Au malheur des ouailles

La prolifération des sectes à Brazzaville devient préoccupante. D’autant que les nouveauxprophètes se révèlent souvent n’être que des escrocs.

Publié le 25 octobre 2004 Lecture : 5 minutes.

A Brazzaville, ils seraient entre 15 000 et 20 000 à avoir rejoint les églises dites de réveil. Une calamité pour certains. Le signe d’une montée de la spiritualité pour d’autres. Le phénomène a débuté discrètement dans les années 1980, le régime « marxiste » à parti unique de l’époque ayant instauré un contrôle rigoureux de la vie religieuse. À part les Églises traditionnelles (catholique, protestante et salutiste) ou prophétiques autochtones (kimbanguisme, christianisme prophétique), toutes les autres demandes de création d’association religieuse se heurtaient au refus des pouvoirs publics. C’est donc sous la forme de groupes ou de cellules de prières que le mouvement a commencé. Sous l’impulsion notamment des églises pentecôtistes anglo-saxonnes, en particulier américaines, qui multiplient leurs visites aujourd’hui, et des églises apostoliques africaines.
Il faudra attendre la Conférence nationale en 1991 pour que la liberté de culte soit proclamée, les églises nouvelles devant simplement être enregistrées au ministère de l’Intérieur. Très vite, les assemblées de prières déjà en place se structurent en associations confessionnelles, bientôt rejointes par une nuée de nouveaux mouvements qui se veulent « religieux ». « J’ai fondé, en mai 1985, la Cellule de prières de Bacongo, qui est devenue par la suite la Cellule de prières de Brazzaville avant d’être transformée en 1994, date de notre autorisation, en Communauté chrétienne de Brazzaville (CCB) », déclare l’apôtre autoproclamé Francis Gadenga, le leader de la CCB, qui, avec ses cinquante-trois « églises », dont dix à Brazzaville, est, de loin, l’une des plus importantes du genre au Congo. Aujourd’hui, la capitale compterait quelque cinq cents églises de réveil. Une liste toutefois difficile à établir, certaines n’ayant jamais déposé de demande de reconnaissance, leurs déménagements, disparitions, changements de dénomination, scissions étant fréquents. Ce qui rend le paysage « religieux » brazzavillois extrêmement mouvant.
Ces micro- et pseudo-églises fonctionnent sur la même base que les courants traditionnels. Elles ont leurs structures hiérarchiques, leur liturgie et leurs recettes religieuses, constituées de jeûnes, de cures d’âme et de veillées de prières. Quant à leurs leaders – qui s’autoproclament pasteurs, prophètes, apôtres, évangélistes -, ils sont souvent issus des élites urbaines instruites et socialement bien intégrées. Et sont de talentueux orateurs ! Difficile de devenir pasteur, en effet, si on n’a pas la tchatche…
Au Congo, ce phénomène est lié à la montée en puissance du « religieux ». Pour preuve, la pratique du bénédicité s’est répandue même chez d’ex-marxistes, jadis purs et durs. Quant aux chauffeurs de taxi de la capitale, ils ont tous sur leur pare-brise un autocollant annonçant que Dieu ou le Christ dirige désormais leur vie ! Toutes les églises de réveil élargissent leur assise populaire en « délivrant, exorcisant ou guérissant » par la prière. C’est l’aspect le plus connu de leur action. Si on y adhère pour « guérir » de toutes sortes de maux (misère, sorcellerie, maladies, chômage, etc.), on y vient aussi pour trouver de nouvelles formes de solidarité et de sociabilité. Voire pour se faire une « nouvelle virginité », après une vie de patachon. D’où leur succès aussi bien en milieu populaire que parmi l’élite. Pour des individus mal urbanisés, largement déstabilisés par la misère et les guerres qu’a connues le Congo durant les années 1990, quoi de mieux que ces assemblées qui les accueillent à bras ouverts dans leurs communautés de « frères et de soeurs en Christ » !
La proximité de Kinshasa, la capitale du Congo démocratique, où ce type d’églises pullule, explique la présence de nombreux pasteurs kinois à Brazzaville, notamment dans les quartiers nord, tout particulièrement à Talangaï, Poto-Poto et Moungali. « Les pasteurs brazzavillois, eux, sont plus présents dans les quartiers sud, particulièrement à Bacongo ou à Makélékélé, et à Mfilou », souligne Gadenga. En tout cas, tous élargissent leur influence – au détriment des Églises traditionnelles qui sont dépassées et ne condamnent pas vraiment le phénomène, peut-être de peur de perdre leurs fidèles et attendent avec impatience la libéralisation du paysage médiatique, pour créer leurs radios et leurs chaînes de télévision, à l’instar de ce qui se passe à Kinshasa.
Une critique fréquemment faite à ces « nouveaux ministères » porte sur la facilité avec laquelle leurs animateurs se déclarent « pasteurs ». Une simple « révélation », et le tour serait joué ! Pas vraiment, selon Gadenga, qui affirme qu’il faut d’abord être formé par un père spirituel pendant deux à trois ans avant de fonder un ministère. La tendance serait d’ailleurs à mettre un peu d’ordre. Avec le regroupement des églises au sein de structures comme la FAR (Fédération des assemblées de réveil), présidée par le pasteur Germain Lobota, ou le RAR (Rassemblement des assemblées de réveil), sorte de plate-forme dotée d’une doctrine et de règlements. Avec également la mise en place d’un organe faîtier qui aurait pour fonction de gérer l’intronisation pastorale. « À l’avenir, il faudra suivre une procédure précise pour devenir pasteur. On ne fera plus n’importe quoi avec n’importe qui », précise Gadenga.
Si elles ont été longtemps tolérées par les pouvoirs publics, le vent semble être en train de tourner. Les autorités sont décidées à mettre de l’ordre dans les activités de ces sectes, accusées d’escroquerie, de troubles à l’ordre public et de la dislocation des familles. En cause donc, l’argent extorqué à leurs ouailles par des pasteurs peu scrupuleux. Dénoncés également les nombreux divorces dont ces derniers sont responsables, faisant croire aux femmes mariées que Dieu leur donnera le mari idéal. Certains pasteurs sont même accusés, par leurs prétendues révélations, d’entretenir la croyance en la sorcellerie, qui est « à l’origine de nombreux cas d’assassinat », explique le ministre de l’Administration du territoire, François Ibovi. Sans parler du bruit qu’occasionnent les veillées de prières et autres cérémonies organisées par ces églises, dont la plupart ont élu domicile dans des lieux de fortune.
Un recensement de ces sectes est envisagé. En attendant, celles qui sont en situation irrégulière, qui trouvaient jusqu’alors des arrangements en se ralliant à des églises existantes, seront fermées jusqu’à nouvel ordre. Le « coup de gueule » des autorités congolaises début octobre a été apprécié par les Brazzavillois inquiets de l’ampleur que prend ce phénomène. « Enfin, l’État prend conscience du problème et fait preuve d’autorité. Nous ne voulons pas voir se développer chez nous ce qui se passe en face », martèle ce jeune chef d’entreprise en faisant allusion à l’hystérie religieuse kinoise. La fermeté dont viennent de faire preuve les autorités congolaises face au phénomène devrait être de nature à le rassurer.

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