Faïza Guène, ou Candide en banlieue

Elle n’a que 19 ans. Son livre, « Kiffe Kiffe demain », chronique de la vie dans une cité de la région parisienne, est un best-seller en France.

Publié le 26 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Pour son premier roman, Faïza Guène, Française d’origine algérienne, a eu droit aux honneurs du prestigieux magazine américain Newsweek. Toute une page, que sa mère conserve jalousement dans son press-book. À 19 ans, elle est devenue la coqueluche des médias. Un portrait dans un hebdomadaire par-ci, une invitation à un plateau télé par-là, Faïza fait son apprentissage du monde de la communication. « Je ne me rends pas compte de ce qui m’arrive. Je trouve bizarre l’engouement des journalistes pour mon livre », commente-t-elle naïvement.
Kiffe Kiffe demain est le journal d’une adolescente des quartiers difficiles de la banlieue parisienne. Doria, 16 ans, vit avec sa mère. Le père, retraité de chez Renault, époux indigne et mari effacé, quitte femme et enfants pour retourner au Maroc et chercher une épouse plus jeune à même de lui donner un héritier mâle. « Alors, un jour, le barbu a dû se rendre compte que ça servait à rien d’essayer avec ma mère et il s’est cassé. Comme ça sans prévenir », écrit-elle.
L’absence du père ne se fait pas trop sentir, car Yasmine, la maman de Doria, est omniprésente. Femme de ménage dans un hôtel de Bagnolet, elle est illettrée. Parce que, tout simplement, dans le bled d’où elle vient, les filles ne vont pas à l’école. Elles sont de corvée à la maison en attendant de se marier avec le premier venu, la puberté à peine venue.
Entre la mère et Doria, une multitude de personnages complètent la galerie de portraits de Kiffe Kiffe demain. Hamoudi, l’ex-taulard, le pote de la cité qui l’a connue alors qu’elle était « haute comme une barrette de shit ». La psychologue, Mme Burlaud, celle qui « met des porte-jarretelles et sent le Parapoux ». Aziz, « l’épicier le plus radin de la terre », « l’arnaqueur de premier choix », bref l’Arabe du coin, celui à qui Doria espère fourguer sa mère en secondes noces. Mais, à l’instar du père fuyard, Aziz finira par épouser une jeune femme du Maroc.
Il y a aussi Nabil, le petit ami qui récite des poèmes de Rimbaud pour impressionner Doria. La fausse tante Zohra, une « vraie femme », une « femme forte » parce qu’elle accepte que son mari polygame vive avec elle à mi-temps : il passe six mois avec la tante à Paris, et six mois avec sa seconde épouse gardée « en jachère » en Algérie. Hautes en couleur également, les assistantes sociales de la mairie qui passent régulièrement pour aider la famille. Comme Mme Dutruc, celle qui débarque à la maison, bronzée, grâce à « douze séances d’UV offertes par les instituts de soins de beauté « La Belle Gueule » », ou Mme Dubidule, la Barbie qui a aidé la mère à dénicher une formation.
Sorti en août dernier, le livre s’est déjà vendu à 30 000 exemplaires. La critique salue l’humour féroce de la jeune romancière et certains n’hésitent pas à parler de « Sagan des banlieues ». Faïza Guène récuse l’étiquette : « Je refuse d’être la porte-parole de quoi que ce soit. Il faut rester à sa place. Je ne suis ni la Sagan des cités, ni la Beurette de service », proteste-t-elle.
On découvre chez cette jeune fille un étonnant mélange de candeur et de maturité. Candeur parce qu’elle n’a pas prémédité son coup et n’a pas fait de la publication de son livre une obsession. Maturité parce que le succès ne lui monte pas à la tête, même si les gens du quartier l’appellent désormais « la star ». Les sollicitudes l’indisposent. « Je suis devenue reconnaissable quand je marche dans la rue. Cela me gêne énormément », dit-elle.
À l’université, où elle suit des études de sociologie, les choses se passent mieux. « Là, je passe inaperçue. Pourvu que ça dure », s’amuse Faïza. Et comme pour faire un pied de nez à l’univers de la télé, elle a refusé un poste de chroniqueuse qu’une grande chaîne lui proposait au lendemain d’une émission à laquelle elle avait été invitée. Chroniqueuse à la petite semaine, ça ne l’intéresse pas. Étonnant chez un auteur dont le roman est truffé de références au monde de la télévision ? « Je veux écrire, déclare-t-elle, pas passer à la télé. »
C’est que, dans la famille Guène, le livre est un objet sacré, et la littérature une nourriture quotidienne autant que les plats mitonnés par la mère. « Chez nous, le livre est vénéré. Ma mère veille à ce que nous n’écornions pas les pages et supporte encore moins que nous les salissions », confie-t-elle.
La publication de son roman tient à un heureux concours de circonstances. Faïza écrit trente pages qu’elle fait lire au président de l’association à laquelle elle apporte son concours à la cité. Le manuscrit passe d’une main à une autre et atterrit chez Hachette Littérature. Les éditeurs sont de suite emballés. Faïza reçoit un coup de fil. « Tu veux signer un contrat ? » lui demande-t-on. En guise d’à-valoir, elle touche un chèque de 1 500 euros.
Premier roman et premier succès à 19 ans : trop gros, trop tôt pour une fille de banlieue ? Assurément pas. À 7 ans, Faïza participait à la confection d’un journal avec ses camarades d’école. À 13 ans, elle faisait déjà partie d’une association qui tentait « de faire émerger la parole dans les quartiers dits sensibles ». Nom de l’association ? « Les Engraineurs ».
La graine Faïza a germé, et la romancière en herbe attendra son heure pour faire complètement ses preuves. D’ici là, elle s’est mise au cinéma amateur. Elle réalise un moyen-métrage sur les ratonnades du 17 octobre 1961 à Paris. Un moyen de rendre hommage, dit-elle, à son père qui en fut une victime. Sa mère ne sera pas en reste. Elle sera l’héroïne d’un petit film dans lequel elle campe le rôle d’une femme divorcée avec trois enfants sur les bras. L’intrusion de Mme Guène dans le cinéma est le produit d’un autre concours de circonstances. Parce que l’actrice principale, la mère d’un camarade de lycée, fait faux bond à la dernière minute, Faïza sollicite sa maman. Celle-ci apprend son texte en quelques heures et s’improvise actrice pour faire plaisir à sa fille. Faïza savoure sa revanche. « Pendant seize ans, c’est elle qui me dirigeait. Le temps d’un film, on a inversé les rôles. Ce n’était pas si mal », rit-elle.
Avant de se lancer dans une nouvelle aventure littéraire, Faïza Guène a repris ses études à la fac. Son rêve : tourner un film au pays de ses parents, l’Algérie.

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