Entre cantiques et ndombolo

Les Congolais sont toujours aussi friands de rythmes en tout genre. Mais face à la déferlante des oeuvres venues de Kinshasa et à la percée des productions religieuses, les artistes locaux ont du mal à se faire entendre.

Publié le 25 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

Au Bureau congolais des droits d’auteur, la société de défense des artistes du Congo créée en 1986, on est préoccupé. Les dernières statistiques du BCDA révèlent en effet que 90 % de la production diffusée dans le pays est d’origine « étrangère », notamment du Congo-Kinshasa. Sur 140 000 cassettes produites légalement en 2003, 20 000 seulement sont des oeuvres locales, avec près de 70 % de musique religieuse. « Même des artistes comme Roga Roga, le leader du groupe Extra Musica, sont aujourd’hui en perte de vitesse », constate un responsable du BCDA qui s’appuie sur le baromètre des redevances perçues par l’auteur ces trois dernières années. Après avoir touché des sommes plus que substantielles, ses droits ont chuté de plus des deux tiers entre janvier et septembre 2004.
Nombre de spécialistes ne cachent plus leur agacement face au « règne du ndombolo ». Auteur, compositeur et chroniqueur de musique, Claude Bivoua participe à la mise en place d’un Observatoire de la chanson congolaise. Pour lui, le déclin de la musique congolaise remonte à la fin des années 1980. Clément Ossinondé, rédacteur en chef du mensuel Panorama de la musique congolaise, évoque la conjoncture politique des années 1990 qui a été fatale à bien des artistes. Des orchestres ont perdu leur matériel, les salles de spectacles et les studios d’enregistrement ont été détruits à l’instar de l’Industrie africaine du disque, créée en 1982 et pillée en 1993.
Pourtant, le paysage musical s’est restructuré à partir des années 1990 autour des pôles tels que le Fespam (Festival panafricain de musique), dont quatre éditions se sont tenues à Brazzaville, et d’une dizaine de studios d’enregistrement qui ont vu le jour dans la capitale et à Pointe-Noire. Certains de ces studios tels que Média Vision ou Eben Eizer sont équipés pour produire des oeuvres de qualité respectable. En témoignent les derniers albums Tempelo, de Tabu Ley, Pool Malebo, de Balou Kanta & Luciana, ou encore Obligatoire, d’Extra Musica. Ferdinand Bassarila, directeur du BCDA, pense que la fausse note vient de l’étroitesse du marché : « Le Congo n’est pas suffisamment intéressant pour ceux qui veulent investir dans la production. » Argument complété par Nicolas Bissi, animateur du Centre culturel français de Brazzaville, qui conclut qu’« il faut que le rendez-vous ait lieu entre les différents opérateurs : producteurs, diffuseurs, pouvoirs publics, administrateurs. Ce qui est malheureusement loin d’être le cas aujourd’hui au Congo. »
En 1970, le compositeur brazzavillois Franklin Boukaka interprétait le célèbre « Pont sur le Congo », comme un appel à l’unification des deux pays mitoyens. Malgré son assassinat en 1972, ce pont existe dans tous les esprits. D’une rive à l’autre, de « Brazza la verte » à « Kin la belle », le fleuve charrie les rythmes de ces deux villes miroirs. Venue de la rive gauche, la vague du ndombolo a déferlé sur les capitales africaines, à commencer par Brazzaville, au début des années 1990. Si, à Kinshasa, c’est Wenge Musica qui a mené le bal, elle trouve écho à Brazzaville auprès de jeunes orchestres en quête de nouvelles sonorités. Entre une rumba en perte de vitesse, incarnée par les Bantous de la Capitale, et un soukouss – jugé trop désincarné – dont le chanteur Aurlus Mabélé s’est fait la figure de proue, ils choisiront le ndombolo. Des orchestres plus ou moins aguerris voient le jour parmi lesquels Extra Musica, Front CFA Musica, Top Musica, Imperia, Patrouille des Stars, Dallas Stars, Impressions des As, Waticanya, etc.
Plus d’une décennie après, la génération ndombolo règne encore, même si ses principaux ambassadeurs ne sont plus tout à fait les mêmes. Minés par des rivalités fratricides, de dissidences en scissions récurrentes, les groupes se décomposent et se recomposent au gré des mécènes du moment. Les plus constants dans la durée tirent le mieux leur épingle du jeu. C’est le cas de la bande à Roga Roga, Extra Musica Zangul, baptisé « champion d’Afrique », lauréat entre autres du Ngwomo Africa de Kinshasa en 1996, du Kora 2000 du meilleur groupe de la sous-région Afrique centrale et premier groupe du pays à avoir joué sur la scène du Zénith à Paris en 2001. Dans son sillage gravitent des formations comme Patrouille des Stars Authentique de Kevin Ngandembenga, G7 Nouvelle Griffe, du président Totiné Wallace, Z1 International de Pinochet Thierry, Durell Loemba et Cyril Malonga. Dans cet univers surchauffé, Bana Poto-Poto, orchestre créé par Bienvenu Faignond, administrateur maire de Poto-Poto, l’un des quartiers les plus cosmopolites de Brazza, a réussi le pari d’être sacré révélation de l’année 2003 avec un premier album, Matiti Mabé, entre rumba typique et ndombolo.
La musique religieuse populaire a elle aussi creusé son sillon. Des transports en commun aux bars en passant par les night-clubs et autres lieux d’ambiance, elle arrive même à rivaliser avec le ndombolo. Au point d’attirer des artistes issus de la musique dite profane. Après le pillage des éditions Pilo au sortir de la guerre de 1998, la production de la « musique sacrée » du Congo-Brazzaville a connu un ralentissement sensible. Le mouvement a aussitôt été récupéré de l’autre côté du fleuve, soutenu par une industrie phonographique qui doit largement sa vitalité aux médias confessionnels financés notamment par diverses églises de réveil, florissantes à Kinshasa. C’est de là que d’anciennes vedettes de la variété comme Debaba (Viva La Musica, Choc Stars) ou Carlito Lassa (OK Jazz, Choc Stars) proclament leur foi retrouvée. C’est donc essentiellement une musique religieuse populaire produite en RDC qui nourrit les âmes en peine du Congo-Brazzaville.
Pour échapper à la morosité musicale ambiante à Brazza, le public « guette la moindre note susceptible d’éviter la déprime ». Dans ce climat, la renaissance de certaines formations qui jouent sur la fibre nostalgique n’est pas pour déplaire à certains. Ainsi des Bantous de la Capitale, orchestre mythique des années 1960 à 1980 qui renaît pour la énième fois de ses cendres sous la houlette du saxophoniste Jean-Serge Essous, dit « Trois S », et grâce au soutien de Jean-Jules Okambando, actuel ambassadeur du Congo en Libye. Kosmos Mountouari, autre figure emblématique de la musique congolaise, vient de monter un nouveau groupe qui cherche encore son nom. Zao, auteur du désormais classique « Ancien Combattant », a créé un espace culturel pour la promotion des jeunes artistes musiciens congolais. Dans un tout autre registre, le rap, Scherzo, l’un des premiers adeptes du mouvement hip-hop sur la scène nationale, prépare la sortie d’un album éponyme produit par le Centre culturel français.
Arrosé par les vagues venues de l’autre rive, le Congo danse donc aux rythmes conjugués de la rumba et du ndombolo, les yeux levés vers le ciel. Certes, c’est Kinshasa qui fixe le tempo, mais cela ne semble pas gâcher outre mesure la fête dans les bars de Poto-Poto.

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