Il faut aider le pape !

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Au cours d’une conférence à l’université de Ratisbonne, le 12 septembre, Benoît XVI a tenu des propos qui ont profondément choqué les musulmans et ont suscité de leur part de vives réactions. Il faut dire qu’au cours de cette intervention, le pape avait cru devoir comparer le christianisme et l’islam en affirmant que le premier conciliait parfaitement la foi en Dieu et la raison, tandis que le second ne donnait pas à la raison la place qu’elle méritait.
Benoît XVI avait aussi laissé entendre que, contrairement au christianisme, l’islam ne refusait pas le recours à la violence pour faire valoir les droits de Dieu. Une telle affirmation est apparue d’autant plus grave – et d’autant plus inacceptable – que, coïncidant presque jour pour jour avec l’anniversaire du tragique 11 septembre 2001, les propos du pape pouvaient être interprétés comme une approbation – voire un soutien apporté à la politique menée par le président George W. Bush au Proche-Orient.
Il est heureux qu’en de telles circonstances le Saint-Père ait tenu à exprimer ses regrets et ait, à cette occasion, clairement rappelé la position de l’Église catholique. On sait, en effet, que Jean-Paul II – dont le cardinal Ratzinger, avant de devenir Benoît XVI, était très proche – a condamné l’agression des États-Unis contre l’Irak et affirmé que les résolutions de l’ONU devaient être respectées partout et par tous, y compris en Terre sainte. On sait aussi qu’à maintes reprises, de Casablanca au Caire et de Damas à Dakar, Jean-Paul II n’a cessé d’insister, tout au long de son pontificat, sur la nécessité de reconnaître les valeurs spirituelles communes au christianisme et à l’islam : « Chrétiens et musulmans, déclarait-il lors de son voyage au Maroc, le 19 août 1985, nous nous sommes trop souvent mal compris et, quelquefois, dans le passé, nous nous sommes opposés et même épuisés en polémiques et en guerres. Je crois que Dieu nous invite aujourd’hui à changer nos vieilles habitudes. Nous avons à nous respecter et aussi à nous stimuler les uns les autres dans les uvres de bien, sur le chemin de Dieu. »
Benoît XVI voudrait-il aujourd’hui remettre en question cette orientation, si clairement affirmée par son prédécesseur ? Alors que celui-ci insistait sur les convergences religieuses et éthiques qui existent entre le message du Coran et celui du Nouveau Testament, le pape actuel veut-il, lui, revenir aux anciennes polémiques, en soulignant les divergences – voire les oppositions – qui existent entre le christianisme et l’islam ? Depuis quelques mois, certains gestes de Benoît XVI, certaines de ses déclarations pourraient le faire croire. Ainsi, lors des Journées mondiales de la jeunesse à Cologne, les propos du Saint-Père ont paru beaucoup plus chaleureux envers la communauté juive qu’envers la communauté musulmane. Quelques jours plus tard, Benoît XVI accorda une audience à Oriana Fallaci, connue pour ses écrits polémiques et gravement injustes envers la religion musulmane. Enfin, le fait que le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux ait été sinon supprimé, du moins rattaché au Conseil pontifical pour la culture, a été interprété comme un désaveu du beau travail effectué, ces dernières années, par tous ceux qui, dans l’Église catholique, s’efforcent de promouvoir des relations confiantes avec les musulmans.
De tous ces faits, certains observateurs tirent la conclusion que Benoît XVI ne veut pas poursuivre avec les musulmans le dialogue et la coopération si chers à son prédécesseur.
Personnellement, je ne partage pas ce pessimisme. Dès le lendemain de son élection, Benoît XVI déclara que « les relations entre l’Église et l’islam seraient une des grandes réalités du XXIe siècle », et il affirmait clairement sa volonté de poursuivre, dans ce domaine comme dans les autres, l’uvre entreprise par Jean-Paul II. Dans les mois qui suivirent, il réaffirma, en diverses occasions, cette volonté de dialogue et de coopération entre l’Église et l’islam.
Ce qui est vrai, c’est qu’avant de devenir pape, Benoît XVI n’a pas eu l’occasion de connaître de près le monde arabe et la civilisation islamique. Ce qui est vrai aussi, c’est que le nouveau pape tient à l’affirmation de « l’identité catholique ». Mais une telle affirmation n’est nullement incompatible – bien au contraire – avec un profond respect envers la foi des musulmans et envers les valeurs de leur communauté. Il faut donc aider Benoît XVI à avoir une meilleure connaissance de l’islam. Pour cela, il faut que des personnalités musulmanes le rencontrent et aient avec lui des entretiens approfondis sur les divers aspects des relations entre l’Église et l’islam : d’une part, la situation politique internationale, en particulier au Proche-Orient, en Terre sainte, à Jérusalem ; et d’autre part, la dimension théologique, c’est-à-dire l’étude des divergences doctrinales et des convergences éthiques et spirituelles qui existent entre le message du Coran et celui du Nouveau Testament.
Si les déclarations de Benoît XVI et la polémique qu’elles suscitèrent peuvent être l’occasion d’un tel dialogue, serein et constructif, alors d’un événement malheureux pourra résulter un bien. Mais il faut pour cela que, dans l’une et l’autre communauté, les croyants entendent et méditent ce sage conseil du célèbre islamologue Louis Gardet : « Pour que des relations sereines et fécondes puissent s’établir et s’approfondir entre l’Église et l’islam, il faut que les chrétiens parlent des musulmans de telle façon que ceux-ci se reconnaissent dans ce qui est dit de leur foi, et il faut que les musulmans parlent des chrétiens de telle façon que ceux-ci se reconnaissent dans ce qui est dit de la leur. »
En ce début du XXIe siècle, bien du chemin reste à parcourir pour que soit suivie partout, et par tous, cette recommandation d’un chrétien qui connaissait bien l’islam et qui fut un remarquable pionnier du dialogue islamo-chrétien.

* Cofondateur du Groupe d’amitié islamo-chrétien.

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