Burkina Faso : des ONG alertent les autorités sur des « massacres ethniques » visant les Peuls
Un mois après les massacres de Yirgou, les 1er et 2 janvier dernier, le bilan est encore incertain. Aux 49 morts recensés par les autorités, des associations évoquent des bilans allant de 110 à 210 personnes tuées. Pour Boubakary Diallo, de l’Union nationale des Rugga du Burkina, une chose est sûre : ces violences ont un « caractère purement ethnique ».
Le feu a pris dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier. Un groupe armé – identifié comme des « terroristes » par les autorités – attaque Yirgou, dans le Centre-Nord. Au moins sept personnes sont tuées, dont le chef du village, un Mossi. Les assaillants, qui prennent la fuite en moto, laissent une piste qui conduit à proximité de campements peuls.
Dès le lendemain, les « représailles » se multiplient. Yirgou, Bondoussi, Fubé… En trois jours, une vingtaine de localités, où vivent en majorité des Peuls, sont la cible d’attaques meurtrières. Selon les autorités, ces exactions ont fait 49 morts. Mais, un mois après les faits, des associations locales avancent d’autres bilans.
L’Union nationale des Rugga du Burkina (UNRB, une organisation d’éleveurs), a dressé une liste de 110 victimes, dans laquelle sont répertoriés les nom, prénom, ville d’origine et âge de chaque personne tuée. L’objectif ? « Interpeller les autorités sur l’identité des victimes », explique Boubakary Diallo, secrétaire général de l’UNRB, qui accuse les Koglweogo – des milices d’auto-défense qui se sont multipliées ces dernières années pour faire face à l’absence de l’État dans les régions rurales – d’avoir commis ces massacres. Pour lui, c’est une certitude, « ce conflit lié aux terres prend la forme d’un conflit ethnique ».
Jeune Afrique : Vous venez de rendre publique une liste de 110 victimes des massacres qui se sont déroulés début janvier. Les autorités évoquent pour leur part 49 personnes tuées. Comment expliquez-vous cette différence de bilan ?
Boubakary Diallo : Je n’ai pas d’explications à cela. Lorsque nous avons dressé notre liste, je l’ai communiquée au commandant de la brigade de gendarmerie de Barsalogho. Je ne dis pas que nos chiffres ne sont pas réfutables mais, par souci d’objectivité, nous avons voulu les partager aux autorités, afin qu’ils puissent faire des recoupements avec leurs propres données.
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Visiblement, cela n’a pas été pris en compte. Mais notre rôle n’est pas de donner des directives. Notre rôle est d’alerter et de documenter les faits, pour voir dans quelle mesure nous pouvons apporter notre contribution pour résoudre les problèmes qui existent entre les communautés.
Pour notre part, nous avons estimé qu’il fallait être le plus précis possible, en authentifiant toutes les victimes, avant de publier une liste. Il convient de noter que le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés a un bilan différent du notre : eux parlent de 210 morts ; de notre côté, nous avons pu identifier 110 personnes tuées.
Comment avez-vous dressé cette liste ?
Nous avons principalement travaillé sur le site de Barsalogho, situé dans le Centre-Nord du Burkina, et à Kelbo, dans la province du Soum. Ce sont les membres de notre association, sur le terrain, qui ont récolté les données. À Barsalogho, dès le 1er janvier, la mairie avait ouvert sa salle des fêtes afin d’accueillir les personnes qui fuyaient les villages ciblés par les représailles. Nos équipes se sont rendus sur place et ont procédé au recensement.
Au départ, il était difficile d’établir une liste exhaustive et précise. Les gens étaient sous le choc, tant ils ont été témoins de scènes d’horreur
Dans un premier temps, ils ont recensé les personnes sur place. Ils les ont ensuite interrogées, pour savoir si elles avaient perdu un proche ou si elles connaissaient des personnes qui avaient perdu un proche. Par ailleurs, des témoins qui ont vu des corps nous ont sollicité pour nous fournir les informations.
