Relents de guerre froide dans le Caucase

La Russie a profité du conflit de l’Ossétie du Sud pour montrer à ses voisins et à l’Occident qu’il fallait encore compter avec elle. Au risque de se retrouver isolée sur la scène internationale.

Publié le 25 août 2008 Lecture : 6 minutes.

« Non ! » a répondu sèchement Vladimir Poutine à Nicolas Sarkozy, qui profitait de l’ouverture des jeux Olympiques à Pékin, le 8 août, pour tenter de le dissuader d’envoyer des troupes contre la Géorgie, la République caucasienne ayant bombardé, la veille, la capitale de la province géorgienne séparatiste d’Ossétie du Sud. « Non ! Ils seront punis ! Je vais les punir ! » a grondé le Premier ministre russe.
Deux semaines plus tard, c’est fait : la correction infligée au téméraire président géorgien de 40 ans, Mikheïl Saakachvili, à ses armées vaincues presque sans combattre et, surtout, à son peuple, qui pleure la mort de centaines des siens et l’exil forcé de plus de 100 000 réfugiés, est énorme.
En deux semaines, les Russes ont méthodiquement détruit toutes les bases militaires géorgiennes, qu’ils connaissaient bien pour s’en être servis jadis. Ils ont occupé un tiers du territoire de cet État souverain, coupable à leurs yeux d’avoir tenté de reprendre par la force une province qui lui avait été rattachée par Staline lui-même.
Ils narguent Américains et Européens indignés, auxquels ils promettent, par la voix de leur président Dmitri Medvedev de se retirer de Géorgie lundi 18, puis vendredi 22 août. Ou plutôt quand leur départ sera « sécurisé ». Mieux, les parlementaires russes ont été convoqués à Moscou le 26 août pour voter la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’autre province rebelle, l’Abkhazie.
Cette guerre du Caucase commence, au début d’août, comme une crise d’apparence ethnique. Depuis des années, la Russie encourageait le séparatisme des deux provinces géorgiennes, qui échappent en grande partie au gouvernement de Tbilissi. Le président Saakachvili s’est fait réélire en janvier sur la promesse de rétablir la souveraineté géorgienne sur ces deux entités.
Est-il tombé dans un piège tendu par le tandem Medvedev-Poutine, qui lui aurait fait croire qu’ils ne soutenaient plus les séparatistes ? Peu vraisemblable. A-t-il voulu obliger les Occidentaux à lui prêter main-forte, eux qui, Allemands et Français en tête, lui ont refusé, en avril, l’entrée à l’Otan (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) tant que les problèmes de séparatisme ne seraient pas réglés ? A-t-il cédé à son impulsivité légendaire, qui lui a fait se montrer fort peu démocrate l’an dernier et décréter l’état d’urgence pour museler son opposition ? Plausible.
Toujours est-il qu’il bombarde Tskhinvali, la capitale ossète, dans la nuit du 7 au 8 août et envahit l’Ossétie du Sud. Il crie victoire. La Russie dénonce un « génocide », compare Saakachvili à Hitler et riposte par des bombardements aériens. Ses chars provoquent la ­déroute géorgienne et un renversement de la situation ; des bandes de « volontaires » abkhazes ou ossètes venus dans le sillage des troupes régulières pillent, tuent et terrorisent les Géorgiens de Gori, la ville natale de Staline.
Le 12 août, en tant que président en exercice de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy convainc le chef de l’État géorgien aux abois d’accepter un humiliant accord de cessez-le-feu dicté par Vladimir Poutine, revenu de Pékin. Ce dernier a, en personne, supervisé les opérations depuis le quartier général de la 58e armée, à Vladikavkaz, en Ossétie du Nord. Cet accord en six points présente deux défauts rédhibitoires aux yeux des juristes internationaux : la Russie n’y reconnaît pas la souveraineté de la Géorgie sur ses deux provinces séparatistes et elle se voit reconnaître le droit de se porter au secours des « russophones ».
Mais le conflit caucasien n’est une affaire ethnique qu’en trompe l’oeil. Vladimir Poutine n’a pas digéré les humiliations qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990 et ont, selon lui, valu à la Russie de ne pas être mieux considérée qu’un pays du Tiers Monde.
