Irak : des livres, pas des bombes

Pour Nicholas D. Kristof, du New York Times, il est du devoir et de l’intérêt des Américains de s’assurer que les enfants des Irakiens qui ont fui leur pays aient droit à une éducation.

Publié le 25 août 2008 Lecture : 3 minutes.

Les secrets honteux de la guerre d’Irak ne sont pas à Bagdad ou à Bassora mais dans les quartiers mal famés de Damas ou les bidonvilles d’Amman-Est. Les quelque 2 millions d’Irakiens réfugiés dans les pays voisins sont les nouveaux Palestiniens, la diaspora arabe du XXIe siècle qui menace la stabilité de la région.
Beaucoup d’enfants ne reçoivent aucune éducation, et les filles sont parfois contraintes à la prostitution, en particulier à Damas. Sans le sou, sans statut, mal accueillis, ces Irakiens sont au Moyen-Orient une nouvelle bombe à retardement dont personne ne s’occupe, ni même se soucie. Les faucons américains préfèrent s’intéresser aux problèmes sécuritaires et sont prêts à investir des milliards de dollars dans des bases militaires permanentes. Il serait plus simple de combattre l’extrémisme en finançant la scolarité des enfants des réfugiés pour s’assurer qu’ils aient au moins droit à une éducation et ne se retrouvent pas sans emploi, encore plus marginalisés.

Nous, les Américains, nous avons semé la désolation en Irak et nous avons une responsabilité morale à l’égard de ceux dont nous avons brisé la vie. Leur venir en aide est aussi de notre intérêt, car nous regretterons notre aveuglement si nous laissons les jeunes réfugiés irakiens croupir sans formation et sans métier. « Mon mari et moi, nous ne pouvons plus envoyer nos enfants à l’école », explique Yousra Chaker, un professeur d’anglais qui a fui l’Irak et s’est réfugié en Jordanie quand son fils de 15 ans a reçu une balle dans la jambe lors d’une tentative d’enlèvement. « Nous ne pouvons plus payer les frais de scolarité ni supporter les agressions des élèves jordaniens. » Yousra appartient à une famille chrétienne, mais la plupart des réfugiés d’Irak sont des sunnites, dont certains ont parfois ouvert le feu sur les Américains ou se sont battus contre les chiites.
Les réfugiés irakiens n’ont droit à aucune assistance parce que c’est un problème que presque tout le monde veut cacher. La Syrie et la Jordanie craignent qu’ils s’incrustent indéfiniment si on leur vient en aide.
Les États-Unis ne veulent pas entendre parler d’une situation dont ils sont responsables, et les dirigeants chiites d’Irak se soucient peu des sunnites ou des chrétiens chassés de chez eux par les milices chiites. « C’est une des plus graves crises humanitaires ­actuelles, estime Michael Kocher, un expert du Comité de sauvetage international. Elle n’est pratiquement pas suivie par le Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui est, à mes yeux, un scandale et une mauvaise stratégie. »

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Il est facile de reprocher aux pays voisins comme la Syrie et la Jordanie de ne pas mieux accueillir les réfugiés irakiens. Mais, même à contrecoeur, ils les ont laissés s’installer, malgré le coût que cela représente et le risque politique. Il est difficile d’évaluer leur nombre, mais ils peuvent représenter 8 % d’une population jordanienne d’environ 6 millions d’habitants. La famille jordanienne moyenne, très hostile à la guerre d’Irak, supporte un coût annuel qui approche 1 000 dollars par an.
En revanche, l’an dernier, il n’y avait aux États-Unis que 1 608 Irakiens. Les Européens font un peu mieux, mais ils considèrent que tout cela est la faute des Américains et que ceux-ci doivent faire le premier geste. Un rapport d’Amnesty International dénonce l’indifférence ­générale.
Nous avons déjà vu, avec les Palestiniens, comment un afflux de réfugiés peut déstabiliser une région pendant des décennies. Si la Jordanie connaissait le même sort, ce serait une catastrophe. Le meilleur moyen de l’empêcher n’est pas de lui donner des hélicoptères Blackhawk, mais de distribuer des bourses et de construire des écoles. Si nous laissons s’enliser la crise des réfugiés irakiens, nous nous condamnerons à endurer leur haine pendant des décennies. Donner une éducation à des Irakiens est peut-être moins glorieux que de les bombarder, mais les résultats seront certainement plus positifs.

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