Kangni Alem en liberté

Huit textes courts où le romancier et dramaturge togolais s’amuse à explorer les techniques d’écriture et à multiplier les angles de narration.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.

« Je m’appelle Ingnak, je me dis écrivain et viens de très loin. Mon pays d’origine ? Une ancienne colonie de vacances pour explorateurs teutons, au nom ridicule comme un slogan de base-ball seriné par des pom-pom girls. Pour ceux qui n’auraient pas compris le rébus, je refuse d’en dire plus. Il y a longtemps que j’ai pris la décision ferme et définitive de tourner le dos à ce pays ratifié, disputé, coupé et recousu, aux moignons toujours sanglants, malgré des années de convalescence. » Les fans du romancier et dramaturge togolais Kangni Alem auront reconnu sa faconde habituelle et ses allusions au To, pardon, à ce petit pays d’Afrique qu’il appelle TiBrava.
Un rêve d’albatros, dernier opus de l’écrivain paru chez Gallimard, est un recueil de huit nouvelles qui surprendra ceux qui ont apprécié Cola Cola Jazz (éd. Dapper, grand prix littéraire d’Afrique noire en 2004) et Canailles et Charlatans. En effet, si les quatre premiers textes sont dans la veine humoristique et jazzy chère à Alem, les quatre derniers peuvent laisser perplexe. « Écrire des nouvelles me permet d’explorer des techniques d’écriture. Je multiplie les angles de narration afin de me surprendre moi-même. Au-delà de ce jeu, il y a sans doute une contamination de l’écriture de mon roman actuel sur cette deuxième partie du recueil », confie Kangni Alem, qui compte achever Le Temps des caravelles pour le mois de janvier 2007.
« Un privé à Bujumbura », « Une histoire américaine », « Un rêve d’albatros » et « Un bateau pour le Sahara » sont du pur Alem, jouisseur et désabusé, humoristique et délirant. Le narrateur – sans doute le même dans les quatre nouvelles – croise un détective privé au Burundi et bien des femmes, de New York à N’Djamena. Jusqu’à avoir « l’impression désagréable d’être un de ces écrivains qui glosent sur le sexe à longueur de parchemin, s’y complaisent jusqu’à la perversion mais n’ont jamais sodomisé autre chose que des chèvres rachitiques jaillies de leur imagination pépère ».
« Tantum ergo », « Les silences du commandant Maîtrier », « Fille du masque » et « L’enterrement de Vélasquez raconté par sa ville » sont d’une tout autre facture. Ainsi, « Les silences du commandant Maîtrier » racontent par le menu, en sept courtes pages, l’assassinat du premier président togolais, Sylvanus Olympio. La prose est sèche, les phrases assénées avec précision. Les femmes, la musique, l’ironie, la suggestion ont déserté le style d’habitude exubérant de Kangni Alem. « Le personnage d’Eyadéma est devenu fiction le jour de sa mort, explique-t-il. La meilleure façon d’éprouver l’idée que je m’en fais, c’est d’explorer toutes les affabulations et les légendes qui existent autour de lui. Je reprends tout ce que les gens racontent, en particulier ce qui est véridique mais ressemble à de la fiction ! »
Plus étonnante encore, la nouvelle intitulée « Fille du masque » relève du pur exercice littéraire. Kangni Alem l’a écrite en réponse à un texte de l’écrivain et ethnologue français Michel Leiris (1901-1990) à propos d’un masque dogon. Cela donne lieu à des digressions poétiques du genre : « Une dame entre deux âges, la peau blanche tirant vers le gris, d’une couleur caractéristique qu’on dirait issue de quelque métissage lointain entre esclaves et négriers Peau blanche de vieil ivoire à l’intérieur une âme d’enfant elle avait des oursins plein les mains, qu’elle jetait en l’air et rattrapait juste avant qu’ils ne tombent dans le sable fin de bord de plage. » Un rêve d’albatros serait-il un livre de transition dans l’uvre de Kangni Alem ? Pour le savoir, il faudra attendre la publication du Temps des caravelles. À moins de le croiser du côté de Bordeaux où, avant de s’attaquer à La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco (1909-1994), il monte un spectacle audio-vidéo autour d’« Apprentissage de la mémoire », l’un de ses textes, en coproduction avec l’Institut départemental d’action culturelle (Iddac) de la Gironde et la Compagnie Intérieur Nuit spécialisée dans l’audio-théâtre.

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