Contradictions explosives

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 5 minutes.

Septembre est, au niveau international, le mois des réunions-bilans :
– du 11 au 16, le Mouvement des pays non-alignés, qui rassemble les 118 pays de l’ancien Tiers Monde, a tenu son sommet triennal à La Havane et a élu Fidel Castro pour le présider – si Dieu lui prête vie – jusqu’à la prochaine réunion, prévue pour le mois de septembre 2009 en Égypte ;
– les 19 et 20, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) ont attiré à Singapour le gotha de la finance mondiale pour leurs assemblées annuelles : 16 000 financiers réunis autour des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales de 184 États membres (voir pp. 88-90 l’article d’Alain Faujas) ;
– et, depuis le 19 se tient à New York, au siège de l’Organisation, l’Assemblée générale des Nations unies devant laquelle s’expriment chefs d’État et de gouvernement des 192 pays membres.
Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU depuis dix ans, a présenté son dernier rapport annuel le 19 : j’ai noté qu’il s’y proclame africain, ce qu’il ne faisait pas volontiers.
Dans quelques petites semaines, nous connaîtrons le nom de son successeur : en principe, un diplomate proposé par un des membres asiatiques de l’Organisation.

Au moment où nous commençons à nous préoccuper de ce que va nous réserver l’année 2007, je voudrais attirer votre attention sur quelques-unes des contradictions explosives qui se cachent dans le paysage international.
Ce sont de véritables et formidables bombes à retardement.

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Je ne parlerai pas du Darfour, dont la communauté internationale s’occupe déjà, même si elle donne l’impression de ne pas savoir comment s’y prendre.
Ni de la Côte d’Ivoire, où les protagonistes de la crise renâclent à sauter le pas qui les fera s’en remettre aux urnes pour désigner celui d’entre eux qui héritera du pouvoir.
Ni, enfin, du Zimbabwe, dont l’économie s’effondre sans que le vieux président Robert Mugabe et son parti, qui ont déclenché le sinistre, soient en mesure de formuler une politique de rechange, d’ouvrir une porte à l’espoir Comme, de son côté, l’opposition au régime de Mugabe ne propose rien de crédible, le pays ne peut s’en sortir que par la révolte et la rupture.
Ces trois bombes-là sont trop apparentes, et la menace qu’elles représentent pour l’est, l’ouest et le sud de l’Afrique est trop visible pour qu’on puisse les classer parmi les dangers cachés.

C’est au Moyen-Orient – cela ne vous étonnera pas – que se nichent « les contradictions explosives » et les bombes à retardement. Je voudrais en signaler deux à votre attention, qui sont toutes les deux des sous-produits des affrontements récents ou en cours.
1. La dernière guerre du Liban s’est interrompue le 14 août dernier au terme d’un mois de combat.
D’ici à la fin de septembre, les militaires israéliens auront évacué les quelques kilomètres carrés de territoire libanais qu’ils ont conquis au prix de lourdes pertes humaines et matérielles (160 tués, plusieurs centaines de blessés et 50 tanks détruits).
Dans la courte histoire d’Israël (soixante ans), c’est la première fois que son armée applique, vite et sans tergiversation, une résolution de l’ONU – et se retire de territoires arabes conquis.
À côté de ce signe positif, d’autres, qui le sont beaucoup moins, font craindre qu’Israël ne reste pas sur l’échec de juillet-août derniers. Pour ses dirigeants, il ne s’agit vraisemblablement que d’un « premier round » et leur objectif stratégique demeure celui-là même qui n’a pas été atteint : la destruction du Hezbollah au Liban et du Hamas en Palestine.

– Liban Une dépêche du New York Times nous apprend que « trois membres du Hezbollah capturés par Tsahal lors des récents combats au Liban ont été inculpés de meurtre et de divers autres crimes par un tribunal israélien. L’un d’eux, Hussein Suleiman (22 ans), est mis en cause pour son implication présumée dans le raid du 12 juillet (huit soldats israéliens tués, deux autres faits prisonniers) qui précipita l’intervention de l’État hébreu au Liban. Les deux autres, Mohammed Sarour et Maher Qurani, sont, selon des responsables israéliens, soupçonnés d’avoir participé à des attaques contre des soldats israéliens, le long de la frontière. »
Quand on s’engage dans cette voie, on signifie clairement que la guerre n’est pas finie, que le Hezbollah n’est pas un adversaire avec lequel on peut faire la paix, mais un ennemi qu’on s’est juré de réduire (voir p. 17, ce qu’en dit courageusement le quotidien israélien de gauche Haaretz).

– Palestine Le Hamas a eu beau accepter de partager le pouvoir (avec le Fatah) et d’entrer dans une logique conduisant à la création d’un petit État palestinien à côté d’Israël, l’État hébreu et les États-Unis demeurent, eux, dans une logique de refus absolu de le considérer comme un partenaire, ou même comme un interlocuteur.
Ils entendent continuer à étrangler la Palestine jusqu’à ce que les Palestiniens fassent amende honorable, renient leur vote et se soumettent à la volonté du plus fort
L’actuelle administration américaine de George W. Bush, au lieu d’inciter les dirigeants d’Israël au compromis, les pousse à s’enfermer dans cette attitude intransigeante.
Quant à ces derniers, ils sont fidèles à la doctrine de leur État, définie il y a un demi-siècle par celui qui l’a fondé, David Ben Gourion : « Nous nous sommes établis par la force ; c’est par la force et la dissuasion que nous nous maintiendrons. Ceux qui refusent de l’accepter doivent être éliminés. »

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2. Les péripéties rappelées ci-dessus sont les prolongements récents d’une guerre qui a débuté il y a près de soixante ans avec la naissance de l’État d’Israël. Il nous faut constater aujourd’hui, avec la création sur les décombres de l’Irak d’un futur Kurdistan indépendant, que les États-Unis et Israël ont semé les graines d’une nouvelle guerre de cent ans au cur de ce malheureux Moyen-Orient.
À cheval sur l’ex-Irak uni, la Syrie, l’Iran et la Turquie, en gestation depuis des décennies, un Kurdistan aux frontières indéterminées va peu à peu prendre forme sur le modèle israélien et vouloir se constituer en pays indépendant. Cela se fera par la guerre, comme Israël ; son noyau est l’actuel Kurdistan irakien, le reste de son territoire sera pris à la Turquie et à l’Iran*.
Les États-Unis le veulent, l’imposeront à leur « allié » turc et à leur ennemi iranien ; Israël favorise cette création, y uvre déjà. Dans un Kurdistan indépendant, il voit en effet un futur allié dans la région et, pour l’heure, le moyen de « casser » l’Irak, d’affaiblir l’Iran, de détourner l’attention de la Palestine.
Les États-Unis et Israël savent, bien sûr, que cette aventure fera des dizaines de milliers de morts et sera l’affaire de plusieurs décennies. Mais ils n’en ont cure.
Cette bombe-là est seulement en train d’être amorcée. Elle nous éclatera bientôt à la figure.

La différence entre l’Israël d’aujourd’hui et le Kurdistan de demain est que ce dernier sera musulman et sunnite.
Pour les stratèges de Washington, c’est tant mieux : une faille de plus – et de taille – dans ce monde islamique qu’ils ont désigné comme leur challengeur pour la première moitié de ce siècle.

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* Les Kurdes d’Irak sont 5 millions, et on évalue les Kurdes d’Iran à 5 millions également. C’est en Turquie qu’ils sont le plus nombreux, et de loin : près de 14 millions (sur 70 millions), soit 20 % de la population.
En Syrie, selon les évaluations les plus fiables, ils sont près de 2 millions.

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