Quand Gbagbo défie l’ONU…

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Laurent Gbagbo d’un côté, le Groupe de travail international (GTI) de l’autre. À cinq semaines de l’expiration de la première transition, le bras de fer se durcit dangereusement en Côte d’Ivoire. Au moins l’enjeu est-il clair. Qui votera à la présidentielle de 2007 au plus tôt ? Le président ivoirien ne veut pas qu’on touche aux listes électorales existantes, sinon pour les actualiser. Les médiateurs internationaux du GTI – appuyés par l’opposition ivoirienne – veulent au contraire qu’on fasse de nouvelles listes pour y introduire les deux à trois millions d’Ivoiriens, qui, selon eux, n’ont pas été identifiés. Comme ces « sans-papiers » sont en majorité du nord du pays, Laurent Gbagbo n’a guère envie d’affronter un Alassane Ouattara et un Henri Konan Bédié renforcés par un tel capital de voix. Le ton monte depuis plusieurs semaines. Désormais, le président ivoirien accuse ouvertement le GTI d’être complice de l’opposition : « Ce qui compte pour eux [les médiateurs], c’est que Gbagbo ne soit plus président. »
Le 8 septembre, le conflit éclate au grand jour. Ce jour-là, en pleine crise des déchets toxiques, le GTI se réunit à Abidjan et réclame que, pour débloquer le processus de paix, les pouvoirs du Premier ministre de transition Charles Konan Banny soient renforcés « de manière décisive » lors du vote d’une nouvelle résolution de l’ONU sur l’après-30 octobre. À l’époque, on en parle peu. Tous les projecteurs sont braqués sur le drame des riverains d’Akouédo et des autres sites où ont été déposés les déchets du Probo Koala. Mais c’est peu de dire que ces recommandations sont très mal accueillies à la présidence. D’autant que les médiateurs n’hésitent pas à remettre en cause la sacro-sainte Constitution à laquelle s’arc-boute Laurent Gbagbo pour conserver l’essentiel de ses prérogatives. Il faut mettre fin à « la dualité institutionnelle » entre les pouvoirs du chef de l’État, qui sont régis par la Loi fondamentale, et ceux du Premier ministre, qui sont définis par l’ONU, affirme le GTI. Pour Laurent Gbagbo, c’est un casus belli.
En bon tacticien, le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, cherche alors à transformer l’essai. Il invite tous les acteurs politiques ivoiriens à une réunion le 20 septembre à New York en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Le rendez-vous était d’ailleurs fixé depuis le sommet de Yamoussoukro de juillet dernier. Objectif : faire valider les propositions du GTI. Mais le 14 septembre, Gbagbo contre-attaque. Devant un parterre d’officiers et de soldats réunis dans la cour du palais présidentiel, il lance : « Je n’irai pas à New York et n’y enverrai aucune délégation. Je ne veux pas cautionner la mascarade. Je n’irai pas pour protester contre la manière cavalière et impolie dont le GTI traite les histoires de mon pays. » À ses côtés, le chef d’état-major, le général Philippe Mangou, enfonce le clou. Il dénonce « la partialité maladive » de la communauté internationale.
Pour Kofi Annan, c’est une déconvenue qui s’ajoute à une autre : le blocage par la Russie et la Chine, quelques jours plus tôt, des sanctions envisagées contre Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale, et Pascal Affi Nguessan, le numéro un du FPI (le parti présidentiel). Mais le secrétaire général décide malgré tout de maintenir le rendez-vous. En d’autres temps, il aurait peut-être cherché un accommodement. Cette fois-ci, non. Le 20 septembre, dans la salle de conférences n° 6 de l’immeuble de verre des Nations unies, il parvient à réunir le Sud-Africain Thabo Mbeki, le Nigérian Olusegun Obasanjo, le Burkinabè Blaise Compaoré, le Ghanéen John Kufuor et les deux responsables de l’Union africaine (UA), Denis Sassou Nguesso et Alpha Oumar Konaré. Sont aussi présents Charles Konan Banny, Henri Konan Bédié, Alassane Dramane Ouattara et le chef de file des Forces nouvelles, Guillaume Soro. Bref, tous les acteurs ivoiriens, sauf un
D’entrée de jeu, Thabo Mbeki jette un froid : « Comme tout le monde n’est pas là, ce n’est peut-être pas le cadre pour prendre des décisions. » « Sans doute, répond en substance Kofi Annan, mais s’il manque quelqu’un, ce n’est pas de notre fait, et cette absence est regrettable. » Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara font alors deux propositions : le transfert au Premier ministre du pouvoir exécutif, avec notamment « la faculté pour le chef du gouvernement de disposer des Forces armées nationales », et la création d’un « Conseil de la République » qui contrôlerait l’action du gouvernement – un Conseil où cohabiteraient les principaux acteurs ivoiriens.
Les deux chefs de l’opposition ajoutent : « Il faut que les dispositions de la Constitution qui servent d’alibi pour organiser les blocages soient suspendues. Sinon, on suspend la Constitution ! » Le secrétaire général et les chefs d’État écoutent attentivement. Au bout de trois heures de discussion, le secrétaire général adjoint de l’ONU, Jean-Marie Guéhenno, sort et déclare : « Il y a aujourd’hui en Côte d’Ivoire des blocages graves qui ne vont pas permettre de tenir les élections à la date envisagée. Il est important d’agir dans l’urgence. Les décisions seront prises par la Cedeao dans une quinzaine de jours, puis par l’Union africaine et, en dernier ressort, par le Conseil de sécurité. » Prochain rendez-vous : sans doute le 4 octobre à Abuja. Ce sera la réunion de la Cedeao. Celle de l’UA devrait suivre le 17.
Que va faire Laurent Gbagbo ? La politique de la chaise vide a ses limites. D’autant que ses adversaires en profitent. Très présents à New York, ils le seront peut-être encore à Abuja. L’an dernier, le trio Bédié-Ouattara-Soro n’avait pas été invité au sommet de la Cedeao sur l’après-30 octobre. Cette année, il devrait l’être. Avec une stratégie : le nud coulant. Petit à petit, les trois hommes tentent de le serrer autour du président ivoirien. Mais celui-ci est coriace. Il annonce qu’il présentera bientôt à l’UA un plan alternatif. Un « plan B » en quelque sorte. Il ajoute que les Casques bleus de l’Onuci et les soldats français de Licorne peuvent partir « s’ils le veulent ». Surtout, il conserve l’arme absolue : le couple militaires-patriotes. Depuis quatre ans, c’est la combinaison gagnante à Abidjan. Deux fois cette année, la rue a fait reculer le GTI. En janvier sur l’Assemblée nationale, et en juillet sur l’identification des électeurs. Le 14 septembre, Laurent Gbagbo a choisi un public de militaires pour lancer un défi à la communauté internationale. Évidemment, ce n’est pas un hasard.

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