Zuma, l’opinion et les juges

L’ex-numéro deux revient en force dans l’arène politique, après la décision du tribunal de mettre fin aux poursuites judiciaires intentées contre lui.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

On le voyait déjà au fond du trou. Éclaboussé par les scandales. Anéanti par les négligences accumulées depuis plusieurs années. En moins de six mois, et par deux fois, Jacob Zuma, limogé de son fauteuil de vice-président de la République d’Afrique du Sud en juin 2005, a frôlé la mort politique. À deux reprises, ses détracteurs, ainsi qu’une large partie des médias sud-africains, avaient prédit que la justice lui ferait la peau. Et voilà que, le 20 septembre, le président de la Haute Cour de justice de Pietermaritzburg (dans la province du KwaZulu Natal), Herbert Msimang, ordonne l’abandon des charges de corruption qui pèsent contre lui. L’accusation a mal ficelé son dossier et n’a pas apporté de preuves suffisantes pour montrer que deux filiales de l’entreprise d’armement française Thalès auraient accordé un pot-de-vin à Zuma, a estimé le juge. En mai déjà, il avait été blanchi dans le procès pour viol intenté contre lui par une « amie de la famille ». Jacob Zuma, qui retrouve là toutes ses chances de succéder en 2009 à Thabo Mbeki, serait-il un miraculé ?
Depuis ce jour de juin 2005 – quand Thabo Mbeki décide de le limoger après la condamnation à quinze ans de prison de son ami et ancien conseiller financier Shabir Shaik -, Jacob Zuma n’a jamais cessé de tenir le haut de l’affiche, pas plus qu’il n’a mis au placard ses habits de dauphin désigné.
L’air vainqueur et l’il fier, le sexagénaire était encore, deux jours avant le verdict du juge Msimang, acclamé par une foule de supporteurs. À l’occasion du 9e congrès de la Cosatu – la centrale syndicale qui forme l’alliance tripartite au pouvoir avec le Congrès national africain (ANC) et le Parti communiste (SACP) -, il a déclamé un discours digne d’un candidat à la présidentielle. Le 18 septembre, cet homme charismatique à la silhouette imposante a ainsi été ovationné par des délégués qui l’ont rappelé à la tribune et invité à entonner « Rendez-moi ma baïonnette », son cri de ralliement. Zuma a eu beau appeler à l’unité d’une alliance gouvernementale fragilisée par l’affaire qui porte désormais son nom, ses nombreux partisans au sein de la Cosatu retiennent surtout la ligne de fracture qu’il a ouverte depuis son départ de l’équipe au pouvoir.
Une partie de la population, les militants du SACP et ceux de l’aile gauche de l’ANC se sont également rangés derrière lui depuis qu’il clame, urbi et orbi, son innocence dans la sulfureuse affaire de pot-de-vin. Il soutient que le procès qui lui était intenté – ainsi que celui qui l’a déjà mené devant les tribunaux pour viol, en mai dernier – ne sont que le résultat d’un complot ourdi par ses adversaires pour l’écarter du pouvoir. Lors de la condamnation de Shabir Shaik, la Cour avait certes estimé que la « relation entre les deux hommes était généralement corrompue ». Soit. Qu’on l’écoute, qu’on lui donne la chance de donner sa version des faits, réclamait Zuma. Pour le moment, et jusqu’à ce que l’accusation puisse apporter un dossier complet, plus aucune charge ne pèse contre lui. À voir éclater la joie de ses partisans devant la Haute Cour de Pietermaritzburg, le 20 septembre, les Sud-Africains ont compris qu’il était de retour dans l’arène politique. Et pour de bon.
Les accusations de corruption qui ont pesé sur lui pendant plus d’un an, les révélations sur ses pratiques sexuelles qui ont été largement commentées lors du procès pour viol dont il est sorti blanchi, les soupçons de légèreté voire d’irresponsabilité face à la gestion du pouvoir et de l’argent que ses détracteurs ont soulignés à l’envi, auraient, dans n’importe quelle autre démocratie, fini par achever un homme politique, fût-il de la stature de Jacob Zuma. Mais dans une Afrique du Sud en construction, où la question de la succession de Thabo Mbeki agite déjà le pays, la popularité – quasi intacte – de l’ex-dauphin témoigne de la révolte de l’opinion vis-à-vis d’une élite politique qu’elle estime détachée de la réalité. C’est là que Zuma joue son va-tout.
