Avis de beau temps sur l’Afrique

Avec une croissance de 5,4 % en 2006, le continent fait un peu mieux que la moyenne mondiale. Et devrait continuer sur sa lancée en 2007.

Publié le 25 septembre 2006 Lecture : 7 minutes.

L’Afrique est repartie ragaillardie des réunions économiques mondiales qui se sont enchaînées à Singapour, du 15 au 20 septembre. De la réunion des ministres des Finances du G7 et des Assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, il ressort que, grosso modo, la planète se porte bien, l’Afrique faisant même un peu mieux que la moyenne mondiale.
Les prévisionnistes du FMI s’attendaient à ce que la croissance atteigne 4,9 % en 2006 et 4,7 % en 2007. La vigueur de l’économie leur a fait réviser à la hausse ces pourcentages, soit 5,1 % en 2006 et 4,9 % en 2007. Voilà trente-cinq ans que les progrès n’avaient pas été aussi importants et sur une aussi longue période.
Les augures corrigent cet optimisme en annonçant, avec Rodrigo de Rato, directeur général du FMI, l’arrivée de « nuages plus menaçants qu’il y a quelques mois ». Le premier « nuage » est le ralentissement de l’économie des États-Unis, lequel pourrait être plus fort que souhaité sous l’effet de la montée des taux qui dépriment le marché immobilier américain. La reprise de l’Europe et le retour en forme du Japon suffiront-ils à compenser un coup de froid sur la première économie mondiale ?
Le deuxième « nuage » est le redémarrage de l’inflation, qui semble ne plus être contenue par la concurrence née de la mondialisation. Les coûts de la main-d’uvre recommencent à augmenter aux États-Unis ; les prix flambent en Inde, en Afrique du Sud et en Argentine. Les banques centrales ne vont-elles pas se sentir obligées de relever leurs taux, au risque de casser la croissance ?
Troisième « nuage », archiconnu celui-là : le formidable déséquilibre financier entre les pays qui, à coups d’exportations, accumulent des réserves par centaines de milliards de dollars comme l’Inde et, bien sûr, la Chine, et un pays, les États-Unis, qui connaît un déficit symétrique de plus de 800 milliards de dollars en 2006 pour cause d’importations records. Jusqu’à quand les marchés supporteront-ils cette anomalie et résisteront-ils à la tentation de se prémunir contre une appréciation du yuan chinois et un effondrement du dollar ?
Dans ce contexte, il est remarquable que l’Afrique subsaharienne fasse mieux que la moyenne mondiale avec une croissance de 5,2 % en 2006 et une accélération à 6,3 % en 2007 sous l’effet d’une production pétrolière en hausse au Nigeria, en Angola et en Guinée équatoriale. « La bonne nouvelle, a déclaré Abdoulaye Bio-Tchané, directeur du département Afrique du FMI, c’est que l’économie africaine a fait mieux que résister à la hausse des cours du pétrole, notamment dans les pays qui sont dépourvus de sources d’énergie. » Seul le Zimbabwe se signale par une récession extrêmement grave à – 5,1 %. L’Afrique est parvenue à compenser le fardeau des importations pétrolières par des exportations accrues de matières premières. Mais c’est là que se trouve sa fragilité, ont souligné les experts : si l’économie mondiale ralentissait sévèrement, « les prix des produits de base pourraient baisser », affaiblissant une croissance indispensable pour faire reculer la pauvreté.
La communauté économique mondiale réunie à Singapour s’est aussi penchée sur les relations entre la Chine et l’Afrique. Elle s’est inquiétée des prêts que Pékin consent à certains pays africains dont la dette vient d’être annulée par la Banque mondiale et le FMI ; elle redoute que certains, comme le Soudan, se trouvent à nouveau pris dans une spirale infernale. Il n’empêche que les Africains voient d’un bon il l’empressement chinois. « Les pays riches n’ont pas tenu leurs engagements à notre égard, explique Abdoulaye Diop, ministre sénégalais des Finances. Alors la Chine est d’autant plus la bienvenue que ses prêts comportent moins de rigidités et moins de conditionnalités que ceux de la Banque et du FMI. »
Au premier abord, la réforme de la répartition des voix au sein du FMI concerne peu l’Afrique. Cette réforme des quotas, adoptée le 18 septembre par 90,6 % des voix (161 pays pour et 23 pays contre), se décline en deux phases. La première voit réévalués les droits de vote de la Chine, du Mexique, de la Corée du Sud et de la Turquie, aujourd’hui fortement sous-représentés dans les quotas du Fonds et qui progressent ensemble de 1,8 %. La seconde phase interviendra dans les deux ans et consistera à réévaluer de nombreux autres pays émergents en fonction d’un nouveau système de calcul tenant compte du poids économique et de l’ouverture de chaque pays. À la différence des États latino-américains, qui redoutent une diminution de leur poids relatif, les Africains se sont déclarés favorables à cette réforme, « bien que nous représentions un tiers des membres du FMI et seulement 2 % des droits de vote », a commenté Amos Kimunya, ministre kényan des Finances.
