Ce que va faire Agboyibo

Le nouveau chef du gouvernement a réussi le pari de réunir la plupart des sensibilités politiques du pays. Mais le plus dur reste à venir.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 6 minutes.

C’était sans doute le choix le plus logique. En tout cas, le chef de l’État togolais Faure Gnassingbé a opté pour la voie du compromis entre ses partisans et son opposition la plus virulente. Après avoir dirigé, pendant quatre mois, les travaux du Dialogue intertogolais qui ont abouti à l’accord politique global du 20 août dernier, Yawovi Agboyibo a été nommé Premier ministre, le 16 septembre. Il succède à Edem Kodjo, en poste depuis juin 2005. Sa mission : conduire le pays aux élections législatives anticipées prévues en juin 2007 et, ainsi, parachever le processus de réconciliation en cours. Sa nomination résonne comme la consécration du combattant déclaré qu’il fut du régime Eyadéma. Et qui, à présent, se trouve à la tête d’un gouvernement d’union nationale rassemblant toutes les sensibilités du pays.
« Aujourd’hui, il peut s’entendre avec tout le monde », résume Peter Dogbé, un journaliste togolais. « Tout au long du Dialogue, le nouveau Premier ministre et le chef de l’État ont appris à travailler ensemble, se sont beaucoup rencontrés et ont noué une relation de confiance », indique un diplomate. Plusieurs solutions s’offraient, malgré tout, à Faure Gnassingbé, désireux de renforcer l’ouverture politique engagée depuis son accession au pouvoir, en avril 2005. Au sein de l’opposition, les principaux partis avaient fait acte de candidature. Parmi les favoris figuraient notamment Patrick Lawson, de l’Union des forces de changement (UFC, de Gilchrist Olympio), et Léopold Gnininvi, chef de file de la Convention démocratique des peuples africains (CDPA). Quant au sortant, Edem Kodjo (Convergence patriotique panafricaine, CPP), il s’estimait à même de rempiler. « Nous avons parfaitement rempli notre mission. Notre bilan est positif et les résultats sont visibles, avec notamment le retour des réfugiés qui ont fui le pays au moment de l’élection présidentielle. À présent, la nouvelle équipe gouvernementale va devoir prendre possession des dossiers et relancer une autre dynamique. Cela est source de tensions et de perte de temps », déplore un membre de l’ancien cabinet Kodjo.
Mais, pour un nouveau départ, Faure Gnassingbé s’est voulu prudent. À la piste d’une cohabitation à haut risque avec l’aile radicale de l’opposition incarnée par l’UFC, le chef de l’État a préféré avoir à ses côtés quelqu’un de pragmatique, capable de traiter avec les caciques de l’ex-parti unique, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). Un leader politique dont les capacités d’écoute auront été déterminantes dans la réussite du Dialogue : Yawovi Agboyibo. Cet homme de 63 ans sait composer et affiche un pedigree d’opposant qui ne souffre aucune contestation. Avocat au barreau de Lomé depuis 1969 après avoir essuyé les bancs des universités de Dakar (Sénégal), Orléans (France) et Abidjan (Côte d’Ivoire), le nouveau locataire de la primature s’est lancé en politique au milieu des années 1980 comme militant des droits de l’homme. À l’époque, il fallait une bonne dose de courage.
L’investiture du RPT n’étant plus exigée, il se fait élire comme député indépendant en 1985. Et se rapproche du général Eyadéma auquel il arrache la création de la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), dont il sera le président de 1987 à 1990. Un an plus tard, à la faveur du multipartisme, il transforme le Front des associations pour le renouveau (FAR, regroupement des principaux mouvements hostiles au régime) en parti politique : le Comité d’action pour le renouveau (CAR). Le natif de Kouvé, dans le sud du pays, monte en puissance. Il séduit dans les villages reculés et sera l’un des acteurs les plus en vue de la Conférence nationale, de juillet à août 1991. Le pouvoir, qui se sent menacé, se radicalise. Le pays bascule dans la violence.
Durant les manifestations violemment réprimées par les forces de l’ordre en janvier 1993, il est l’un des seuls leaders de l’opposition à ne pas fuir le pays. Ce courage fait de lui l’un des hommes les plus populaires du Togo, même si ses adversaires ont tendance à mettre en relief son côté bourru, brouillon, et son registre populiste. « Il peut régulièrement changer d’avis et tenir différents discours en fonction de l’interlocuteur », tranche un fin connaisseur de la vie politique togolaise. Il n’empêche, la faconde de l’avocat fait merveille et le parcours du personnage n’est pas sans rappeler celui d’Étienne Tshisekedi en République démocratique du Congo. Candidat à la présidentielle d’août 1993, Agboyibo fait figure de challenger, mais préfère se retirer de la course pour dénoncer le déroulement du scrutin.
