Tous comptes faits…

Depuis le 28 avril dernier, le pays bénéficie d’un allègement substantiel de sa dette. Une mesure qui vient récompenser une décennie de réformes économiques. Et qui devrait bientôt porter ses fruits. Bilan.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 8 minutes.

Le Cameroun a atteint le 28 avril 2006 le « point d’achèvement de l’initiative de réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) renforcée ». En termes clairs, cela signifie que la communauté internationale a reconnu ses efforts d’assainissement économique et décidé d’effacer une large partie de sa dette publique extérieure. Cette opération comprend plusieurs éléments :
– une annulation de dettes correspondant à 27 % du stock global de 1999, soit (en valeur actualisée nette) 1,27 milliard de dollars ;
– la mise en uvre de l’accord du G8 de 2005 qui efface toutes les dettes subsistant envers les créanciers multilatéraux (FMI, BAD et Banque mondiale), soit 1,12 milliard de dollars en valeur nominale ;
– la décision du Club de Paris d’annuler la quasi-totalité de ses créances (stock de 1999) hors aide publique au développement, soit, en valeur nominale, 2,55 milliards de dollars s’ajoutant aux 921 millions de l’initiative PPTE ;
– la décision de la France d’annuler ses créances dans le cadre du contrat de désendettement et de développement (C2D).
La dette publique extérieure du Cameroun sera ainsi ramenée de 33 % à 3 % du PIB à la fin 2006. En contrepartie, le pays s’est engagé à consacrer les sommes économisées au financement de programmes de lutte contre la pauvreté, sous le contrôle des bailleurs de fonds. « Et des contrôles, il y en aura », prévient Laurent Ngangue, secrétaire permanent du comité PPTE.
Sur les cinq prochaines années qui le mèneront au terme du septennat du président Paul Biya, le Cameroun disposera ainsi de quelque 1,6 milliard d’euros. Peut-il, en dépensant 20 euros de plus par habitant et par an, justifier les attentes d’une population à laquelle on a fait miroiter le point d’achèvement comme le début d’une ère nouvelle de prospérité ?
En supposant une croissance effective de 6 % par an (hypothèse plutôt optimiste, puisque la prévision pour 2006 est seulement de 4,7 %), celle-ci ne sera en réalité que de 3,5 % par habitant compte tenu de l’augmentation de la population, soit un saut de 20 % sur cinq ans pour chaque Camerounais. « Les objectifs du Document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP) ne suffiront pas à rattraper le déclin du pays pendant les années 1990 », dit-on au ministère des Finances. Pour honorer son engagement, le gouvernement ne pourra se contenter de garantir la croissance, d’autant que, selon l’expérience récente, celle-ci n’a pas d’impact immédiat sur le niveau de vie des plus démunis. « Le facteur déterminant est le niveau des prix et des volumes de la production agricole, lesquels évoluent indépendamment des politiques macroéconomiques du gouvernement », déclare un responsable de l’Institut national de la statistique (INS).
Celui-ci devra donc « gérer » la croissance de telle façon que la perception du peuple, en termes de réduction de la pauvreté, aille au-delà de ce que laissent miroiter les chiffres. Cela suppose que chaque franc CFA de dépense publique soit attribué selon des critères de sélection rigoureux. Et cela induit des politiques volontaristes de redistribution des revenus au profit des plus démunis. Démonstration : compte tenu du fait que les dépenses de consommation des 20 % les plus aisés sont huit fois plus importantes que celles des 20 % les plus pauvres, si la consommation des premiers n’augmentait que de la moitié du taux moyen prévu sur cinq ans (soit + 10 %, contre + 20 %), cela permettrait de doubler la dépense de consommation des seconds : le résultat serait alors perceptible.
Le Cameroun a déjà engagé, et va poursuivre avec des moyens accrus, une politique de grands travaux, capable à la fois de réduire certains obstacles à la croissance, d’avoir un effet d’entraînement sur l’économie et de lutter localement contre la pauvreté. Ces travaux, ayant un impact politique fort dès leur engagement, apporteront les mêmes bénéfices que la construction, achevée en 2003, de l’oléoduc Doba-Kribi qui avait donné du travail à six mille personnes. C’est le cas du programme routier (bitumage de 200 km de routes par an et construction d’ouvrages d’art, dont un second pont à Douala), essentiel pour acheminer à moindre coût les productions vivrières sur les marchés, pour évacuer les produits d’exportation (bois et minerais) et pour contribuer à l’intégration de l’Afrique centrale. Idem pour la construction d’infrastructures de production et de distribution d’électricité qui permettrait de satisfaire les demandes d’un nombre croissant d’abonnés (23 % des ruraux ont aujourd’hui accès à l’électricité) et d’assurer la continuité du service. Ce sont aussi l’amélioration des installations ferroviaires et portuaires, le développement du secteur minier (exploitation de la bauxite dans l’Adamaoua, construction d’une usine d’aluminium, extraction de cobalt et de nickel), une première mise en valeur des ressources gazières pour la production d’énergie électrique. Enfin, au prix actuel du baril, on peut penser que toute découverte pétrolière donnera lieu à une mise en exploitation rapide.
Pour mener à bien ces grands travaux, le Cameroun ajoutera à l’épargne nationale des financements extérieurs, investissements étrangers mais aussi ressources d’emprunt, car l’annulation de la dette excessive des années 1990 n’interdit pas de revenir à un taux « normal » d’endettement de 10 % à 15 % du PIB, soit un potentiel de 1,5 milliard à 2 milliards d’euros. « Mais avec l’amélioration de sa situation, le Cameroun devra payer un peu plus cher pour ses emprunts auprès des institutions multilatérales », prévient le FMI.
