Benoît XVI

Le pape a-t-il gaffé en laissant entendre que l’islam est par essence violent et peu accessible à la raison ? Ou n’a-t-il fait qu’exprimer le fond de sa pensée ?

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 6 minutes.

En établissant, dans sa désormais fameuse conférence de Ratisbonne du 12 septembre, un lien direct entre l’islam et la violence, et en laissant entendre que la religion de Mohammed est peu accessible à la raison, le pape a choqué l’ensemble du monde musulman, mais aussi semé l’effroi chez ses propres ouailles. Pour les catholiques engagés dans le dialogue interreligieux, ses déclarations ont sonné comme une catastrophe.
Pour ce qui est de la forme, donc, la messe est dite : l’ancien cardinal Josef Ratzinger, porté par ses pairs à la tête de l’Église catholique, apostolique et romaine le 19 avril 2005, a tout à apprendre de son métier de pape. Si, dans l’islam, où la notion de hiérarchie ecclésiastique est inexistante, chaque religieux peut dire à peu près tout ce qui lui passe par la tête sans engager grand monde, le successeur de Jean-Paul II règne en maître absolu sur 1 milliard de fidèles. Le moindre de ses propos est analysé, soupesé et s’impose comme ligne de conduite pour l’ensemble de sa communauté spirituelle.
Dans le fond, pourtant, les propos du pape n’ont pas de quoi surprendre et n’ont en rien dépassé sa pensée. Ce brillant théologien est en effet considéré depuis près de trois décennies comme l’un des plus ardents défenseurs du dogme. Ce n’est pas pour rien que son prédécesseur l’avait nommé en 1981 préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et l’a reconduit quatre fois à la tête de cette institution qui est une lointaine héritière de l’Inquisition.
Le paradoxe est que Josef Ratzinger s’était distingué au début des années 1960 par ses orientations progressistes. Né le 16 avril 1927 à Marktl-am-Inn, bourgade située près de Passau, non loin de l’Autriche et de la République tchèque, il est issu d’un milieu fortement imprégné par le catholicisme. Son frère aîné, Georg, se mettra d’ailleurs lui aussi au service de l’Église. Et c’est au nom de son attachement au catholicisme que la famille manifestera la plus grande réserve à l’égard d’un régime nazi qui exalte des valeurs païennes. Si Josef est embrigadé dans les Jeunesses hitlériennes en 1941, c’est qu’il y est contraint comme tous les garçons de son âge à l’époque. De même est-il obligé, en 1943, à 16 ans, de combattre au sein d’une unité de défense antiaérienne de la Wehrmacht.
Ordonné prêtre en 1951, il décroche six années plus tard son doctorat avec une thèse sur saint Augustin et s’impose rapidement comme l’un des plus brillants professeurs de théologie de toute l’Allemagne. C’est à ce titre qu’il accompagne Josef Frings, archevêque de Cologne et l’un des porte-parole de l’aile réformatrice du clergé allemand, au concile Vatican II entre 1962 et 1965.
Alors qu’il avait jusque-là défendu des idées d’ouverture et de changement au sein de l’institution ecclésiale – il était l’un des piliers de la revue Communio qu’animaient des figures comme Henri de Lubac et Hans-Urs von Balthazar -, tout change à son retour en Allemagne. Au milieu des années 1960, les sociétés européennes sont en pleine effervescence, gagnées par la révolution des murs importée des États-Unis. Celle-ci culminera avec les « événements » de mai 1968. Les milieux chrétiens ne sont pas épargnés par la contagion des idées « gauchistes » qui atteint même les facultés de théologie. C’en est trop pour le professeur Ratzinger, qui met ces dérives, qu’elles soient liturgiques ou doctrinales, sur le compte d’une mauvaise interprétation des résolutions du concile.
Alors qu’il s’est réfugié dans le travail intellectuel, multipliant les écrits où il prône un retour aux valeurs et aux pratiques « authentiques » du catholicisme, il est nommé, à sa grande surprise semble-t-il, archevêque de Munich en mars 1977, puis, dans la foulée, élevé au cardinalat.
C’est alors qu’il fait la connaissance de son collègue de Cracovie, un certain Karol Wojtyla. Les deux hommes se lient d’amitié quand bien même leurs personnalités diffèrent du tout au tout. À la réserve et à la froideur de l’Allemand répond la jovialité de son collègue polonais. Mais, sur le plan des idées, ils sont sur la même longueur d’ondes. C’est donc tout naturellement que ce dernier l’appelle à ses côtés peu de temps après son accession au trône de saint Pierre en 1978 afin de lui confier l’un des postes clés de la curie, cette énigmatique Congrégation pour la doctrine de la foi.
