ICC-Services : polémique après les réquisitions du procureur dans « l’affaire Madoff béninoise »

En qualifiant l’ex-président Boni Yayi et des anciens ministres de « complices » dans « l’affaire Madoff béninoise », dont le jugement est attendu jeudi, et requérant des peines allant jusqu’à 12 ans de prison contre des principaux dirigeants d’ICC, le procureur spécial de la CRIET a suscité une vague de soupçons d’une instrumentalisation politique du procès.

Ignace Sossou a été condamné a 12 mois de prison ferme le 19 mai 2020. (Ici un kiosque de Cotonou – image d’illustration). © Youri Lenquette pour JA

Ignace Sossou a été condamné a 12 mois de prison ferme le 19 mai 2020. (Ici un kiosque de Cotonou – image d’illustration). © Youri Lenquette pour JA

Fiacre Vidjingninou

Publié le 6 février 2019 Lecture : 5 minutes.

Les deux phrases sont massivement commentées à Cotonou depuis près de 48 heures. « Le gouvernement béninois au regard des faits a failli. Thomas Boni Yayi, Grégoire Akofodji et Armand Zinzindohoué sont complices et le ministère public prendra les dispositions aux fins de saisir les juridictions compétentes », a ainsi déclaré le 4 février le procureur Gilbert Togbonon lors de son réquisitoire sévère dans le procès de « l’affaire Madoff béninoise », qui s’intéresse dans un premier temps aux principaux dirigeants de ICC-Services.

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Le procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques (CRIET) a requis des peines allant de 5 à 12 ans de prison contre les dirigeants de ICC-Services (Investment Consultancy and Computering Services), une structure de placement illégal de capitaux opérant à la manière des systèmes Ponzi qui a réussi à appâter et ruiner des milliers de Béninois. Au centre du dossier, près de 150 000 victimes et plus de 150 milliards de francs CFA spoliés (près de 230 millions d’euros). L’ex-président de la République, Thomas Boni Yayi, et d’anciens ministres, dont les noms ont été abondamment cités au cours de ce procès fleuve pour une collusion supposée entre son régime et les responsables de ICC-Services, seront appelés à la barre plus tard et devant une haute juridiction, la Haute Cour de justice.

En attendant le jugement du procès, qui interviendra le 7 février, certains justifient la démarche du procureur comme étant destinée à « faire toute la lumière sur cette arnaque du siècle », alors que d’autres trouvent qu’« il outrepasse ses droits » et « montre que le procès est bel et bien politique ».

Un acte manqué du procureur ?

« En déclarant certaines personnes « complices » alors qu’il n’a même pas pris la peine de les écouter en amont, [le procureur spécial] a violé non seulement le principe de la présomption d’innocence mais aussi celui du contradictoire, principe cardinal du procès pénal », précise à Jeune Afrique un magistrat à la retraite sous couvert d’anonymat. Et d’ajouter : « Il n’a même pas la compétence de déclencher la poursuite contre ces personnes devant la Haute Cour de justice. Seul le procureur général de la cour d’appel de Cotonou a ce pouvoir ».

La plupart des anciens ministres cités dans cette affaire nient les faits qui leur sont reprochés. Armand Zinzindohoué, alors ministre de l’Intérieur, qui aurait délivré des permis de port d’arme aux dirigeants de ICC et offert des gardes du corps, a fortement contesté les liens entre les documents officiels qu’il a signés « conformément à la procédure » et la spoliation des déposants.

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Dans l’entourage d’Issifou Kogui N’Douro, ancien ministre de la Défense cité au cours des auditions pour avoir réceptionné officiellement un véhicule de patrouille offert par les dirigeants de ICC à la gendarmerie, on dément « tout lien personnel avec les responsables de ICC-Services ». « Il a agi dans le cadre très strict de ses fonctions et sur instruction de sa hiérarchie », souligne l’un de ses proches collaborateurs.

Une tentative pour nuire à Boni Yayi ?

Pour les partisans de l’ancien président Thomas Boni Yayi et de ses ex-ministres, le qualificatif « complices » utilisé par le procureur est un « acte manqué », selon eux, qui révèle l’objectif originel de nuire aux ex-dirigeants du pays.

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>>> À LIRE – ICC-Services : le procès de « l’affaire Madoff béninoise », un grand déballage sur l’ère Boni Yayi

Selon un communiqué publié le 6 février par la coordination de la 5e circonscription électorale des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), le réquisitoire du parquet spécial vise à « traîner le président Boni Yayi et ses partisans les plus fidèles dans la boue pour empêcher leur participation aux prochaines élections législatives du 28 avril 2019 ».

Pendant le procès, d’importantes personnalités ont témoigné sur la complicité de Boni Yayi, président de la République au moment des faits. L’ancien procureur général Georges Constant Amoussou, lors de sa déposition devant la Cour, a affirmé que « le promoteur de ICC-Services est bel et bien Monsieur Thomas Boni Yayi avec la complicité de ses collaborateurs ». Pour Guy Akplogan, directeur général de ICC-Services, Yayi serait à l’origine de la cessation des paiements subie par sa structure : « Nous n’avons jamais eu de problème pour payer nos clients avant la crise », a-t-il soutenu.

Face aux premières accusations, l’ancien président a annoncé avoir mis en place une équipe pour « relever et poursuivre tout acte ou propos qui serait constitutif d’atteinte à son honneur et sa réputation, en cas d’abstention de la CRIET à se saisir d’office de telles infractions ». Le 24 décembre 2018, ses avocats s’étaient insurgés contre « ces affirmations [qui] s’écartent à tout point de vue de la vérité, mais plus gravement, tendent à présenter et installer M. Thomas Boni Yayi dans l’inconscient collectif, comme la source de cette escroquerie à grande échelle ». Ils avaient également annoncé qu’une plainte avec constitution de partie civile pour faux témoignage avait été déposée à l’encontre de l’ancien procureur général.

Des peines qui laissent perplexe

Les Béninois supputent également sur les peines requises. De 5 à 12 ans de prison contre les dirigeants d’ICC-Services, alors que la loi anticorruption qui punit, par exemple, l’escroquerie avec appel public, prévoit une peine maximale de 20 ans. « Vous imaginez, un certain Michel Agbonnon déclare lui-même à la Cour avoir collecté 165 millions de francs CFA mais on requiert contre lui une amende de 75 millions ! », constate le magistrat à la retraite. « Ces gens devraient prendre la peine maximale. Avec ces peines, certains dirigeants de ICC qui ont déjà fait environ 9 ans de prison sortiront très bientôt », s’indigne un déposant très préoccupé par la procédure de remboursement.

Le silence du procureur Gilbert Togbonon sur la responsabilité des personnalités comme Pascal Irénée Koupaki, numéro 2 du gouvernement à l’époque des faits et actuel secrétaire général de la présidence, défraie aussi la chronique. Alors que ce dernier, lors de son audition par la Cour en tant que « sachant », avait déclaré n’avoir été au courant de l’affaire qu’après son éclatement, il a été mis en cause – au même titre que Boni Yayi – par l’ancien procureur général qui avait dit devant la Cour que « l’affaire ICC est un pacte entre Boni Yayi et Pascal Irénée Koupaki pour se relayer au pouvoir ».

« Le procureur ne retient que le nom de Yayi dans ses réquisitions et pas celui de Koupaki. C’est du deux poids deux mesures », souligne un cadre des FCBE.

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