Tous les sons mènent à l’Afrique

Imprégnés de mbalax sénégalais, de makossa camerounais, de rumba congolaise et de batuque cap-verdien, bercés de jazz et de R’n’B, nés avec les rythmes urbains du funk et du hip-hop, ce sont les artistes qui représentent aujourd’hui le continent sur les

Publié le 25 août 2008 Lecture : 7 minutes.

Les artistes africains se produisent dans les plus grands festivals et sur les scènes les plus prestigieuses, aux quatre coins du monde. Et ils déplacent les foules, même si des problèmes de mobilité subsistent, liés notamment à l’obtention de visas – comme, récemment, pour les Congolais de Konono N° 1, principal représentant d’un style spectaculaire né dans les faubourgs de Kinshasa et baptisé « tradi-moderne » ou « musique traditionnelle électrifiée » (voir J.A. n° 2481, p. 87, Kinshasa version électro).
Non seulement l’Afrique baigne dans une tradition musicale d’une grande richesse, mais elle s’approprie aussi les sons d’aujourd’hui. Le rap explose à travers tout le continent. Le métal et le hard-rock ont tissé de solides réseaux au Maghreb, et Carthage accueillait même, à la fin de juin, la première édition d’un festival de musique et culture électronique plutôt pointu baptisé Fest (« Festival échos sonores Tunis »). L’occasion d’un tour d’horizon subjectif des courants qui font les musiques africaines en 2008. Musiques africaines qui ont donné naissance à la plupart des styles populaires en vogue aujourd’hui à travers le monde : soul, blues, R’n’B, funk, hip-hop, rap, reggaeÂÂÂ

Rock touareg, le blues du désert

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Depuis quelques années, le monde se passionne pour le rock touareg. Fin 2000, dans le nord du Mali, le groupe français Lo’Jo et Justin Adams, guitariste de Robert Plant (Led Zeppelin), préparaient la première édition du Festival au désert ainsi que le premier disque de Tinariwen. Coup de foudre. À tel point que cet enregistrement (1) a été réédité cinq ans plus tard et que le groupe, cité par Bono (de U2) ou Chris Martin (de Coldplay) comme une influence majeure, ouvrait l’an dernier le concert des Rolling Stones à Dublin. Au-delà, toute une scène se révèle, dans la lignée du géant malien Ali Farka Touré, décédé en mars 2006, auquel la diva Rokia Traoré rend hommage dans son dernier disque.
Moyen de subsistance et d’ouverture vers l’extérieur, le rock touareg a révélé, ces dernières années, des groupes comme Terakaft, Toumast, Tartit, Tiris. Face à l’isolement et à la persécution, c’est tout un peuple, opprimé par la colonisation française puis la répression des États africains, qui a pris les guitares pour appeler le monde au secours. En témoigne le projet Desert Rebel (2), qui a réuni autour du chanteur Abdallah ag Oumbadougou une kyrielle de musiciens de la scène hexagonale, de Tryo à Daniel Jamet (ancien de la Mano Negra), d’Amazigh Kateb (du combo grenoblois Gnawa Diffusion, voir p. 26) à Imhotep (du groupe marseillais IAM), pour un album et un documentaire sur la situation des Touaregs au Niger.

