Grands desseins, petits pas…
La réélection du président Ben Ali était pour le moins prévisible. Mais l’opposition aura pu démontrer son existence à l’occasion des scrutins du 24 octobre.
En visite officielle à Tunis, les 12 et 13 octobre, le président sud-africain Thabo Mbeki a souligné la volonté de son pays de s’inspirer de l’expérience tunisienne. « La Tunisie connaît un développement notable au niveau de l’infrastructure et de l’économie. La qualité de la vie y est meilleure [qu’en Afrique du Sud] », a-t-il notamment dit.
Cet éloge appuyé au pays hôte et, par ricochet, à son président, Zine el-Abidine Ben Ali, qui briguait un quatrième mandat de cinq ans, a été apprécié par les militants du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, parti au pouvoir). Il a aussi suscité l’agacement chez une partie de l’opposition, qui y a vu une intrusion, « inopportune et déplacée », dans la campagne électorale pour les élections présidentielle et législatives qui venait de démarrer trois jours auparavant.
Au moment où ce numéro de J.A.I. sera (peut-être) mis en vente, le président Ben Ali aura sans aucun doute été réélu. Les Tunisiens, qui ont salué son arrivée à la tête de l’État en 1987 et qui l’auront porté à nouveau, le 24 octobre, à la magistrature suprême, n’ont pas attendu les éloges de Mbeki pour se décider à lui accorder leurs suffrages. Le résultat de la présidentielle était pour le moins prévisible. Car il faut admettre, au risque de choquer, que Ben Ali a remporté le combat faute de combattants. Au lendemain de l’élection de 1999, qui a vu le président sortant l’emporter par 99,44 % des suffrages face à deux « vrais-faux » candidats, les formations de l’opposition n’ont pas su constituer un front commun face au parti au pouvoir. Ils n’ont pas su non plus travailler en direction des électeurs et, surtout, de ceux parmi eux qui ont l’habitude de bouder les urnes – près de deux millions de personnes n’ont pas de carte électorale – afin de les rallier à leur cause. Enfin, ils n’ont pas su empêcher l’amendement de la Constitution par un référendum organisé en mai 2002, qui a mis fin à la limitation des mandats présidentiels et élevé la limite d’âge des candidats à 75 ans, permettant ainsi à Ben Ali, aujourd’hui âgé de 68 ans, de briguer un quatrième voire un cinquième mandat.
La campagne électorale, qui s’est déroulée du 10 au 22 octobre, fut certes assez animée. Elle a démontré, néanmoins, l’ampleur du déséquilibre entre les forces en présence. Car il y avait, d’un côté, la redoutable machine électorale du RCD, avec ses meetings grandioses, ses défilés imposants et ses militants volontaires et disciplinés, qui ont quadrillé le pays grâce, notamment, au soutien logistique et humain d’une administration totalement dévouée à leur cause. Et, de l’autre, des partis d’opposition timorés, sans grands moyens et, surtout, pour certains d’entre eux, en panne d’idées. Ils se sont contentés de faire acte de présence, en espérant remporter le maximum des 37 sièges que doit (juridiquement) leur concéder le parti au pouvoir, sur les 189 que comptera la nouvelle Chambre des députés (contre 34 sur 172 pour la précédente législature).
Conscients du déséquilibre des forces et sachant leur marge de manoeuvre réduite, les militants du Parti de l’unité populaire (PUP) et du Parti social libéral (PSL), dont les secrétaires généraux, Mohamed Bouchiha et Me Mounir Béji, étaient candidats à la présidence, comme ceux du Mouvement des démocrates socialistes (MDS), de l’Union démocratique unioniste (UDU), et du Parti démocrate progressiste (PDP), dirigés respectivement par Ismaïl Boulahya, Me Ahmed Inoubli et Me Néjib Chabbi(*), se sont donc lancés dans la campagne avec des ambitions mesurées, tout en pensant à l’avenir. Car, pour eux, le scrutin du 24 octobre n’était rien d’autre qu’une simulation, une répétition générale ou un « exercice de démocratie »… Lequel, à dire vrai, dure depuis 1981, date des premières élections pluralistes organisées dans le pays – les résultats ayant été à l’époque falsifiés par le pouvoir.
Pour des électeurs pragmatiques, qui rêvent d’alternance mais refusent de courir les risques éventuels qui y sont liés, il n’y avait donc pas photo. « Yabta chouia ! » (« Il faut attendre encore un peu ! »), lançait, sur un ton moqueur, un militant du RCD à un opposant qui se plaignait des médias nationaux – surtout audiovisuels, qui sont encore sous monopole d’État – parce qu’ils favorisaient, c’est un euphémisme, les candidats du parti au pouvoir.
Les scrutins présidentiel et législatif du 24 octobre n’ont-ils donc été d’aucune utilité ? Si, bien sûr. Car, outre leur portée pédagogique, qui a été soulignée par certains candidats, ils ont permis aux formations politiques légales – qui ne se manifestaient guère jusque-là que par des communiqués de presse aussi fastidieux que redondants – de prouver leur existence à travers une série d’activités publiques (affichage urbain, meetings populaires, passages à la télévision, etc.), de tester leurs capacités de mobilisation, notamment dans les régions, et d’évaluer leur potentiel électoral. On peut espérer qu’ils continueront à occuper ces espaces de liberté si difficilement acquis.
Ces scrutins ont aussi fourni l’occasion à des formations radicales, comme le Congrès pour la république (CPR), le mouvement islamiste Ennahdha, tous deux interdits, ainsi qu’à des personnalités de gauche et des intellectuels indépendants de se réunir à Paris, le 18 octobre, pour appeler à la tenue d’une « Conférence nationale démocratique » chargée de « préparer l’alternance » et de « bâtir un nouveau système politique restituant au peuple sa souveraineté, au citoyen ses droits et redonnant aux élections leur fonction et leur dignité ». S’agit-il là d’une simple gesticulation médiatique d’individus (et de groupes) politiquement marginalisés ou d’une stratégie susceptible de bouleverser la donne politique dans le pays ? Réponse aux prochaines élections en… 2009.
* Ce dernier, dont la candidature n’a pas été acceptée au prétexte que son parti n’est pas représenté au Parlement, a appelé au boycottage de l’élection présidentielle, afin de « protester contre une loi électorale inique », mais son parti a présenté des listes aux législatives. Seul parti légal à avoir boycotté les deux scrutins : le Forum démocratique pour la liberté et le travail (FDLT), dirigé par Mustapha Ben Jaâfar. Celui-ci entend ainsi « rompre clairement avec un système qui dénie le droit à la différence ».
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