L’homme qui en savait trop

Publié le 25 octobre 2004 Lecture : 3 minutes.

Avant sa disparition, le 16 avril dernier à Abidjan, le journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer était l’un des hommes les mieux informés de Côte d’Ivoire sur les circuits financiers du Plateau. Et, depuis le début 2004, il s’intéressait tout particulièrement aux transactions occultes entre Abidjan et Bissau. En mars, il avait même effectué un voyage en Guinée-Bissau.

Le 15 avril à Paris, le bimensuel La Lettre du Continent révèle que, « pour aider Bissau […], Laurent Gbagbo a avancé 1,5 milliard de F CFA à ses alliés, à partir d’un compte de la BCEAO, pour payer les salaires des fonctionnaires ». De son côté, à Abidjan, Le Nouveau Réveil titre à la une « Des fonds transférés en Guinée-Bissau. La Banque mondiale révèle ». Objectif du président Gbagbo : disposer d’un appui supplémentaire en Afrique de l’Ouest. Problème : les bailleurs de fonds voient ce transfert d’un mauvais oeil. Il y a risque de brouille entre Abidjan et la Banque mondiale. Guy-André Kieffer est-il alors soupçonné d’être l’informateur de ces deux publications ? Le 16 avril, le journaliste disparaît. Et quelques jours plus tard, dans le fouillis de sa voiture, les enquêteurs retrouvent par terre un exemplaire du Nouveau Réveil.
Le dernier homme à avoir vu vivant le journaliste franco-canadien est l’homme d’affaires ivoirien Michel Legré, beau-frère de Simone Gbagbo. Incarcéré à Abidjan depuis le 28 mai, Michel Legré est le suspect numéro un. Quel rôle a-t-il pu jouer dans la disparition de Guy-André Kieffer ? « Il a servi de chèvre pour appâter mon mari. Il lui a tendu un piège », dit aujourd’hui Osange Silou-Kieffer, partie civile dans la procédure. Si c’est le cas, pour qui a-t-il fait la « chèvre » ?
Au cours d’un premier interrogatoire au mois de mai dernier à Abidjan, Michel Legré a mis en cause plusieurs membres de l’entourage de Laurent Gbagbo. Après plusieurs mois d’atermoiements, cinq d’entre eux ont enfin accepté d’être interrogés début octobre à Abidjan par le juge français Patrick Ramaël et sa collègue Emmanuelle Ducos. À première vue, ces auditions n’ont pas beaucoup fait progresser l’enquête. Tous les témoins interrogés ont affirmé être totalement étrangers à l’affaire. De fait, aucune pièce du dossier n’accable Bertin Kadet, l’ancien ministre de la Défense devenu conseiller pour la sécurité à la présidence, ou Moïse Koré, le conseiller spirituel du couple présidentiel.

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Mais Aubert Zohoré, le directeur de cabinet du ministre de l’Économie et des Finances Paul Bohoun Bouabré, n’est pas un témoin comme les autres. Le jour de la disparition de Guy-André Kieffer, il a parlé à plusieurs reprises avec le suspect, Michel Legré. Le relevé des appels téléphoniques de ce dernier le prouve. Et aujourd’hui les magistrats enquêteurs disposent de deux éléments nouveaux. En avril dernier, le ministre Paul Bohoun Bouabré était lui-même en relation étroite avec Michel Legré. Et, à la même époque, le pouvoir ivoirien s’inquiétait beaucoup des révélations de la presse sur les transferts de fonds en Guinée-Bissau.

Au terme de son troisième séjour à Abidjan, le juge Ramaël veut être en mesure d’interroger en toute quiétude le suspect Michel Legré. Pas facile à la Maca, la maison d’arrêt et de correction d’Abidjan. Aujourd’hui, il demande donc à la justice ivoirienne le transfert provisoire en France de Michel Legré. Laurent Gbagbo acceptera-t-il ? Les cinq personnalités ivoiriennes auditionnées par le magistrat français à Abidjan n’auraient pas accepté de subir une telle épreuve sans le feu vert de Laurent Gbagbo. Le pouvoir ivoirien entend donc collaborer avec la justice française. Jusqu’où ? La réponse est sans doute politique. Six mois après la disparition du journaliste franco- canadien, l’enquête progresse à petits pas. C’est mieux que l’enlisement.

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