La vague hip-hop rappe dans toutes les langues

Autre mouvement à forte portée sociale et revendicative, dont les jeunes se sont emparés à bras-le-corps : le rap. Le festival Waga Hip-Hop, en octobre 2007, dans la capitale burkinabè, réunissait Didier Awadi, Oxmo Puccino, Yeleen ainsi que des groupes ghanéens, gabonais, togolais, etc. : la vague hip-hop secoue toute l’Afrique, où l’on rappe dans des dizaines de dialectes. Pour des raisons matérielles, entre autres, car il est plus facile de chanter sur une cassette que d’acheter des instruments, trouver un studioÂÂÂ Seule entrave, dans certains pays, à cette déferlante : une liberté d’expression en dents de scie. Il y a dix ans, des groupes algériens comme Intik et MBS (« le Micro brise le silence ») perçaient en France pendant qu’au pays, un artiste comme Lotfi Double Kanon voyait l’un de ses concerts interrompu par la police. Mais, en 2007, ce dernier signait le générique d’un des shows télévisés les plus regardés pendant le ramadan. Au Maroc, on compte des centaines de groupes autour de figures de proue comme H-Kayne (voir p. 26), Fnaïre, Fez City Clan ou Mobydick. À tel point que le DJ parisien Cutkiller a consacré une mixtape aux rappeurs de son pays d’origineÂÂÂ Et que Cilvaringz, un Marocain des Pays-Bas, premier artiste non américain à signer à New York sur le label du Wu Tang Clan, s’est réinstallé à MarrakechÂÂÂ
Un peu plus au sud, dans la lignée de Didier Awadi, pionnier très politique dans les années 1980 avec Positive Black Soul, Dakar compterait quelque 3 000 groupes de rap. Scène à laquelle s’est intéressé le label new-yorkais Nomadic Wax (3). Quant au coffret Fangafrika, la voix des sans-voix (4), paru récemment, il propose un triple regard (compilation disque, film documentaire, livre), plus large sur le rap en Afrique de l’Ouest. Et en Afrique du Sud, le label indépendant du Cap African Dope Records, fait sensation avec des sons électro-funk déjantés qui n’ont rien à envier aux productions occidentales (5), tandis qu’en Tanzanie résonne un hip-hop chamarré, teinté de sonorités locales. En témoigne une excellente compilation, Bongo Flava, Swahili Rap from Tanzania, parue chez Out|here (6). Dernière trouvaille de ce label allemand, cette fois-ci au Ghana : la scène Hiplife (7), contraction de hip-hop et highlife.
C’est justement avec le highlife ghanéen qu’a débuté le géant Fela Kuti, dans les années 1960. En le mêlant au funk de James Brown et aux rythmes nigérians, le « Black President » allait donner naissance à l’afrobeat. Un courant qui lui survit largement et semble même en plein boom, onze ans après sa mort. Au moment où Seun, le deuxième de ses fils à faire carrière après Femi, apparaît sur la scène internationale. « Cette musique était encore méconnue à l’époque où Fela a débarqué en Europe, au début des années 1980, se souvient son manager de l’époque, Martin Meissonnier. Aujourd’hui, la portée de son ÂÂÂuvre est digérée. » Tant et si bien qu’elle fait des émules un peu partout, notamment outre-Atlantique, où des groupes de Brooklyn comme Antibalas (premier groupe américain invité à l’Africa Shrine par Femi Kuti, qui a su redonner vie au club mythique de Lagos depuis le décès de son père) et The Budos Band, chez Daptone Records, mâtinent leur funk d’influences nigérianes. À découvrir aussi, les New-Yorkais de Kokolo Afrobeat Orchestra, les Londoniens Ayetoro et Dele Sosimi, ou encore les Canadiens de Souljazz Orchestra. C’est tatoué entre les omoplates de son fils Seun : Fela lives !

