C’est nous les Africains
Hommage aux soldats de l’empire colonial qui se sont sacrifiés pour la « mère patrie » lors de la Seconde Guerre mondiale, Indigènes sort en France le 27 septembre. Comment Rachid Bouchareb, le réalisateur, a-t-il pu faire aboutir un tel projet ?
Nous sommes en 1943, au cur de la Seconde Guerre mondiale. Alors que les forces allemandes dominent les trois quarts de l’Europe, la France est coupée en deux. Une moitié a fait allégeance aux nazis. Une autre organise la résistance avec les Alliés. Symbole de cette résistance face à la capitulation, le général de Gaulle se tourne alors vers les Africains et les incite à rejoindre les rangs de l’armée française. Pour bouter les Allemands hors de l’Hexagone, la France a besoin d’hommes, de tous ses hommes, qu’ils soient blancs, noirs ou basanés, chrétiens, juifs ou musulmans. En 1943, donc, à l’instar de ces milliers de tirailleurs, de tabors et de goumiers originaires de l’Afrique du Nord et de l’Ouest, quatre « indigènes » – Saïd, Abdelkader, Yassir et Messaoud – quittent leurs bleds pour répondre à l’appel de la « mère patrie ». En Italie, en Provence, dans les Vosges ainsi qu’en Alsace, les quatre comparses feront face à l’ennemi allemand. Premiers à partir au combat, derniers à quitter le champ de bataille, ils s’illustreront par leur courage et leur sens du sacrifice. Mais, la guerre terminée, les quatre héros ne récolteront que l’indifférence, le mépris et l’oubli. Une fois libérée, la France se retournera même contre ces hommes. Cela donnera les massacres de Sétif en mai 1945.
Indigènes, le dernier film de Rachid Bouchareb, qui sort en France le 27 septembre, n’est pas un documentaire de guerre mais un film sur la guerre. Il ne raconte pas seulement le destin de quatre jeunes Algériens enrôlés dans l’armée française ; il est aussi, et surtout, un hommage poignant, parfois drôle, rendu à ces quelque 130 000 soldats de l’empire colonial qui ont servi de chair à canon durant la Seconde Guerre mondiale. En mai dernier, lors du 59e Festival de Cannes, la première projection publique d’Indigènes a été suivie d’une standing ovation d’une bonne dizaine de minutes. Deux jours plus tard, face au jury et devant une belle brochette de stars du cinéma et de vedettes du show-biz, les quatre acteurs, Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Sami Bouajila, recevaient le Prix de la meilleure interprétation masculine. Le film est parti pour connaître un bel avenir.
Depuis plus d’une dizaine d’années, l’idée de raconter le sort des tirailleurs maghrébins n’a cessé de hanter l’esprit du réalisateur Rachid Bouchareb, né en France en 1953 de parents originaires de Tlemcen (dans l’ouest de l’Algérie). « Ce film, c’est mon histoire, c’est là d’où je viens, explique-t-il. C’est l’histoire de mes ancêtres, ce sont les récits que j’entendais dans mon enfance, et je me suis aperçu que cette histoire, personne ne la connaissait, qu’on ne l’apprenait pas à l’école et qu’aucun film sur la Seconde Guerre mondiale n’en avait vraiment parlé. C’est un hommage à la mémoire de ces hommes qui aimaient la France, ignorés aujourd’hui aussi bien par leurs petits-enfants que par l’ensemble des Français. »
Si faire Indigènes sonne comme une évidence, faire aboutir le projet a été une sacrée entreprise. Écrire le scénario, aller à la quête d’une documentation aussi rare que partielle, démarcher les financiers et enfin tourner le film au Maroc et en France aura été vécu presque comme une épopée, pénible mais excitante. La recherche des matériaux pour l’écriture du scénario dure plus d’une année. Rachid Bouchareb et le coscénariste Olivier Lorelle se rendent en Afrique et se déplacent dans plusieurs villes de France pour recueillir les témoignages des rescapés de la Seconde Guerre. Les bibliothèques et les centres de recherche possèdent hélas peu d’ouvrages et de documents sur ces Africains venus se battre et mourir dans le froid et la neige des campagnes d’Alsace ou de Belgique.
Le scénario prêt, il faut trouver les fonds. Contactées, certaines institutions en France rechignent à mettre la main à la poche. « Nous avons connu une valse-hésitation permanente, confie Bouchareb. Il a donc fallu pousser, pousser et encore pousser. Il a fallu frapper à toutes les portes. » Ce n’est pas le scénario qui pose problème, ce n’est pas non plus le titre qui gêne, encore moins le casting ou le nom du réalisateur, mais voilà, trouver des finances pour faire un film sur les « indigènes » est une affaire compliquée. Jamel Debbouze le résume avec humour dans un entretien au magazine Première. « Je me suis aperçu qu’une comédie peau de banane, malgré tout le respect que je dois aux Dalton, se révèle mille fois plus simple à financer que des films mille fois plus importants. »
Les doutes et les incertitudes sur le financement ont subsisté jusqu’au dernier moment, si bien qu’au premier jour du tournage le budget n’était pas encore bouclé. « Il était hors de question de tourner un film de guerre dans des conditions misérabilistes, affirme Rachid Bouchareb. Indigènes a l’envergure d’une production de 25 millions d’euros. Nous l’avons tourné avec 14,5 millions. Jamel a joué un rôle crucial puisqu’il a amené le Maroc à mettre à notre disposition son armée ainsi qu’une compagnie aérienne. » Pour ne pas hypothéquer les finances d’Indigènes, Jamel Debbouze, coproducteur sur le film, a même renoncé à son statut d’« acteur le mieux payé de France ». Lui, la star qui ne sort pas une réplique avant d’avoir touché un chèque de 1,7 million d’euros, a accepté de recevoir un salaire de 3 000 euros par mois, soit le minimum syndical.
À la veille de la sortie d’Indigènes, Rachid Bouchareb déborde d’excitation. Depuis début septembre, il sillonne la France pour assurer la « promo », multiplie les entretiens dans la presse et s’enthousiasme quand Jacques Chirac lui fait des compliments à propos de son long-métrage. C’est que le réalisateur veut que le film ne serve pas simplement à divertir le spectateur et à réhabiliter la mémoire des ancêtres. Il doit aussi permettre l’ouverture d’un débat sur le passé colonial de la France ainsi que sur le présent et l’avenir des enfants de l’immigration, les enfants des « indigènes ». « Le film peut aussi changer les choses, souligne Jamel Debbouze. Indigènes donne des héros aux mômes. Il leur offre un miroir positif. Il affirme haut et fort : aujourd’hui, vous êtes libres grâce à vos arrière-grands-parents. »
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