Qu’il ait hésité à occuper cette charge n’y change rien. Plus de deux décennies durant, il jouera parfaitement son rôle et s’emploiera à traquer toute déviance au sein de l’Église. Seront ainsi réduits au silence ou mis au pas les « théologiens de la libération » d’Amérique latine, soupçonnés de s’être inféodés au marxisme, ainsi que d’éminents penseurs comme Hans Küng, qui s’était attaqué au dogme de l’infaillibilité pontificale, ou encore Eugen Drewerman et Leonardo Boff. Le cardinal se bat sur tous les fronts. Il se prononce contre l’ordination des femmes et celle des hommes mariés, fustige l’homosexualité, met en garde contre les dangers du féminisme. C’est lui aussi qui inspire les encycliques de Jean-Paul II, comme Splendor Veritatis (1993), consacrée aux rapports entre la liberté et la vérité, où s’exprime clairement sa condamnation d’une modernité qui, selon lui, ne fait plus la distinction entre le bien et le mal.
Au moins sa vision du monde a-t-elle le mérite de la clarté. « Plus une religion s’assimile au monde, plus elle devient superflue », affirme-t-il en 2004. Les islamistes ne disent guère autre chose. Et il fait preuve d’une lucidité remarquable quand il relève qu’un mouvement chrétien comme celui des évangélistes est en plein essor parce qu’il défend « les grandes valeurs morales contre l’évolution des mentalités ». La main tendue aux intégristes français, disciples de feu Mgr Lefebvre, n’a dès lors rien d’étonnant.
Si le cardinal Ratzinger, originaire comme le pape de cette Europe centrale qui fut au cur du drame hitlérien, partage le même désir de rapprochement avec la communauté juive, c’est plus pour « purifier la mémoire chrétienne » et expier des crimes commis au nom du Christ qu’en vue de rechercher des convergences spirituelles. Le futur Benoît XVI n’a jamais remis en question les options de Vatican II en faveur de la reconnaissance des autres religions, mais il s’est toujours élevé contre les risques de « dilution de l’identité catholique » dans un syncrétisme qu’il abhorre. En 2000, il publie un document intitulé Dominus Jesus où il affirme que l’Église romaine a le monopole de la vérité de la foi chrétienne, semant la consternation dans les milieux progressistes.
Les propos qu’il a tenus dans ses nouveaux habits pontificaux en Bavière le 12 septembre ne relèvent donc aucunement du hasard. Fini l’cuménisme à la Jean-Paul II. Fini sans doute les assemblées de prière commune comme celles d’Assise. Pour Benoît XVI, toutes les religions ne se valent pas. Mais c’est à l’égard de celle de Mohammed qu’il a, depuis son élection, manifesté le plus de signes de défiance. À peine était-il entré en fonctions qu’il écartait de la curie l’archevêque britannique Michael Fitzgerald, inlassable artisan du rapprochement islamo-chrétien. À peu près au même moment, il n’hésitait pas à recevoir dans sa résidence d’été – ce qui peut être perçu comme le signe d’une certaine sympathie – la journaliste Oriana Fallaci (décédée le 15 septembre), qui s’est distinguée ces dernières années par de violentes diatribes contre l’islam.
Alors que Jean-Paul II s’est plu à répandre la bonne parole sur les cinq continents en enchaînant les voyages pendant ses vingt-six années et demie de pontificat, Benoît XVI semble plus soucieux, du moins pour l’instant, de centrer son action sur l’Europe. Mais une Europe qu’il entend rechristianiser et où, semble-t-il, l’islam n’a pas sa place. Il l’avait d’ailleurs clairement laissé entendre en 2004 en se prononçant contre l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne au motif que sa culture est trop différente. Ce pays « a toujours représenté un autre continent au cours de l’Histoire, en contraste permanent avec l’Europe », avait-il argumenté dans une interview au Figaro Magazine.
C’est en Turquie, justement, qu’il doit entreprendre un voyage à la fin de novembre prochain. Les tensions nées de l’« incident de Ratisbonne » se seront certainement dissipées d’ici là, et les autorités d’Ankara estiment qu’une annulation de cette visite est impensable. Mais on a du mal à imaginer comment le pape pourra faire oublier la si fâcheuse impression laissée par son excursion bavaroise.

(Voir pages 32-35 « Le Débat » autour des déclarations du pape.)

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