Une scène jazz foisonnante

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Depuis un demi-siècle, les musiciens afro-américains qui ont popularisé le jazz rêvent de retour aux sources. À la clé, des passerelles évidentes, de nombreuses collaborations et l’éclosion d’une pléiade de talentsÂÂÂ C’est Randy Weston qui avait ouvert l’African Rhythms Club, à Tanger, dans les années 1950, à l’époque de Paul Bowles et de la beat generation, marquant le début des rencontres entre jazz et gnaoua. Aujourd’hui, la liste des enfants de l’Afrique et du jazz est longue et prestigieuse. Il y a Mina Agossi, diva franco-béninoise, protégée du saxophoniste Archie Shepp. Et Lionel Loueke (voir p. 27), guitariste béninois édité par le prestigieux label Blue Note et adoubé par Wayne Shorter et Herbie Hancock. Il y a aussi Magic Malik, flûtiste né à Abidjan, chouchou de la scène parisienne, qu’on retrouvait il y a peu avec les Argentins Minino Garay et Jaime Torrès (8). Et la Gréco-Guinéenne Élisabeth Kontomanou, qui, après New York, où elle enregistra avec John Scofield, s’est réinstallée en Suède tout en gardant un pied à Paris. Et puis Mokhtar Samba, né d’une mère marocaine et d’un père sénégalais, qui accompagna dans les années 1980 Youssou N’Dour, Santana, Manu Dibango ou Alpha Blondy – rien que ça ! – et poursuit aujourd’hui une carrière solo. Ou encore les bassistes camerounais Richard Bona, qui joua avec Bobby McFerrin, Pat Metheny ou Chick Corea, et vient de publier son premier live (9), et Étienne Mbappé, croisé chez Salif Keïta, Jonasz et Higelin, qui enregistra sur le dernier album de Ray Charles, en 2001, et vient de sortir un nouvel album solo (10). Sans oublier les pianistesÂÂÂ Comme le Zaïrois Ray Lema et le Malien Cheick Tidiane Seck, qui, avant un troisième album attendu pour septembre, a été le grand ordonnateur, l’an dernier, du retour aux sources maliennes de Dee Dee Bridgewater, couronné par un Grammy Award. Comme lui et comme le batteur Karim Ziad (membre fondateur du célèbre Orchestre national de Barbès et codirecteur artistique du Festival gnaoua d’Essaouira), nombre de jazzmen africains d’aujourd’hui – Mbappé, Bona, SambaÂÂÂ – sont passés par le Syndicate du pianiste autrichien Joe Zawinul, décédé l’an dernier. Il ne manquait plus que le film documentaire de Pierre-Yves Borgeaud, Retour à Gorée, sorti en début d’année, où l’on voit Youssou N’Dour et le pianiste tunisien Moncef Genoud partir sur les traces des esclaves africains et de la musique qu’ils ont inventée, pour l’affirmer une nouvelle fois : le jazz, c’est aussi, et d’abord, l’Afrique.

Bamako sur la carte du reggae mondial

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Au rayon musiques du monde, le Mali se taille la part du lion : le regretté Ali Farka Touré, Salif Keïta, Toumani Diabaté, Habib Koité, Amadou et Mariam, Oumou Sangaré, Rokia Traoré À la confluence des musiques mandingues, Bamako est un véritable bouillon de culture. En 2003, Tiken Jah Fakoly, nouvelle icône du reggae africain, menacé à Abidjan, élisait domicile dans la capitale malienne et décidait d’y monter son studio – ironie du sort car, trente ans plus tôt, c’était les musiciens maliens (le Super Rail Band, Salif Keïta, Cheick Tidiane Seck et Djelimady Tounkara en tête, ainsi que Moussa Doumbia) qui, à la recherche de meilleures conditions de travail, faisaient le trajet inverse vers Abidjan. Au même moment, le multi-instrumentiste parisien Manjul, après quelques disques sur l’île de la Réunion, a lui aussi décidé de poser ses valises à Bamako Depuis, il a compilé Dub to Mali et révélé le chanteur nigérian Bishob et le Guinéen Takana Zion (voir p. 27). Également produits par Manjul dans son studio de Bamako, on devrait bientôt découvrir l’artiste sénégalais Dreadlam ainsi que ses compatriotes de Timshel Band, ou encore le Congolais Kokotanjah, originaire de Kinshasa. Distribué par Makasound, son label Humble Ark Records place en tout cas – au même titre que Tiken Jah Fakoly – la capitale malienne sur la carte du reggae mondial. Comme celui du rap, décimé en Occident par la crise du disque et le formatage commercial, l’avenir du reggae se trouve peut-être, aujourd’hui, en Afrique. Qui s’en plaindra ?

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