Une histoire gravée dans la pierre

De tous les continents, c’est l’Afrique qui possède le plus grand nombre de peintures et de gravures préhistoriques. Une exposition présentée à Nairobi donne une idée de ce patrimoine exceptionnel, dont la protection est une urgence.

Publié le 25 août 2008 Lecture : 6 minutes.

«Très peu d’Africains sont conscients de la valeur culturelle des peintures rupestres du continent. C’est pourquoi nous devons pousser les gouvernements à réaliser à quel point cet art est important et à prendre sa protection au sérieux. » Ainsi parle David Coulson, photographe et président de l’organisation non gouvernementale Trust for African Rock Art (Tara), basée à Nairobi. La tâche qu’il s’est assignée voilà plus de dix ans – « assurer la promotion et la conservation du patrimoine rupestre africain » – est herculéenne.
Ce patrimoine, presque personne n’en parle et rares sont ceux qui en connaissent l’existence. Après tout, il ne s’agit « que » de vieilles parois rocheuses peintes ou gravées il y a quelques milliers d’annéesÂÂ Et pourtant ! De tous les continents, c’est l’Afrique qui recense le plus grand nombre et la plus grande diversité de peintures et de gravures rupestres (parfois appelées respectivement pictographes et pétroglyphes). L’exposition The Dawn of Imagination, qui devrait rester ouverte pendant un an au Musée national de Nairobi, permet de s’en faire une idée*.
Les sites présentés, principalement localisés en Afrique septentrionale et australe, sont les plus anciens du monde. Datées au carbone 14, les ÂÂuvres découvertes dans le sud de la Namibie en 1969 accuseraient 27 000 ans d’âge. Des pigments ayant servi à fabriquer de la peinture, trouvés dans un abri des Matobo Hills, au Zimbabwe, remonteraient, eux, à 40 000 ans. Néanmoins, si l’on en croit la Tara, « la plupart des experts pensent à présent que la tradition rupestre en Afrique remonte à 50 000 ans, même si la majorité des ÂÂuvres visibles aujourd’hui sont beaucoup plus récentes ». Rares sont en effet les figures âgées de plus de 7 000 ans encore décelables à l’ÂÂil nu.

Sahara vert

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Les peintures rupestres découvertes en Europe – dans la grotte de Lascaux, la grotte Cosquer ou la grotte Chauvet pour n’évoquer que la France – ont été protégées parce qu’elles étaient quasi inaccessibles. Réalisées dans des abris profonds, préservées du vent, de la pluie, du soleil, elles ont résisté aux aléas climatiques et au temps qui passe. En Afrique, gravures et peintures étaient souvent exécutées à l’air libre. Elles ont souffert, entre autres, de l’érosion due aux importantes variations de température et aux écoulements d’eau. Il en reste néanmoins de fort beaux exemplaires.
En ce qui concerne le nord du continent, c’est dans le Tibesti et l’Ennedi (Tchad), l’Akakus (Libye) et, surtout, dans le Tassili N’Ajjer (Algérie) que l’on trouve les plus impressionnants exemples d’art pariétal. « La grande majorité de ces ÂÂuvres ont été réalisées quand le Sahara était plus vert et pouvait nourrir hommes et bêtes, explique David Coulson. On y trouve les preuves que, bien avant la construction des pyramides, il existait là des cultures, dont certaines très ÂÂsophistiquéesÂÂ. Une telle abondance de peintures prouve que le Sahara fut longtemps un centre de civilisation. Quand advint la première sécheresse majeure, il y a 6 000 ans, les peuples qui vivaient là migrèrent vers la vallée du Nil à la recherche d’eau et de pâturages, emportant avec eux les talents artistiques qui participeraient à la naissance de la civilisation égyptienne. » Difficile d’imaginer le Sahara vert aujourd’hui, mais les gravures d’hippopotames du Tassili N’Ajjer sont là pour témoigner de la lointaine présence de l’eauÂÂ
En Afrique centrale et orientale, l’art rupestre est présent surtout en Tanzanie, mais aussi au Kenya, en Ouganda, en Éthiopie, au Congo et au Gabon. Mais c’est en Afrique australe (Botswana, Lesotho, Namibie, Afrique du Sud, Zimbabwe) que l’on peut admirer le plus grand nombre d’ÂÂuvres, réalisées notamment par les ancêtres des Sans.
Twyfelfontein, en Namibie, possède ainsi l’une des plus importantes concentrations de pétroglyphes du continent. Des représentations humaines dessinées à l’ocre rouge voisinent avec des dessins de rhinocéros, d’éléphants, d’autruches et de girafes datant de la fin de l’âge de pierre. Inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 2007, le site, avec ses quelque 2 500 dessins, illustre de façon éloquente les liens entre pratiques rituelles et économiques des chasseurs-cueilleurs.
Si Twyfelfontein est aujourd’hui protégé, impossible d’en dire autant de l’ensemble des sites où l’histoire de l’Afrique est inscrite dans la pierre. Ignorance et vandalisme sont aujourd’hui les pires ennemis de cet héritage. Fasciné par la beauté des ÂÂuvres du Sahara et du Kalahari, proche de la célèbre paléoanthropologue Mary Leakey – auteur d’un ouvrage intitulé Africa’s Vanishing Art : The Rock Paintings of Tanzania -, David Coulson a décidé de consacrer sa vie à la protection de ces éloquents témoignages du passé africain. Il a commencé par réaliser des livres de photos, puis a entamé un monumental travail d’archivage, avant de s’engager plus avant en créant Tara, au milieu des années 1990.

