Quand Bush est assassiné

Une fiction anglaise met en scène le meurtre d’un George W. Bush plus vrai que nature, au visage reconstitué à partir d’images d’archives et de synthèse. Shocking or not shocking : le débat fait rage aux États-Unis.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Chicago, Illinois : fringant, les yeux rieurs, George W. Bush traverse le hall de l’hôtel Sheraton. Les slogans antiguerre braillés par des manifestants postés à l’entrée ne l’ébranlent pas. Une nouvelle fois, le maître de la Maison Blanche vient de se faire acclamer par un parterre d’économistes et de businessmen acquis à sa cause. Le baume au cur, il marche vers la sortie. Mais la course du Texan s’arrêtera là. Sous les flashs des appareils photo et l’il impuissant des gardes du corps, le 43e président des États-Unis s’effondre. Une rafale de balles vient de le toucher à la poitrine. George W. Bush est mort, assassiné.
Coupez ! La scène se passe le 19 octobre 2007, dans un documentaire de quatre-vingt-dix minutes réalisé par Gabriel Range, un journaliste Britannique de 32 ans, déjà auteur d’un film controversé sur Tony Blair. Diffusé pour la première fois le 10 septembre au Festival de Toronto – où il a obtenu le prix de la Critique -, « Mort d’un président » (Death of a President, rapidement devenu DOAP) a aussitôt déclenché une polémique.
Mêmes yeux clairs et brillants, même sourire, mêmes rides, même teint : aucun doute possible, le Bush que Gabriel Range fait mourir dans un hall d’hôtel par un « beau » jour d’octobre est bien celui que l’on connaît. C’est George W. en chair et en os. Et c’est bien là ce qui est troublant. Le réalisateur a eu l’audace – ou l’insolence – de compiler images d’archives et images de synthèse afin de montrer la victime sous ses propres traits. Non seulement on n’a jamais vu un film assassiner, au sens propre du terme, un président en exercice, mais en outre, le rôle principal n’est pas tenu par un sosie, mais par le président lui-même ! Bush héros malgré lui
La liste des ressemblances avec la réalité, qui n’ont rien de fortuites, ne s’arrête pas là. Le documentaire, qui se place quelques années après l’assassinat, se propose d’enquêter. Joués par des acteurs à la crédibilité troublante, des experts – dont un journaliste du Washington Post et des membres de l’administration fédérale – apportent leur témoignage. Une liste de trois coupables potentiels est établie, qui s’inspire explicitement de l’actualité : un habitant de Chicago d’origine syrienne et de retour d’Afghanistan, un anarchiste américain anti-Bush et un immigrant yéménite. Quelques heures après le crime, Dick Cheney devenu président, quatre cents suspects sont placés en détention. Un empressement zélé qui rappelle l’immédiat après-11 Septembre, dont les Américains ont célébré – hasard du calendrier – le cinquième anniversaire au lendemain de la diffusion de DOAP ! Aux antipodes d’un « documentaire fiction » – dont le ressort est de mettre en scène des faits et des personnages réels joués par des acteurs -, DOAP n’aurait pas défrayé la chronique si son scénario n’était pas plausible. Après cinq désastreuses années de croisade planétaire contre le Mal, on ne compte plus les ennemis mortels du président ni les sites Internet barrés du slogan « Kill Bush ». En 2004 déjà, l’auteur américain Nicholson Baker évoquait l’assassinat de Bush dans un roman, Checkpoint.
« Bien sûr, certains seront choqués par le film, reconnaît Range. Mais tous ceux qui le verront admettront que ce n’est pas une attaque personnelle dirigée contre lui », se défend-il. Sous-entendu : DOAP n’a pas pour ambition de proposer aux spectateurs le scénario qui permettrait à l’Amérique de sortir d’une impasse politique. Non, il ne s’agit pas de donner des idées aux kamikazes. Mais quelle est donc, alors, l’intention du réalisateur ? « C’est une façon de se demander où nous emmène la politique étrangère de Bush », explique-t-il. Vers un nouveau deuil national, apparemment.
Pour certains, la réflexion n’est pas à la hauteur des ambitions. Le film se veut iconoclaste, il brise un tabou en assassinant un chef d’État certes contesté, mais démocratiquement élu, un père de la nation investi devant Dieu (les présidents américains prêtent serment sur la Bible). Mais « Monsieur Range élude les vraies questions, comme, par exemple : le meurtre d’un président peut-il être justifié ? », réagit un lecteur du New York Times. « Une trop bonne idée pour en faire un tel navet », renchérit un spectateur cité par l’AFP. « DOAP garde un ton poli et mesuré jusqu’à l’excès », déplore Michael Phillips, du Chicago Tribune. Divisée sur le contenu, la critique salue toutefois unanimement la maîtrise et les innovations cinématographiques de l’uvre. « Techniquement, c’est exceptionnel », s’exclame le magazine Variety, référence américaine en matière de cinéma.
Mauvais ou pas, DOAP est, aux yeux des républicains, une ignoble provocation. Certains sont allés jusqu’à exiger le boycottage du film en apprenant sa diffusion à Toronto. La Maison Blanche, elle, a réagi par le mépris : « Nous ne leur ferons pas l’honneur d’un commentaire », a déclaré l’un de ses porte-parole. Pour le réalisateur américain Jason Apuzzo, éditeur d’un blog conservateur, il n’y a aucun doute : DOAP est l’uvre des gauchistes. « Bien sûr, on va nous servir la rengaine habituelle, du genre, ce n’est qu’un film, que faites-vous de la liberté d’expression, on soulève des questions essentielles [], écrit-il. Mais sincèrement, ce film est typique du comportement agressif de la gauche, c’est la réalisation d’un grand nombre de membres de la communauté cinématographique, qui seraient mieux dans un asile ou dans un camp d’entraînement d’al-Qaïda », assène-t-il.
Sur un autre registre, l’acteur Kevin Costner se met à la place des proches du président : « Imaginez-vous ses enfants, sa femme, sa mère, son père. Il y a une chose que nous ne devons pas oublier en tant qu’êtres humains, c’est l’empathie pour celui qui exerce probablement le métier le plus difficile au monde », s’émeut-il. George Bush ne pouvait pas rêver avocat plus populaire.
Et Gabriel Range ne pouvait espérer meilleure promotion que cette polémique. Tandis que, aux premiers jours du festival, la critique lui prédisait un piètre avenir commercial en Amérique du Nord, DOAP a finalement trouvé preneur : la compagnie indépendante Newmarket films – qui a distribué la très controversée Passion du Christ avec Mel Gibson – a acheté les droits de diffusion aux États-Unis pour 1 million de dollars. Quelque temps auparavant, la chaîne britannique Channel 4 en avait fait l’acquisition. Le film sera diffusé au Royaume-Uni le 9 octobre. La Grande-Bretagne, qui a déjà (politiquement) assassiné Tony Blair pour le punir de son alliance inconditionnelle avec le héros de DOAP, attend la diffusion du film avec impatience.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires