Rachid Bouchareb : « Un film sert aussi à réparer des injustices »

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Pourquoi un film sur les « indigènes » d’Afrique ?
Rachid Bouchareb : Ce pan de l’Histoire m’interpelle en tant que réalisateur mais aussi en tant que Français fils de l’immigration. En consultant des archives du ministère français de la Défense, j’ai eu la surprise de découvrir que des gens de ma famille ont participé à la Seconde Guerre mondiale. Par ailleurs, un de mes oncles a été enrôlé aux côtés des Français durant la guerre d’Indochine. Avoir grandi pendant la guerre d’Algérie a été tout aussi déterminant pour nourrir ma réflexion à propos d’Indigènes.
Comment avez-vous travaillé le scénario ?
J’ai rencontré une centaine d’anciens combattants qui vivent au Sénégal, au Maroc, en Algérie mais également dans la région parisienne, à Marseille et à Bordeaux. Les témoignages de ces anciens tirailleurs, leurs vies, leurs parcours ont servi de matière première pour l’écriture du film. En parallèle, j’ai consulté des documents dans les bibliothèques.
Les personnages des quatre acteurs, Saïd, Messaoud, Yassir et Abdelkader, ont-ils réellement existé ?
Oui. Le personnage principal, Abdelkader, est directement inspiré du parcours de l’ancien président algérien Ahmed Ben Bella. Sergent dans l’armée française, celui-ci s’est illustré durant la Seconde Guerre mondiale. Comme des milliers d’autres tirailleurs, Ben Bella, donc Abdelkader, a cru aux promesses du général de Gaulle. Hélas, ces promesses n’ont jamais été tenues. J’ai rencontré le vrai personnage de Yassir, le goumier, dans un foyer pour vieilles personnes à Nantes. Saïd le berger, incarné à l’écran par Jamel Debbouze, a vraiment vécu en Algérie.
Le montage financier a été une entreprise laborieuse. Les partenaires français étaient-ils réticents ?
Jamel Debbouze a convaincu les autorités marocaines, l’armée royale ainsi que Royal Air Maroc d’apporter leur collaboration. La participation de l’Algérie n’a pas été moindre. France Télévisions ainsi que Canal+ ont aussi participé à la production. Monter un film à gros budget, plus de 14 millions d’euros, est une entreprise difficile. Il a fallu faire preuve de persuasion et de patience. Nous avons démarché l’Assemblée nationale, le Sénat ainsi que certains conseils régionaux de France. Je peux vous assurer que personne n’a demandé à lire le scénario. On pourrait croire que l’idée du film a nourri des réticences de la part de certains, mais cela n’a jamais été le cas.
Quel est le message véhiculé par le film ?
Indigènes est l’histoire de ces centaines de milliers d’Africains, âgés entre 16 et 20 ans, qui ont répondu à l’appel de la patrie. Ces hommes ont forcé l’admiration par leur courage et par leur bravoure. Pourtant, leurs sacrifices n’ont pas été reconnus ni honorés par la France officielle. Ce film pose donc la problématique de la relation entre l’empire colonial et les populations qui ont payé le prix fort pour que la France soit un pays libre. À mon sens, Indigènes ouvre une brèche dans la lecture et la compréhension de l’Histoire. Si, aujourd’hui, on parle des enfants de l’immigration, il faut aussi évoquer leurs grands-pères et leurs arrière-grands-pères qui se sont battus pour la France. Il y a soixante ans, ces tirailleurs ont été des héros, aujourd’hui, certains touchent des pensions dérisoires tandis que d’autres n’ont pas droit à la moindre indemnité. Le président Jacques Chirac, qui a visionné le film, a promis de réparer ce tort. Un film sert aussi à corriger ce genre d’injustice.
Une suite pour Indigènes ?
Nous avons encore un peu de temps, mais le film se fera dans deux ans. L’histoire, qui va commencer à Sétif au moment des massacres de mai 1945, se déroulera en Indochine pour s’achever avec le début de la Guerre d’Algérie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires