RSF chez Kadhafi

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Après avoir autorisé la venue à Tripoli d’enquêteurs d’Amnesty International et de Human Rights Watch, les autorités libyennes ont accueilli, du 13 au 17 septembre, Robert Ménard, le secrétaire général des Reporters sans frontières (RSF), et Lynn Tehini, l’une de ses collaboratrices. « C’est la première fois que des membres de RSF se voient délivrer des visas d’entrée », se félicite le patron de l’ONG, dont les rapports avec la Jamahiriya sont notoirement exécrables. À longueur de rapports, RSF dénonce en effet, depuis des années, l’absence de toute liberté de la presse dans le pays du « frère leader Mouammar Kadhafi ».
Il semble que le soutien sans faille apporté par l’organisation à Abdel Razak al-Mansouri, un cyberdissident arbitrairement arrêté en janvier 2005, puis condamné à dix-huit mois de prison ferme, ait particulièrement irrité le régime. Au lendemain de la libération de celui-ci, au mois de mars, Achor Tilissi, le président de la Ligue des journalistes libyens – un « syndicat » totalement inféodé au pouvoir – a approché l’ONG. « Il est venu dans nos locaux parisiens et m’a invité à me rendre en Libye », révèle Ménard. Tilissi soutient que son pays, qui n’a selon lui rien à cacher, a tout intérêt à jouer franc jeu avec RSF. Au sein de la direction libyenne, certains n’en sont apparemment pas convaincus. En tout cas, ils ont réussi à retarder la date du voyage.
Ménard n’a été reçu ni par le « Guide » ni par al-Baghdadi al-Mahmoudi, le chef du gouvernement, mais a rencontré Mohamed Houeich, le vice-Premier ministre, Abdel Magid Edderssi, le vice-ministre de l’Information et de la Culture, et Abdel Razak al-Dahech, le patron de l’Office général de la presse, qui édite trois quotidiens nationaux : Al Jamahiriya, Al Chams (Le Soleil) et Al Fajr Al Jadid (La Nouvelle Aube). À noter qu’il existe un quatrième quotidien, Azzahf Al Akhdar (La Marche verte), qui est l’organe du Mouvement des comités révolutionnaires (MCR), le « parti » unique de Kadhafi.
Le patron de RSF s’est également entretenu avec des journalistes de la presse écrite et des médias audiovisuels, tous contrôlés par l’État. Échanges sans grand intérêt, de son propre aveu : « Les gens ont peur, explique-t-il. En public, ils ressassent tous la même langue de bois, on a l’impression qu’ils se méfient les uns des autres. » Certes, certains se laissent aller, en privé, à de virulentes critiques à l’égard du régime, mais toujours sous le couvert de l’anonymat. Seul Mansouri, le cyberdissident libéré – que les membres de RSF ont pu rencontrer – assume ses positions en toutes circonstances.
Devant Salah Abdessalam, le directeur de la Fondation Kadhafi pour le développement (que préside Seif el-Islam Kadhafi, le « fils de »), RSF a évoqué le cas de deux autres journalistes victimes de la répression : Daif Ghazal, torturé à mort en mai 2005 par des éléments du MCR, et Abdallah al-Sanoussi al-Darrat, détenu dans un lieu secret depuis1973. « Pour le premier, on m’a informé que l’enquête policière est bouclée et que le dossier allait être transmis à la justice », révèle Ménard. Pour le second, en revanche, il n’a pu obtenir la moindre information, mais « le directeur de la fondation m’a promis d’enquêter sur son sort, je le relancerai dans quelques semaines ».
S’il se réjouit que l’accès à Internet et aux chaînes de télévision satellitaires soit « totalement libre », le patron de RSF n’a perçu au cours de son séjour tripolitain aucun signe d’un éventuel relâchement de l’emprise de l’État sur les médias. Dans ce domaine, regrette-t-il, les vieilles habitudes ont la vie dure.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires