Bras de fer au sommet

Plus rien ne va entre le président et le vice-président. Le premier ne souhaite pas voir le second lui succéder en avril prochain. Ambiance.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 4 minutes.

Il était l’homme parfait : loyal, sympathique, brillant et bourreau de travail Atiku Abubakar, vice-président du Nigeria, est en train de choir du piédestal où son persécuteur d’aujourd’hui, le président Olusegun Obasanjo, l’avait lui-même placé. Mis en cause dans un rapport de la Commission de lutte contre les crimes économiques et financiers (EFCC), qui le soupçonne de diverses manigances dans le placement de fonds publics, il pourrait se voir refuser l’investiture de son parti pour l’élection présidentielle, prévue en avril 2007.
L’EFCC lui reproche d’avoir investi de l’argent provenant du Petroleum Training Development Fund (PTDF), une entreprise parapublique gérée par la vice-présidence, auprès de banques appartenant à des amis. Cent dix millions de dollars ont été placés chez Equitorial Trust Bank, l’établissement de Mike Adenuga Junior, lui-même sous le coup d’une enquête. Cet argent aurait fortement aidé Adenuga, également propriétaire de Globacom, la deuxième compagnie de téléphonie mobile du pays, à s’acquitter des 10 % d’avance sur la licence d’exploitation d’un nouveau réseau GSM national, dont le total s’élève à 285 millions de dollars. Autre reproche : un dépôt de 20 millions de dollars à la Trans International Bank, qui aurait permis d’adosser un prêt de 5,5 millions de dollars octroyé à Oyewole Fashawe, un associé d’Abubakar.
Le vice-président nie formellement avoir pratiqué un quelconque favoritisme. « Les banques étrangères pratiquent des taux d’intérêt de l’ordre de 3 % à 4 %, explique-t-il, alors que les établissements que j’ai choisis rémunèrent les placements à plus de 10 %. C’est la raison pour laquelle je les ai sélectionnés, et pas un kobo [plus petite unité monétaire au Nigeria] de l’État n’a été perdu dans ces transactions. » Il rappelle également que les ordres bancaires ont été conjointement signés par le président Obasanjo.
L’EFCC a été conduite à enquêter sur Atiku Abubakar dans le cadre d’une requête internationale émanant du FBI, concernant les activités au Nigeria d’un ressortissant américain, le représentant démocrate William J. Jefferson, soupçonné de corruption. Le domicile américain du vice-président, situé dans une banlieue chic de Washington, dans l’État voisin du Maryland, avait d’ailleurs été perquisitionné par le FBI en août 2005. Le chef de l’État nigérian a adressé une lettre au Sénat, le 7 septembre dernier, pour lui rappeler les charges pesant sur son numéro deux et le prier de prendre les mesures constitutionnelles qui s’imposent, à savoir l’impeachment. Il est cependant peu probable que la procédure, particulièrement lourde, puisse aboutir avant la fin du mandat des deux adversaires en avril 2007.
Mais de l’avis d’une partie des médias comme de l’opinion publique, Atiku est bien victime d’une manuvre de son « patron » destinée à l’écarter de la course à la présidence. Il n’entend pas se laisser faire et réplique en révélant qu’Obasanjo a acheté, via sa société Obasanjo Holdings Ltd (OHL), en août 2006, l’équivalent de 1,5 million de dollars de parts dans le conglomérat Transcorp, qui associe banquiers et hommes d’affaires de la carrure d’Aliko Dangote, le magnat du sucre nigérian.
Créé en 2004 pour désengager l’État de l’économie, ce groupement d’entreprises, calqué sur le modèle coréen, a certes favorisé les privatisations, mais se comporte aujourd’hui comme un véritable monopole privé, écrasant la concurrence et dégageant des bénéfices colossaux. Transcorp investit dans tous les domaines : zones portuaires, production d’électricité, agriculture. Il a racheté notamment l’hôtel Hilton d’Abuja et la compagnie téléphonique Nitel. Interrogée sur les dividendes versés à OHL, sa présidente, Ndidi Okereke-Onyiuke, par ailleurs directrice générale de la Bourse d’Abuja, a indiqué qu’Obasanjo avait déjà revendu ses parts. Il n’empêche que le coup est rude pour le président.
Obasanjo et Abubakar ne sont pas proches, même s’ils appartiennent aujourd’hui au même parti, le People’s Democratic Party (PDP). Le premier, 71 ans, a fait toute sa carrière dans l’armée avant de prendre la tête de l’État, alors que le second, 60 ans, a été haut fonctionnaire dans les douanes pendant vingt ans, puis s’est lancé dans les affaires, investissant dans le pétrole, l’assurance, la pharmacie, le bâtiment et les travaux publics, l’agriculture et la presse. Élu en 1999 gouverneur de l’Adamawa, l’État où il est né, dans le nord-est du pays, sous les couleurs du PDP, il y est repéré par Obasanjo, chrétien et originaire du Sud, qui cherche un Nordiste pour la vice-présidence. Le « ticket gagnant » Obasanjo-Abubakar l’emportera à nouveau en 2003.
Aujourd’hui, les enjeux sont différents. L’insistance d’Abubakar, depuis quatre ans, à vouloir être son dauphin, indispose Obasanjo. Les rumeurs, véritable phénomène de société au Nigeria, affirment que le chef de l’État s’est engagé à paver la voie d’Ibrahim Babangida, autre membre du PDP, ancien compagnon d’armes et, dit-on, faiseur de rois, pour lui succéder. Alors qu’il disait lui-même, il y a quelques années, qu’il ne souhaiterait pas voir un « militaire », même à la retraite, reprendre son flambeau, il semble aujourd’hui choisir la carte Babangida au détriment d’Abubakar le civil. Mais ce dernier est encore doté d’un fort capital de sympathie dans l’opinion et de solides appuis à l’intérieur du parti. Au point que Babangida pourrait ne pas se risquer à demander l’investiture du PDP et se présenter sans étiquette. Si Atiku se voit privé, lui aussi, de cet adoubement, qui sera « l’homme du PDP » à la présidentielle ? Obasanjo, peut-être ?

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