Il a de plus en plus mal supporté les « révolutions de couleur » qui ont porté des partisans de l’Occident à la tête de ses anciens vassaux : révolution des Roses en Géorgie (2003), révolution Orange en Ukraine (2004) et révolution des Tulipes au Kirghizistan (2006).
La gifle ultime lui a été administrée, en février 2008, avec la reconnaissance de l’indépendance de la province serbe du Kosovo par l’Union européenne et les États-Unis. Il n’a pu s’y opposer, mais il attendait l’heure de la revanche.
La Géorgie a été la proie idéale pour montrer à l’Occident que la Russie était de retour. En tout cas à ses frontières. Le traitement qui lui a été infligé est la démonstration de ce que Vladimir Poutine pourrait faire subir aux anciens confettis de l’empire soviétique qui veulent entrer dans l’Otan (Géorgie, Ukraine) et aux ­ex-démocraties populaires passées dans le camp adverse, notamment la Pologne, qui vient d’accepter de participer au bouclier antimissile américain.
Le message a été reçu cinq sur cinq par ses anciens satellites, et les plus fermes soutiens de la Géorgie en Europe sont désormais les pays baltes, la Pologne et l’Ukraine, qui ont longtemps vécu sous la botte soviétique et se voient comme des cibles potentielles.
Persuadé, non sans quelque raison, d’être l’objet d’un encerclement en règle de la part des États-Unis, le Premier ministre russe voulait de longue date régler son compte à celui qu’il considère comme leur marionnette, Mikheïl Saakachvili. Docteur en droit de l’université George-Washington et un temps avocat à New York, celui-ci a tenu tête au Kremlin depuis son élection en 2004. Il a reçu une aide militaire importante de Washington et d’Israël et a fourni, en retour, des contingents en Irak et au Kosovo.
Il a accepté que son pays serve de lien entre l’Azerbaïdjan et la Turquie, deux pays pro-occidentaux, pour acheminer entre eux des marchandises, par une voie ferrée en construction, ainsi que ?le pétrole de la mer Caspienne, par l’oléoduc BTC (Bakou – Tbilissi – Ceyhan), hors de portée des Russes, qui ont tenté de l’endommager en le bombardant ?en vain durant leur offensive de ce ?mois d’août.
Au premier abord, la Russie affiche un net avantage dans cette reprise de la vieille « guerre froide » qui l’a opposée aux États-Unis de 1945 à 1990. Certes, en raison de la médiation de Nicolas Sarkozy, elle n’a pu obtenir le départ du président géorgien, qualifié de « criminel de guerre » par Vladimir Poutine. Mais Saakachvili sort très affaibli de cette confrontation. Il ne retrouvera pas de sitôt la majorité de 52,6 % des voix qui l’ont confirmé comme chef de l’État au mois de janvier.
L’ONU s’est montrée incapable d’adopter la moindre résolution, pour cause de veto russe à répétition. L’Europe a étalé ses divisions, tiraillée entre les pays qui demandaient une grande fermeté vis-à-vis de la Russie et ceux qui soutenaient que l’isolement de Moscou serait contre-productif, notamment en matière énergétique.
En campagne électorale et handicapés par un président sortant contesté, les États-Unis ont été impuissants à secourir leur allié géorgien. Les déclarations de la secrétaire d’État, Condoleezza Rice, font seulement allusion au « prix » que la Russie devra payer pour son usage de la force « disproportionné », car elle ne sera plus « la bienvenue dans le cercle des institutions internationales ». La demande d’adhésion de la Russie à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) risque ainsi de souffrir de nouveaux retards.
Mais la Russie va devoir gérer sa victoire. Le retour de ses chars hors de ses frontières – pour la première fois depuis la première guerre d’Afghanistan en 1979 – a ranimé un sentiment de peur qui pourrait lui valoir un dangereux isolement sur la scène internationale.
La sortie annoncée de la Géorgie de la Communauté des États indépendants (CEI), que domine la Russie, et son entrée vraisemblable au sein de l’Otan sanctionneront une réelle incapacité russe à vivre en paix avec ses voisins.

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