Raisonnablement optimistes

Là où les Occidentaux voient un continent plombé par les guerres et la corruption, des pays en quasi-faillite, les Africains trouvent des nations en construction. Et affichent une confiance inattendue.

Publié le 26 octobre 2004 Lecture : 4 minutes.

C’est incontestable, les Subsahariens sont afroptimistes ! C’est le résultat global d’une étude effectuée à la demande du service international de la BBC sur un échantillon urbain de 7 671 personnes dans dix pays : 6 anglophones Kenya, Tanzanie, Malawi, Zambie, Ghana,
Nigeria ; 3 francophones Rwanda, Cameroun et Côte d’Ivoire ; et 1 lusophone le
Mozambique. Tous se répartissent dans les quatre grandes sous-régions ; chacun d’entre eux a fourni un dixième des personnes interrogées, où se décomptent 21 % de musulmans. On peut donc considérer le panel comme bien représentatif du paysage humain des villes africaines.
D’où l’intérêt du résultat, en presque totale contradiction avec l’image de l’Afrique
véhiculée par la presse internationale. Là où les Occidentaux voient un continent plombé par les guerres civiles et la corruption, des pays en quasi-faillite, avec des populations affamées et ravagées par le sida, les Africains voient des nations en construction auxquelles ils sont fiers d’appartenir.
L’étude a été conduite par Markinor, une agence spécialisée basée en Afrique du Sud. Elle
n’évite pas le piège du cliché : « Les Ivoiriens sont paresseux, joyeux et hospitaliers. Un Mozambicain est honnête ou malhonnête, cela dépend de son interlocuteur. Un Zambien typique est quelqu’un qui aime boire de la bière toute la journée et se montre très pacifique », etc. Même si ces appréciations ne constituent pas des données scientifiques,
juste des réflexions induites par les réponses du panel, elles sont placées en exergue au
rapport, comme autant d’illustrations. Elles reflètent effectivement la façon dont les Africains se perçoivent. Sont-ils réellement « pacifiques, polis, gentils et travailleurs
» ? Là n’est pas la question. C’est ainsi qu’ils se décrivent eux-mêmes.
Afrique, je t’aime… Neuf personnes interrogées sur 10 proclament leur fierté d’appartenir au continent africain et autant affirment leur patriotisme. Tous apprécient
les vêtements traditionnels, à égalité avec la mode occidentale, mais préfèrent sans conteste la musique locale aux tubes venus d’ailleurs. Question mode de vie, la famille doit se rassembler lors des repas, les enfants ont le devoir de s’occuper de leurs aïeuls et il faut préserver les traditions culturelles, ethniques, voire tribales, sauf au
Rwanda, où seulement 55 % de la population estime que c’est une bonne chose. Ce pourcentage s’explique évidemment par le traumatisme causé par le génocide de 1994 et les massacres qui ont endeuillé le pays.
Les mentalités évoluent, surtout en Afrique centrale et orientale, où il est désormais acquis que les femmes ne doivent plus être cantonnées aux tâches domestiques mais travailler, et éventuellement occuper des postes à responsabilités. Les études deviennent
très importantes et, au besoin, on n’hésitera pas à envoyer ses enfants à l’étranger. Pour s’élever dans l’échelle sociale, les Africains aiment à s’appuyer sur des modèles, voire des icônes. « Nous sommes fiers d’avoir donné au monde Kofi Annan et Nelson
Mandela », estiment-ils. Idem pour le président sud-africain Thabo Mbeki et son homologue nigérian Olusegun Obasanjo et, derrière eux, le « Guide » de la Jamahiriya libyenne Mouammar Kadhafi, cité comme personnalité marquante par 33 % des musulmans du panel.
L’admiration se porte aussi sur les hommes politiques tels Julius Nyerere, Kwame Nkrumah, les stars du sport comme Abedi Pelé ou George Weah et les musiciens, Miriam Makeba en tête, jamais sur des animateurs de télévision ou des acteurs de cinéma. Le sondage indique un fort taux de « sans opinion » et de « ne connaît pas » concernant le président algérien Abdelaziz Bouteflika, le chancelier allemand Gerhard Schröder et, dans une moindre mesure, le Français Jacques Chirac. Côté popularité, le chef de l’État américain
George Bush s’avère à peine plus populaire qu’Oussama Ben Laden, et le Premier ministre
anglais Tony Blair a bien du mal à redorer son blason.
Apprécier l’action d’un homme d’État ne signifie cependant pas que tous les citoyens ont une absolue confiance en leurs dirigeants. Face aux cinq problèmes les plus importants qu’ils classent de la façon suivante : pauvreté, sida, chômage, analphabétisme, corruption
et népotisme , 8 Africains sur 10 estiment positive l’action de leur gouvernement en matière d’éducation et de lutte contre le virus du sida, excepté au Mozambique (la moitié seulement). En revanche, il n’y a guère que les Kényans, les Rwandais et les Ghanéens pour trouver convaincante la façon dont est menée la lutte contre la corruption. Côté travail, seuls les Rwandais s’estiment satisfaits de l’action de l’État en faveur de
l’emploi.
Réalisme, donc, mais toujours teinté d’optimisme. Globalement, les Africains estiment que leur position sociale, leurs conditions et niveau de vie s’améliorent, bon an mal an. Que faire pour vivre encore mieux ? Ils sont conscients que leur continent constitue une
source majeure de matières premières pour le reste de la planète. Or diamants, cacao, café, pétrole et main-d’uvre sont cités comme principales richesses de l’Afrique par 17 % des personnes interrogées, avec toutefois une curieuse particularité : seuls 20 % des
Nigérians mentionnent le pétrole, alors que leur pays est le premier producteur du continent.
In fine, l’étude révèle un étonnant paradoxe : s’ils pouvaient choisir leur lieu de résidence, bien peu d’Africains s’établiraient dans leur propre pays, à peine 40 % de
Kényans, de Camerounais, de Tanzaniens et de Mozambicains et, en bas de l’échelle, 3 Ivoiriens et 2 Malawites sur 10. Où aller ? Certainement pas au Nigeria, éventuellement
en Afrique du Sud, mais bien plutôt aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en France et au
Canada. Les musulmans choisissent volontiers l’Arabie saoudite (28 %).
Que conclure de ces données, sinon qu’il serait erroné de concevoir l’Afrique comme un continent à la dérive. Loin de considérer l’Occident comme une aide et un soutien indispensables, les Subsahariens comptent avant tout sur eux-mêmes, cultivent l’optimisme
et mobilisent leur énergie pour vaincre les difficultés. C’est pour eux la condition sine qua non du développement.

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