S’agissant des politiques sectorielles financées par le budget de l’État, le Cameroun se prépare à privilégier la santé, le logement et l’éducation, secteurs traditionnellement les plus révélateurs de la pauvreté. Dans ces domaines, les défaillances des services publics peuvent avoir des conséquences dramatiques. Sachant par exemple qu’un tiers des accouchements ont lieu en dehors de toute structure médicale, et que 45 % des enfants n’ont pas reçu les vaccinations de base, il n’est pas étonnant que le taux de mortalité infantile atteigne 6,4 %. « Quand un paysan est mordu par un serpent, il meurt sur place, car il n’y a pas d’ambulance et le dispensaire est parfois à plus de 20 km », remarque Martin Nzegang, rédacteur en chef de La Voix du paysan.
De même pour l’insalubrité des quartiers de Yaoundé et de Douala, où 22 % seulement des logements disposent de latrines avec chasse d’eau, ce qui entraîne des taux élevés de maladie (paludisme, diarrhées). Mais la pauvreté agit aussi par un inexorable enchaînement, avec une traduction monétaire et un effet d’exclusion durables : l’enracinement familial dans la pauvreté rend problématiques les stratégies de réinsertion, et l’argent public n’a qu’un effet de soulagement temporaire.
S’agissant du logement en milieu urbain (où l’accroissement de la population atteint 7 % par an), on part d’un niveau si bas qu’on voit mal quelles politiques directes pourraient avoir un impact massif d’ici à cinq ans, d’autant que chaque réhabilitation gratuite risque d’attirer de nouvelles couches de migrants insolvables des campagnes vers les villes. En revanche, l’aménagement urbain, la voirie, l’assainissement, l’accès à l’eau potable et à l’électricité sont des domaines qui requièrent une action d’urgence. Mais les ressources additionnelles seront de peu d’effet si elles sont mal utilisées – « il pourrait même y avoir destruction de valeur si l’argent prélevé sur les entreprises s’égare dans les méandres de l’administration », souligne Justin Fotsing, du Groupement interpatronal du Cameroun (Gicam) – ou si elles quittent les circuits officiels. C’est là toute la problématique de la gouvernance.
Des actions énergiques ont déjà bien assaini le processus de dépenses publiques : présentation du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale dans les délais et les formes prescrits, regroupement dans un même document de toutes les dépenses publiques, suivi de la dépense par un système de traçabilité informatisé jusqu’au bénéficiaire final, révision des procédures d’attribution des marchés publics avec généralisation des audits. On confond souvent la gouvernance avec la seule lutte contre la corruption, qui en fait partie certes. La corruption peut être éradiquée si la volonté politique est présente. « Sur les 28 milliards du budget de l’agriculture en 2004, seulement 5 % sont arrivés sur le terrain ! » s’indigne Bernard Njonga, président de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs du Cameroun (Acdic). Mais la bonne gouvernance exige des agents de l’État une attitude positive : il faut les encourager à bien faire et pas seulement les empêcher de mal faire.
Les fonctionnaires indélicats qui réclament au public de l’argent pour des prestations gratuites, pour une prétendue protection, ou pour faciliter l’accès à divers services font valoir la modestie des salaires qui ne leur permettent pas de vivre dans des conditions correspondant à leur statut et à leurs responsabilités. L’INS relève que 30 % du coût du transport des denrées alimentaires des villages aux marchés urbains est imputable aux contrôles de police. De fait, la généralisation de ces pratiques a coïncidé avec les réductions de salaires de 60 % opérées en 1994. Bernard, fonctionnaire de catégorie A, 35 ans, travaillant à Yaoundé au ministère des Finances, perçoit un salaire net mensuel de 220 euros. Il dépense 60 euros pour se loger (loyer, eau, électricité), 3 euros par jour pour nourrir sa famille (une marmite de légumes mijotée avec un occasionnel morceau de viande) et 1,20 euro par jour ouvré pour le taxi collectif. Restent 35 euros par mois pour tout le reste, y compris se vêtir, le costume-cravate étant de rigueur dans la haute administration. Comment survivre, et comment s’étonner que ce garçon recoure, de son propre aveu, à certaines « petites opérations » qui lui permettent en fin de compte d’utiliser un portable, d’acheter des journaux et de dépenser parfois une dizaine d’euros au restaurant ? Et comment s’étonner qu’il pose régulièrement sa candidature aux loteries d’attribution de permis d’immigrer aux États-Unis ?
Le sujet est sensible, et l’appétit pour les augmentations de salaires est inextinguible. « Il y a plus de danger que d’avantage politique à attendre d’un effort budgétaire sur lequel on ne pourra plus revenir, insiste un expert de la Banque mondiale. Mais le Cameroun décidera. » Si le gouvernement doit redistribuer les revenus en faveur des plus pauvres, rien ne dit que l’équation « salaire accru = corruption réduite » fonctionnera. Mais la mesure aurait un effet salutaire de relance par la demande des ménages. Quoi qu’il en soit, le débat ne pourra être évité.
Il est clair que toutes ces politiques seront plus aisément mises en uvre si le dialogue démocratique retrouve tous ses droits. Si c’est à leur ministre que les fonctionnaires rendent des comptes, c’est devant le peuple que les ministres doivent se justifier. Mais la démocratie n’est pas seulement punitive ; elle est aussi le seul moyen pour l’État de faire certains choix difficiles avec le soutien de l’opinion. Le gouvernement va devoir déterminer les priorités d’utilisation des fonds publics libérés par l’annulation de la dette. Pour résister aux ingérences, rien de tel qu’une légitimité appuyée sur le débat public préalable. Et sur une volonté populaire clairement exprimée.

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