En effet, à la demande du Royaume-Uni et de la France, et dans le souci de préserver la représentation des pays les moins favorisés, le directeur général du Fonds leur a proposé trois améliorations. La plus importante sera « au moins » le doublement des droits de vote « de base », jamais réévalués depuis 1945. En effet, 250 voix gratuites sont attribuées à chaque État quelle que soit la taille du pays. Pour les États-Unis, qui possèdent 371 443 voix au FMI, 250 voix supplémentaires comptent peu ; pour l’Ouganda (2 055 voix) ou le Sénégal (1 868 voix), cela représenterait une consolidation significative. Les deux autres propositions qui ont fait dire à John Benjamin, ministre sierra-léonais des Finances, qu’il s’agissait « d’un grand succès » concernent la promesse d’accroître le nombre des conseillers africains et, surtout, la perspective de voir leurs deux administrateurs au FMI être rejoints par deux administrateurs adjoints supplémentaires.
Comme à l’accoutumée, mais avec une insistance remarquée, Paul Wolfowitz, le président de la Banque mondiale, a rappelé que « l’Afrique subsaharienne est la toute première priorité de la Banque » et lancé un nouvel appel aux pays développés ayant promis, l’an dernier, à Gleneagles, en Écosse, de doubler leur aide à l’Afrique pour qu’ils tiennent leurs promesses. Mais il a assorti cette manifestation de très bonne volonté d’un projet de « renforcement de l’action en faveur de la gouvernance et de la lutte anticorruption » qui a irrité une majorité de pays, et pas seulement africains. En effet, depuis qu’il est arrivé à la tête de la Banque, l’ancien « faucon » du Pentagone, où il était l’adjoint de Donald Rumsfeld, a lancé une croisade anticorruption dont personne ne conteste le principe, mais dont les modalités se révèlent dommageables.
Un rapport sur les « Indicateurs mondiaux de la gouvernance » publié le 17 septembre par les services de la Banque bat pourtant en brèche certaines idées reçues en la matière. Il met en évidence que la bonne gouvernance a progressé significativement en Afrique entre 1996 et 2005 : pour un Zimbabwe et une Côte d’Ivoire en pleine régression, le rapport note que le Nigeria, la Tanzanie, le Liberia, la République démocratique du Congo, le Mozambique, le Sénégal, Madagascar, le Ghana et le Botswana ont considérablement amélioré leurs murs.
Partant du principe louable qu’il est insupportable que l’argent de la Banque destiné aux pauvres « aille dans la poche de dirigeants corrompus », Wolfowitz a contraint ses services à pratiquer une politique inquisitoriale en matière d’attribution des aides. Il n’a plus été seulement question de vérifier que les appels d’offres étaient réguliers pour la construction d’une route ou d’un hôpital. La Banque a refusé des prêts au Bangladesh en raison de privatisations insuffisantes ; elle en a bloqué qui étaient destinés au Congo, parce que le président de celui-ci, Denis Sassou Nguesso, s’était livré à des dépenses jugées somptuaires à l’occasion d’un séjour à New York
Cette conception extensive et floue de la corruption a suscité une vive réaction de la Grande-Bretagne, qui a suspendu, pendant dix jours, un versement de 50 millions de livres en attendant que soit clarifiée la politique de la Banque. De leur côté, les ONG ont dénoncé le fait que cette rigueur avait empêché l’octroi de 1 milliard de dollars de prêts à des pays qui en avaient particulièrement besoin.
Le président de la Banque mondiale s’est défendu comme un beau diable, déclarant qu’il n’était pas question « de prendre prétexte de la corruption pour réduire les prêts, mais de s’assurer que ces fonds parvenaient bien aux plus pauvres ». Il a fait état d’une hausse de 9 % des prêts de la Banque, qui ont atteint, en 2006, 9,5 milliards de dollars. Mais il a maintenu son projet de « renforcement » de la lutte anticorruption à tous les niveaux, désirant créer de nouvelles conditionnalités et proposant de jouer la société civile contre les gouvernants pour veiller au bon emploi des fonds.
Le conseil d’administration de la Banque a, certes, accepté le principe de ce projet, tous les pays reconnaissant que la corruption est un frein absolu au développement. Cela posé, les représentants de la majorité des États ont vigoureusement appelé Wolfowitz à plus de doigté et de prudence dans sa politique « purificatrice ». Celle-ci « ne doit pas mettre en danger la mission principale de la Banque, qui est la réduction de la pauvreté », a souligné Trevor Manuel, ministre sud-africain des Finances. « L’évaluation de la conformité des projets doit être faite sur la base de critères objectifs et non à partir de simples appréciations subjectives », a renchéri Agnès Van Ardenne, ministre néerlandaise de la Coopération. Chinois, Français et Brésiliens ont demandé que la Banque ne s’immisce pas dans les affaires intérieures des pays destinataires de l’aide au développement.
Finalement, le projet de Wolfowitz a été adopté, mais avec l’obligation pour le président de la Banque de rendre compte de sa mise en uvre devant son conseil d’administration, au printemps 2007. En langage diplomatique, c’est ce qui s’appelle une mise sous surveillance.

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