Réélu de la pire des manières, faute de combattants, Gnassingbé Eyadéma est affaibli et isolé sur la scène internationale. L’irréductible opposant met à profit ces circonstances qu’il juge favorables pour partir à la bataille des législatives de février 1994. Bien joué. Le CAR arrive en tête et remporte 36 des 81 sièges, tandis que le RPT n’en obtient que 35. Rusé et fin tacticien, celui qu’on appelle le « bélier noir » – par allusion à l’emblème de son parti – se fait pourtant doubler par plus malin. Edem Kodjo est nommé Premier ministre alors que sa formation de l’époque, l’Union togolaise pour la démocratie (UTD), n’a que 6 sièges à l’Assemblée. Agboyibo, qui militait pour une majorité réunissant le CAR et l’UTD, encaisse difficilement ce qu’il considère comme une trahison. Son image se brouille et l’unité de l’opposition vole en éclats.
Les partisans de Gilchrist Olympio le soupçonnent d’accointance avec le pouvoir et l’accusent même d’être l’un des « visiteurs du soir » à Lomé 2 – la résidence familiale du chef de l’État qui fait office de palais présidentiel. Les rivalités de personnes, les ego et les positionnements de chacun desservent la cause. Dans l’incapacité de proposer un front uni, l’opposition se présente en ordre dispersé lors de la présidentielle de 1998 puis celle de 2003. Deux ans plus tard, la leçon sera retenue. Au lendemain de la mort du général, en février 2005, Agboyibo est l’un des principaux architectes du rassemblement de son camp. Habile à la manuvre, il s’impose comme l’élément fédérateur en tant que coordinateur de la Coalition de l’opposition. Pari réussi. Un seul candidat, Emmanuel Akitani Bob, ira affronter « l’héritier » Faure Gnassingbé. Mais, une fois encore, le scénario de 1994 se répète. Edem Kodjo rafle la mise pour la primature après que l’UFC eut multiplié les préalables et les conditions à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.
« Nous n’avons pas de sentiment de revanche et nous voulons réunir toutes les composantes du pays », assure à présent un proche d’Agboyibo. La composition du gouvernement présenté le 20 septembre semble confirmer cet état d’esprit. La nouvelle équipe de 34 membres compte 17 « nouveaux », dont plusieurs ténors de l’opposition. Léopold Gnininvi prend le portefeuille des Mines et de l’Énergie avec rang de ministre d’État. Son principal lieutenant à la CDPA, Martin Adimado Aduayom, hérite de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. À la Communication et à la Fonction civique, Agboyibo pourra compter sur un fidèle du CAR, Georges Gahoun Hegbor. Edem Kodjo n’a pas tout perdu, car il obtient trois portefeuilles pour ses partisans, dont le secrétaire général adjoint de la CPP, Arthème Séléagodji Ahumey-Zunu, qui se retrouve à la tête de l’Administration territoriale.
Le ministère des Droits de l’homme et de la Démocratie est confié à Célestine Akouavi Aïdam, qui a activement participé au Dialogue en tant que représentante de la société civile.
Les consultations tous azimuts menées tambour battant ont été fructueuses. L’opposition n’a jamais eu autant de représentants dans un gouvernement depuis l’instauration du multipartisme, en 1990. Mais les attributions « non négociables » n’ont pas été remises en question. Le RPT conserve des départements clés comme celui de la Défense, réservé au frère du chef de l’État Kpatcha Gnassingbé. La seule fausse note à cet esprit de consensus affiché le 20 septembre concerne l’UFC. Après le « niet » catégorique d’Olympio lancé depuis Paris, le débat, à Lomé, a été vif entre les « participationistes » modérés et les « durs », qui rejetaient toute « collusion » et exigeaient la primature. Finalement, l’UFC reste sur la ligne du boycottage. Mais son deuxième vice-président, Amah Gnassingbé, considéré comme un modérateur, a accepté « à titre individuel » d’être ministre d’État sans portefeuille.
Après avoir dirigé avec un certain brio les travaux du Dialogue, Agboyibo a ainsi franchi avec doigté sa première épreuve. Pour la suite, il peut compter sur un allié de taille : Faure Gnassingbé. La consolidation de son pouvoir et le redressement économique du pays passent par la tenue d’élections législatives libres et transparentes, dans un climat apaisé, en juin 2007. Les bailleurs de fonds attendent ce dernier signal pour relancer l’ensemble des programmes de coopération suspendus depuis 1993, et les populations pour célébrer le retour à la paix sociale.

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