Parc de l’Akagera : splendeur et sorcellerie
Une dévastatrice épidémie de peste animale peut avoir des conséquences inattendues. Celle qui, en 1932, a ravagé les provinces de Mutara et de Kibungo, dans le nord-est du Rwanda, a conduit à la création du parc national d’Akagera. Après avoir tenté d’éliminer certains des animaux accusés de véhiculer les maladies, les autorités finirent par renoncer à l’éradication et décidèrent d’isoler les animaux dans un parc, à l’image du parc national des Volcans – qui abrite les fameux gorilles des montagnes, première réserve africaine à avoir vu le jour en 1925.
À sa création, en novembre 1934, le parc national de l’Akagera s’étendait sur 250 000 ha. Aujourd’hui, grignoté par l’expansion démographique, il s’est réduit à 90 000 ha. Si, pendant des décennies, l’Akagera a été une cible privilégiée des braconniers, une équipe de rangers et de militaires traque désormais les chasseurs illégaux de zèbres et d’antilopes. Une vingtaine d’entre eux sont pris chaque mois en flagrant délit.
Cette zone, où les marais sont nombreux, compte cinq lacs, dont celui d’Ihema, le plus grand du Rwanda après le Kivu. Une abondante faune et plus de cinq cents espèces d’oiseaux s’épanouissent dans les vallées perdues au milieu des collines. À quelques mètres de l’entrée de la réserve, le confortable hôtel Akagera, qui offre une vue imprenable sur un des lacs, accueille les touristes venus faire un safari. L’établissement, construit en 1973, dut cesser ses activités au moment du génocide, en 1994, et ne rouvrit ses portes qu’en décembre 2003. À l’intérieur du parc, les infrastructures et les pistes se sont dégradées après avoir été longuement abandonnées par le personnel forestier fuyant les massacres. Aujourd’hui, il reste encore beaucoup à faire pour les réhabiliter.
Mais les projets pour dynamiser la réserve naturelle se multiplient. Outre les safaris, la pêche sportive, le camping et le « tourisme de communauté », un programme d’excursions sur un des lacs, peuplé d’hippopotames et de crocodiles devrait voir le jour. Les embarcations – deux bateaux commandés en Afrique du Sud – permettront aussi d’accéder à une île perdue au milieu des marais, célèbre pour avoir abrité les sorciers du royaume au XIXe siècle. Les souverains rwandais allaient s’y faire prédire leur avenir. Une tradition qui s’est perpétuée dans le secret, bien après la disparition de la monarchie. Car si l’île des Sorciers ne reçoit plus que la visite des crocodiles, des hippopotames et des oiseaux, quelque part dans le parc, une cahute en pierre abandonnée a dévoilé ses mystères. On la découvre camouflée derrière une forêt de ronces et d’arbustes, à quelques mètres de… la maison de vacances de Juvénal Habyarimana. L’ex-président rwandais s’y adonnait à la sorcellerie, en compagnie de marabouts venus de Tanzanie ou envoyés du Zaïre par son ami Mobutu. Le secret d’Habyarimana était bien gardé. Jusqu’en 1993, année où il y passa ses dernières vacances de Noël, le personnel de la villa était congédié au moment opportun afin de n’éveiller aucun soupçon, à l’exception du cuisinier, en lequel l’ancien président avait toute confiance.
Après la mort du dictateur, son employé vendit la mèche aux responsables du parc, qui cherchent aujourd’hui à tirer un bénéfice touristique de ce lieu lourdement marqué par l’Histoire. Au menu de la visite : la résidence elle-même, une bâtisse en briques rouges avec une vue imprenable sur le lac Ihema. L’enclos où le président gardait ses trois éléphants – l’un deux, Mutware (« héros » en kinyarwanda) vit toujours. Enfin, la « case à sorcellerie » à laquelle on accède par un sentier envahi de mauvaises herbes.
Les nouvelles attractions devraient augmenter le nombre de touristes, pour l’instant limité à 1 200 visiteurs par mois. Belges, Français, Américains, Britanniques et Canadiens sont de plus en plus nombreux à venir chercher des sensations fortes sur les pistes cahoteuses de l’Akagera.
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