C’était Mahmoud Darwich

Pour notre collaboratrice, qui l’a bien connu, le poète palestinien, décédé le 9 août, a su plus que tout autre évoquer ce qui constitue le coeur de l’humain : l’amour, la dignité, la patrie.

Publié le 25 août 2008 Lecture : 4 minutes.

Ces dernières années, Mahmoud Darwich ne cessait d’invoquer le spectre de la mort, fût-ce à travers l’éloge de la vie. Depuis qu’il avait échappé à deux infarctus, en 1984 et en 1998, il n’y avait plus un recueil où, tout en célébrant la joie, l’art ou l’éternité, il ne laissât se dresser la menace de la disparition. Mais son être même était tout en ambivalence : à la fois joyeux luron et éternel nostalgique, épicurien et sage, consommateur des choses de ce monde sans jamais perdre conscience de l’éphémère.
Celui qui a connu Mahmoud Darwich, décédé le 9 août à Houston, dans le sud des États-Unis, à 67 ans, se souvient, d’ailleurs, de son sourire triste en même temps que de ses yeux fiévreux, de ses élans et de sa réserve, de sa tendresse trempée d’ironie. Timide, il ne parlait pas facilement, s’absentait en écoutant, n’aimait pas tellement répondre aux journalistes. Elles l’ennuyaient, toutes ces questions sur la poésie qui ne rimaient à rien.
À Paris, dans son appartement de l’Alma, en revanche, il aimait convier ses amis à sa table et raconter mieux que Shéhérazade de fabuleuses histoires. À moins qu’il n’invitât la compagnie en bas de chez lui, au Grand Corona, son restaurant préféré, où d’aucuns connaissaient ses habitudes : une bonne viande, une bouteille de saint-émilion, et Mahmoud était heureux ! Grand séducteur, il pouvait incendier bien des coeurs féminins et, à l’occasion, déclarer sa flamme, comme on déclame un vers, comme ça, pour raison de poésie, car si on lui a connu plusieurs idylles, aucune femme ne semble l’avoir retenu à jamais dans ses filets.

La voix de l’exil

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Mahmoud changeait lorsqu’il s’apprêtait à lire en public. Angoissé, il desserrait sa cravate, se plaignait de ballonnements et de nausées. Une fois sur scène, il oubliait sa peur, n’était plus que la voix de la Palestine, la voix de l’exil, la voix de celui que l’Histoire a contraint à l’errance ; celui que la tragédie de l’occupation va profondément affecter, marquant de son sceau une oeuvre riche d’une trentaine de recueils traduits en vingt-deux langues et de sept livres en prose. Une oeuvre dont les thèmes principaux – l’amour, la poésie, la femme – convergent à un moment ou à un autre vers la Palestine, qu’il avait quittée enfant, en 1948. C’est le commencement de l’exil, bien que personne ne le dise encore : « À 6 ans, j’ai été jeté dans le monde des adultes et obligé de quitter ma terre pour le Liban. Je croyais que j’y allais comme touriste avant de découvrir que, enfant, j’avais désormais pour autre nom ÂÂréfugiéÂÂ. »
Le garçon se console dans la lecture, y cherchant un monde « où [il] peu[t] retrouver ce que la réalité [lui] a pris ». Il dévore Les Mille et Une Nuits, Don Quichotte, les tragédies grecques. Parents et enseignants l’encouragent dans ses études. Son grand-père, dont il fut très proche, l’emmène dans les assemblées d’adultes, où il est fier de présenter un garnement qui sait lire le journal. Mahmoud, quant à lui, sait que la poésie sera la réponse à l’épreuve de son enfance : « Nous avons été spoliés de nos terres et de nos biens. La poésie sera ma revanche contre cette dépossession, me disais-je. Oui, j’avais ce rêve bête : être poète allait me rembourser ma part de bonheur. »
À 20 ans, Darwich est employé comme journaliste dans une feuille du Parti communiste israélien : « Nous étions obligés de rentrer dans la bataille de la pensée avec les Israéliens autour de la légitimité du passé et donc de notre identité. Jusque-là, l’intérêt d’Israël pour notre culture ne procédait pas par goût ni par curiosité positive, mais par souci de connaître l’ennemi, de même que notre intérêt à l’égard des Juifs obéissait aux impératifs du conflit. »

Au comité exécutif de l’OLP

Mahmoud sait aussi qu’être poète c’est écrire une poésie qui possède un impact sur le réel : « La politique est un devoir dans un monde qui a besoin de valeurs et de justice. L’écriture est partie prenante de ces valeurs, des problèmes du peuple et de la recherche d’une solution pour construire l’avenir. » L’OLP le prend au mot et le nomme membre de son Comité exécutif. Craignant de blesser Abou Ammar, il accepte. Ce sera le piège qui occultera parfois l’art du poète derrière la fonction du résistant.
Pour autant, Mahmoud se garde de parler de pression de la part des structures officielles palestiniennes : « La politique et la poésie ont toujours été imbriquées chez moi, par la force des choses », affirme-t-il. Avant de nuancer : « Je ne suis pas un politique, j’exerce la politique à travers la poésie. » S’il ne regrette pas son engagement, il réclame la liberté pour tout poète de « démissionner du politique » et de conserver « la liberté de sa folie ».
C’est sans doute cette dimension artistique qui a chevillé Mahmoud à ses lecteurs, une dimension qui dépasse toute cause, qui tient dans le génie de ­l’écriture, dans le talent de l’un des plus grands poètes de tous les temps. Et qui lui vaut le reproche d’avoir fait de l’ombre à la plupart des autres voix poétiques arabes. Mais, peut-il en être autrement lorsque la poésie ne cesse de flirter avec l’essentiel, que les mots de Darwich, ciselés dans la langue du Coran, savent mieux que d’autres évoquer ce qui constitue le coeur de l’humain : l’amour, la dignité, la patrie, la mère.
À propos : deux semaines avant sa disparition, Mahmoud était venu rendre visite à sa maman en Palestine. L’exilé qui a le mieux chanté l’odeur du pain et du café de sa mère a pu les sentir une dernière fois, à défaut d’être enterré dans le village qui l’a vu naître. Il a été inhumé le 13 août près du Palais de la culture de Ramallah. Peut-être la plus grande offense à un poète est-elle de lui refuser de rejoindre dans la mort sa terre maternelle !

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