Au départ, il était difficile d’établir une liste exhaustive et précise. Les gens étaient sous le choc, tant ils ont été témoins de scènes d’horreur. Avant de procéder au recensement et à la collecte des données, il a surtout fallu qu’ils soient installés dans des sites de regroupement de déplacés, où ils ont également été soignés.
Vous évoquez un conflit à caractère ethnique, entre des Koglweogo à majorité mossi et les Peuls. Pourtant, les Koglweogo sont des milices, pas une ethnie… Sur quels éléments vous basez-vous pour affirmer cela ?
Dans ce conflit, il y a évidemment les problèmes liés aux terres. Les Koglweogo sont des agriculteurs, alors que les Peuls sont majoritairement des éleveurs. La cohabitation n’a pas été facile ces dernières années. Dans un premier temps, les Koglweogo ont voulu chasser les Peuls pour récupérer leurs terres, qui sont fertiles, pour les labourer. Mais aujourd’hui, ce conflit a pris de l’ampleur et prend un caractère ethnique.
Dans la liste détaillée que nous publions ne figurent que des hommes. Des victimes, que nous avons rencontrées dans les sites de regroupement des déplacés, nous ont confié que le mot d’ordre des Koglweogo était : « Tuer tous les hommes et épouser leurs femmes ». Ils ont appelé à exterminer tous les hommes peuls. Pour nous, c’est un massacre ethnique planifié.
Les miliciens ont pratiqué la politique de la terre brûlée. Ils ont tout incendié sur leur passage : habitations, greniers, habits… Tout est parti en fumée. Certains groupes de Koglweogo pratiquent également un racket visant exclusivement les Peuls, qui doivent payer des « taxes » de passage de leurs troupeaux.
Pour fuir ces violences et ces massacres, beaucoup de Peuls ont d’ailleurs été contraints d’abandonner la région. Certains sont accueillis dans les sites de regroupement des déplacés. Les sites de Barsalogho et de Kélégo accueillent chacun plus d’un millier de déplacés. D’autres ont réussi à s’enfuir avec leurs animaux et ont migré vers d’autres communes, où ils se sont installés avec leur bétail.
L’un des ressorts de ces violences est l’accusation que les attaques jihadistes sont menées par des Peuls. Que répondez-vous à ce type de propos ?
On ne peut pas nier la présence de Peuls au sein de groupes jihadistes, mais l’amalgame est trop facile. Dans la cellule jihadiste de Rayongo, qui a été démantelée en mai 2018, ne figurait aucun Peul. En outre, ce n’est pas parce que certains jihadistes parlent effectivement la langue peule qu’ils appartiennent à la communauté. De nombreuses ethnies, comme les Touaregs et les Songhaïs, parlent également le fulfuldé.
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Quel impact espérez-vous que votre rapport aura sur la situation ? Que préconisez-vous ?
Dans un premier temps, la chose à faire est de communiquer. Ensuite, il faut que justice soit rendue. Dans une République, on ne doit pas s’en prendre à une communauté. Ce pays a des règles et si l’impunité perdure, il risque de sombrer.
Par ailleurs, nous souhaitons sensibiliser les éleveurs sur l’éducation et l’engagement en politique. Ces milices s’attaquent à ces familles parce qu’elles les savent vulnérables. Ce sont des ruraux qui, pour la plupart, ne sont jamais allés à l’école. Il est donc primordial que ces éleveurs mettent leurs enfants à l’école, afin qu’ils connaissent leurs droits. Ensuite, les éleveurs doivent s’engager en politique, et en particulier au niveau local, qu’ils prennent part aux conseils municipaux des villages où ils vivent.
L’État a sa part de responsabilité dans ce processus. Il doit mettre en place une politique qui prenne en compte les éleveurs qui sont en brousse. Il faut rapprocher l’administration de cette catégorie de la population. Enfin, il faut sensibiliser les gens au vivre ensemble dans notre pays. Nous n’avons qu’un seul État et nous sommes tous des Burkinabè.
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