Les dés sont pipés

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

En 1972, dans mon opuscule Islam et dialogue, je mettais en garde contre « l’hydre de la polémique ». En juin 1995, au cours d’un colloque tenu à Carthage, auquel assistait le dominicain Claude Geffré, j’avais proposé « Un dialogue de témoignage, d’émulation et de convergence entre la Chrétienté et l’Islam ». En 1996, dans les Mélanges offerts à Maurice Borrmans, j’avais intitulé mon texte « Contribution à une théologie cuménique de la paix ». Si bien que certains de mes frères musulmans m’ont accusé d’être un « évêque chrétien »
Nos partenaires chrétiens, sauf un petit nombre animé par le très isolé père Lelong, ne l’entendaient pas et ne l’entendent toujours pas de cette oreille. L’abbé de Nantes proclame avec enthousiasme et fierté que le frère Bruno Bonnet-Eymard a porté un coup mortel à l’islam dans son livre Le Coran (1988). Le père Maurice Borrmans, pourtant architecte du dialogue entre les deux religions, affirme que le Coran est un livre de perpétuelle violence, d’un djihad qui ne finit qu’avec la fin des temps, très vieille accusation reprise par Benoît XVI, dont la fatale implication est le choc des civilisations, passé et en cours. Je pourrais multiplier les citations.
En effet, dès le départ, les dés étaient pipés : l’Église subordonnait le dialogue à la mission et n’en faisait qu’un outil de plus. Le document Nostra Aetate du concile Vatican II est un leurre. Il concède qu’il y a des « musulmans bien » – à la bonne heure ! – grâce aux semences du Saint Esprit qui sème à tous vents. Mais de l’islam, sur lequel le Concile de 680 a jeté quatre irréversibles anathèmes, pas un mot. Les meilleurs des « musulmans bien » se convertissent, et l’Église a le devoir de les « aider » par ses missionnaires. À Noël 2005, nous avait informés la chaîne de télévision France 2, ils étaient 10 000. Combien seront-ils à Noël 2006 ? Dans la déclaration de Vatican II, « La liberté religieuse », qui ne fut adoptée qu’avec peine, on lit :
« De par la volonté du Christ, en effet, l’Église catholique est maîtresse de vérité. [] Qu’en outre les chrétiens, se comportant avec sagesse à l’endroit de ceux du dehors, s’efforcent [] de répandre la lumière de vie en toute assurance et courage apostolique, jusqu’à l’effusion de leur sang » (Cerf, 1965, p. 39).
C’est du djihad qui ne dit pas son nom, et les Croisés se croisèrent au cri : « Dieu le veut. » Les bombes lancées sur Hiroshima et Nagasaki ont été bénies par un prêtre, et le pilote qui les a balancées a déclaré à la télé qu’il ne regrettait rien !
Cet article, je ne voulais par l’écrire. Je pensais : « Il n’y a pas de quoi fouetter un chat. » Et aussi : « Je risque de fâcher. » On m’a dit que j’en avais le droit. Alors pour fâcher le moins, je me limite à des citations qui toutes « enseignent sans erreur la vérité salutaire », car « Dieu est l’Auteur de l’Écriture sainte » (Catéchisme de l’Église catholique, § 136).
« Alors que les hommes avaient commencé à se multiplier sur la surface du sol, et que des filles leur étaient nées, les fils de Dieu virent que les filles d’homme étaient belles, et ils prirent pour femmes celles de leur choix. [] En ces jours, les géants étaient sur la terre, et ils y étaient encore lorsque les fils de Dieu vinrent trouver les filles d’homme, et eurent d’elles des enfants. Ce sont les héros d’autrefois, ces hommes de renom, [] et le Seigneur se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Il s’en affligea et dit : J’effacerai de la surface du sol l’homme que j’ai créé, homme, bestiaux, petites bêtes et même les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits » (Genèse, 6 :1-7).
Qui peut contester que le Saint-Père a raison ? Qui peut dire que nous ne trouvons pas là le meilleur de la pensée et de la philosophie grecque ? Le Dieu de l’Écriture sainte n’a rien à voir avec celui de l’Islam. C’est vrai : il n’est pas si transcendant que ça. Il a l’esprit logique et il est accessible à la raison : il se trompe, il reconnaît ses erreurs, il se repent, et il répare. Il est comme ses confrères grecs. Il a des fils qui cèdent aux charmes des belles terrestres – elles ont des raisons d’être fières – et leur font des enfants qui deviennent des héros. Mais, avec raison toujours, car il en a, il se méfie des héros, qui peuvent devenir des rivaux. Le Saint-Père cite même Ibn Hazm, que peu de musulmans connaissent. C’est la preuve qu’il connaît très bien l’islam, et, parmi ses conseillers, on compte avec certitude des spécialistes de haut vol. Il n’en manque sûrement pas à l’Institut pontifical d’études arabes et islamiques.
« Alors, il en sera du Royaume des cieux comme de dix jeunes filles qui prirent leurs lampes et sortirent à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insensées, et cinq étaient avisées. En prenant leurs lampes, les filles insensées n’avaient pas emporté d’huile ; les filles avisées, elles, avaient pris, avec leurs lampes de l’huile dans des fioles. Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. Au milieu de la nuit, un cri retentit : Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre ! Alors, toutes ces jeunes filles se réveillèrent et apprêtèrent leurs lampes. Les insensées dirent aux avisées : Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent. Les avisées répondirent : Certes pas, il n’y en aurait pas assez pour nous et pour vous ! Allez plutôt chez les marchands et achetez-en pour vous. Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva : celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et l’on ferma la porte ». (Matthieu, 10 :1-10).
Le judaïsme n’a jamais aboli la polygamie. Jésus était juif. Il emprunte sa parabole au cérémonial juif du mariage à son époque. Lui-même, comme tout juif de son époque et de son âge, surtout lorsqu’il est rabbin, était sûrement marié, et certainement, comme de coutume, avec plusieurs épouses. La question de sa paternité est aujourd’hui à l’affiche, avec le Da Vinci Code

* Historien et penseur musulman tunisien.

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