Un des premiers leaders de l’ANC en exil à être rentré au pays en 1990, il s’est forgé une réputation de dirigeant politique proche du peuple. Entre 1990 et 1994, alors que sa région d’origine, le KwaZulu Natal, était menacée de guerre civile entre les partisans de l’ANC et ceux de l’Inkhata Freedom Front de Mangosuthu Buthelezi, il a su se faire accepter par les leaders du parti zoulou, et éviter, dans une large mesure, un bain de sang qui aurait réduit à néant le processus de transition. Aujourd’hui, les Zoulous lui en sont encore reconnaissants et, pour beaucoup, restent d’une fidélité sans faille à celui qu’ils considèrent comme le leader de l’ANC le plus digne de confiance. Ses récentes déclarations sur les orientations politiques à prendre dans les années à venir, fondées sur une plus grande générosité de l’État envers les couches défavorisées, n’ont fait qu’augmenter son capital sympathie.
Car, si « l’affaire Zuma » a d’ores et déjà ébranlé l’ANC ainsi que l’alliance gouvernementale, c’est qu’au-delà des conflits de personnes se jouent de réelles orientations économiques et idéologiques. Thabo Mbeki mène depuis 1999 une politique austère, fondée sur la maîtrise des dépenses publiques, qui a engendré une forte croissance et attiré de nombreux investisseurs étrangers. Le Black Economic Empowerment (politique d’encouragement à l’épanouissement des minorités historiquement opprimées) a certes favorisé l’apparition d’une élite noire très riche. Mais tout cela au détriment d’une politique sociale réduite à sa plus simple expression. C’est en tout cas ce que prétendent les partisans de Jacob Zuma, qui dénoncent en même temps la vieille garde de l’ANC.
D’origine plus populaire que Mbeki (l’aristocrate « élitiste » toujours engoncé dans ses costumes trois pièces impeccables), moins proche des milieux d’affaires et des puissances étrangères, Zuma serait plus à même de comprendre les besoins des laissés-pour-compte et de diriger le pays en leur faveur. Même si le principal concerné n’a jamais mis en cause les politiques menées par un gouvernement dont il a fait partie pendant six ans
Au sein de l’ANC, la bataille est de plus en plus rude entre les pro- et les anti-Zuma, et le combat pour la succession durera jusqu’à la conférence de décembre 2007, quand le parti désignera son candidat à la présidentielle. Restée longtemps une formation politico-militaire secrète et opaque, l’ANC commence seulement à voir ses tractations internes déballées au grand jour. Walter Sisulu, Oliver Tambo, Nelson Mandela, puis Thabo Mbeki : la nomination de ses dirigeants s’est toujours faite sans que l’opinion sud-africaine ait son mot à dire. La puissance et le fonctionnement du parti longtemps banni lui permettaient de prendre ses décisions en famille, dans la clandestinité.
Depuis « l’affaire Zuma », ce temps n’est plus. L’opinion – et notamment les médias qui ont été montrés du doigt pour avoir cloué l’ancien vice-président au pilori avant même de laisser à la justice le temps de faire son travail – s’en est mêlée et montre aujourd’hui sa grande division sur la personnalité de Zuma. Ce dernier vient de gagner une – énorme – bataille, mais il n’a pas gagné la guerre. Il lui faudra tout de même se racheter une image auprès des dirigeants de l’ANC et des élites sud-africaines. Pendant ce temps, certains continuent d’affûter leurs couteaux dans la perspective de la grand-messe de l’ANC de décembre 2007.

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