Tourisme incontrôlé

En 1997, l’ONG est la première à attirer l’attention du monde sur les grandes girafes de Dabous (nord du Niger), hautes de plus de six mètres et vieilles de plus de 8 000 ans. « À cette époque, raconte David Coulson, nous avons remarqué qu’une des girafes avait été abîmée par les bottes d’un promeneur irresponsable et nous avons compris à quel point un tourisme incontrôlé rendrait ce site vulnérable. Ainsi, avant de communiquer autour de la découverte, nous avons aidé un ami touareg à créer une association de protection et à payer les salaires de deux gardiens qui resteraient jour et nuit sur place. »
Dans l’ouest du Kenya, en collaboration avec les musées nationaux, Tara a aussi permis de dévoiler le site de Kakapel, de le restaurer après qu’il eut été vandalisé par des jeunes totalement ignorants de son importance et de sa signification historique, et, enfin, de l’ouvrir au tourisme sous le label Monument national.
Au nord du continent, en Libye, l’association s’emploie à protéger les « chats se battant » de Fezzan, qui font partie d’un ensemble de gravures vieilles de 10 000 ans et menacées par les multiples forages pétroliers de la région. Tara a permis l’inscription de Fezzan sur la liste des cent sites les plus menacés du World Monument Fund. « Au début de 2008, j’ai conduit une expédition scientifique financée par National Geographic avec des experts britanniques qui ont scanné les chats et d’autres gravures menacées afin de pouvoir réaliser des répliques en trois dimensions, qui pourront être exposées dans des musées », annonce David Coulson.
L’idée ? Déplacer ce qui ne peut être contemplé pour le porter à la connaissance du public. Et le sensibiliser. Peu importe qu’il s’agisse de copies : après tout, en France, quelque 270 000 touristes par an sont prêts à payer 8 euros pour visiter Lascaux II, un ensemble de reproductions du site original, lequel est depuis longtemps fermé au public.

Une cause panafricaine

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Protéger les pétroglyphes africains est une urgence. « Nous avons des exemples de vol et de vandalisme dans bien des pays, mais le pire des cas est celui du Maroc, souligne Coulson. Chaque année, des milliers d’ÂÂuvres, parfois âgées de plus de 5 000 ans, sont détachées et vendues à des marchands étrangers. Bien que nous communiquions sur le sujet dans le monde entier et malgré les efforts de l’expert marocain Abdellah Salih, le pillage continue. J’ai vu de mes propres yeux des pièces volées exposées dans des galeries de New York et de Londres ! » Le vol n’est pas l’unique problème : en Ouganda, le gardien du site de Nyero, au nord de Mbale, n’est plus payé par le gouvernement et vit des pourboires que veulent bien lui accorder les visiteurs.
Tara, soutenu par les fondations Ford et Andrew-Mellon ainsi que la National Geographic Society, et bénéficiant d’un budget de 600 000 dollars, ne reçoit guère d’aide des gouvernements et des institutions publiques, qui pourraient pourtant faire de la défense de l’art pariétal une grande cause panafricaine, notamment parce que les pétroglyphes constituent l’une des rares sources d’informations sur l’histoire précoloniale du continent. En dépit de l’appui de Nelson Mandela, de Kofi Annan, et des engagements de quelques chefs d’État et ministres de la Culture, l’intérêt des politiques reste « plutôt minimal ». Et l’argent manque pour permettre la protection des vieilles pierres. « Notre principale difficulté ? Lever des fonds. L’Afrique est un vaste continent, mais la majeure partie de notre argent vient des États-Unis et du Royaume-Uni. »

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