occurrence, et je m’inscris en faux contre les affirmations d’un Richard Allen(*) lorsqu’il déclare : « Il n’y aura pas de changement radical, car notre système ne peut pas réagir en une nuit. Si Kerry est élu, il y aura un changement de ton de notre politique étrangère. Mais ce changement de ton aura également lieu si Bush est réélu. […] Si Kerry est élu, il ne pourra pas s’offrir le luxe d’infléchir franchement la politique américaine en Irak. […]
Le 11 septembre 2001 a tout changé. Une vraie guerre mondiale a commencé, une guerre globale, qui va durer longtemps. »

la suite après cette publicité

Si John Kerry était élu, les États-Unis auraient de nouveau un président accepté par le reste du monde ; ils y retrouveraient l’audience et la grande influence qu’ils ont toujours eues, alors que G. W. Bush, son comportement et sa politique donnent de l’urticaire à presque tous ses pairs, ainsi qu’à leurs peuples dans leur très grande majorité.
Cela transformerait – en une nuit, M. Allen ! – le climat des relations internationales. De « variable », « lourd » ou « orageux », le temps deviendrait « clément », propice au dialogue.
Plusieurs facteurs, dont je ne listerai que quelques-uns, m’inclinent à penser que si John Kerry était élu le 2 novembre prochain (il n’accéderait au pouvoir que le 20 janvier 2005), il en résulterait beaucoup plus qu’un changement d’ambiance.

Il a sans doute échappé à ce républicain pur sucre qu’est Richard Allen ce que John Kerry a osé dire en pleine campagne électorale. En substance ceci : le concept même de « guerre mondiale contre le terrorisme » est erroné. Le terrorisme n’est pas cet ennemi malfaisant et planétaire que décrit G. W. Bush ; lui faire l’honneur de lui déclarer la guerre, subordonner presque tout à ce combat douteux et sans fin, c’est compromettre beaucoup de choses importantes pour un résultat faible et incertain.
Le terrorisme n’est qu’une nuisance dont il faut savoir s’occuper, conclut John Kerry.
C’est exactement ce que nous soutenons dans ce journal depuis plus de trois ans, et c’est la thèse que défendent dans le monde entier de nombreux acteurs politiques.

Si elle intervient, cette « rectification stratégique » changera tout. Si John Kerry était élu et qu’il en faisait le fil conducteur de sa politique intérieure et extérieure, le monde entrerait dès le début de 2005 dans « l’après-guerre » contre le terrorisme. Et, comme après la fin de la guerre froide, nous toucherions « les dividendes de la paix ».
Les États-Unis ne donneraient plus d’eux-mêmes l’image d’une forteresse menacée, d’un hérisson toutes pointes dehors, et les plus « remontés » de leurs citoyens cesseraient d’ajouter foi à ce stupide « ceux qui ne sont pas avec nous sont avec les terroristes » que G. W. Bush a osé formuler dans son égarement post-11 septembre 2001.

La mécanique construite par G. W. Bush et le quarteron de néoconservateurs qui le manipulent se désarticulerait, et ses pièces se détacheraient une à une.
Je ne citerai aujourd’hui que trois exemples :
1. Il est assuré qu’un président John Kerry soutiendra l’État d’Israël avec la même constance et la même quasi-inconditionnalité que tous ses prédécesseurs depuis cinquante-six ans que cet État a été proclamé : les adversaires (et les victimes) de cet État ne doivent, sur ce point, se faire aucune illusion.
Mais alors, quelle différence, demandera-t-on ? Il y en aura une, considérable, car Bush, lui, ne soutenait pas Israël, mais Ariel Sharon. Il disait « oui » d’avance à tout ce que ce dernier lui demandait même si ce n’était ni dans l’intérêt à long terme d’Israël, ni dans la tradition diplomatique des États-Unis, ni conforme au consensus international et aux résolutions de l’ONU votées par les États-Unis : G. W. Bush s’était tout simplement inféodé à Ariel Sharon.
2. Engagé jusqu’au cou dans la guerre contre le terrorisme, le même G. W. Bush s’est trouvé (ou cru) obligé de soutenir très au-delà du raisonnable les excès d’un autre chef d’exécutif, Vladimir Poutine, qui a réussi, comme Sharon, à faire croire à l’actuel président américain qu’il « mène la même guerre que lui contre le même ennemi ».
Et qui, fort de ce soutien, fait massacrer par ses militaires, systématiquement, le peuple tchétchène.

la suite après cette publicité

3. S’agissant de l’invasion et de l’occupation de l’Irak, G. W. Bush a eu tout à fait tort d’en faire une « pièce maîtresse » de la « guerre contre le terrorisme » : il sait mieux que personne qu’il les a décidées pour de tout autres raisons.
Si les Américains l’élisent le 2 novembre, John Kerry n’aura qu’à sortir l’affaire irakienne de ce cadre pervers pour que se profile l’issue qui s’est dérobée devant son prédécesseur, précisément parce qu’il a fait accourir en Irak des nuées de terroristes qui n’y étaient pas avant l’invasion et s’est enferré dans un combat sans fin contre eux.
Restent les deux grands voisins de ce pays, l’Iran et la Syrie. En jetant sur eux la suspicion et en les abreuvant de menaces, G. W. Bush et son administration en ont fait des adversaires inquiets et… imprévisibles.
John Kerry n’aura qu’à les rassurer pour en faire des partenaires.
Un à un, de proche en proche, se dénoueraient ainsi la plupart des problèmes internationaux que l’arrogance et l’unilatéralisme ont fait surgir ou, à tout le moins, ont compliqués…

Bush se voulait un « président de guerre », pensant que cette qualité lui assurait le maintien au pouvoir. Le général qu’il a nommé pour faire cette guerre, Tommy Franks, est « la voix de son maître » lorsqu’il écrit : « La guerre contre le terrorisme est la bonne guerre au bon moment pour les bonnes raisons. Et l’Irak est l’un des endroits où cette guerre doit être menée et gagnée. George W. Bush sait où il va. » (sic)
Si les électeurs américains font mordre la poussière le 2 novembre à cet homme « qui sait où il va », son successeur ne pourra qu’être confirmé dans son idée qu’il est élu pour être, lui, un président de paix.
Il se comportera en conséquence et presque tout sera différent.

la suite après cette publicité

* Républicain. Ancien collaborateur de Nixon et de Reagan. Actuellement membre du Defense Policy Board qui dépend du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires