Au plus bas, le Zimbabwe se prend à espérer

Entré dans sa dixième année de récession, le pays affiche des records mondiaux d’inflation et de chômage. Avec l’ouverture des négociations politiques, des perspectives de sortie de crise commencent à poindre.

Publié le 25 août 2008 Lecture : 6 minutes.

Andrew Ferreira, le président de l’Association des producteurs de tabac du Zimbabwe, qui regroupe 4 500 membres, ne peut que constater la chute vertigineuse de l’économie du pays. « En 2000, nous produisions 247 000 tonnes de tabac. Aujourd’hui, la production dépasse à peine 70 000 tonnes. Je ne peux même pas vous donner de chiffres sur les exportations. Avec l’inflation, demain, ils ne signifieront plus rien. » L’agriculture était le fer de lance de ce pays de 13 millions d’habitants surnommé « le grenier à blé de l’Afrique australe ». En 2001, elle représentait 21 % du PIB, un tiers des réserves de change et employait 60 % de la population active. Elle n’a pas résisté à la politique d’« indigénisation » lancée au début des années 2000. L’agriculture ne représente plus que 15 % d’un PIB qui a lui-même chuté de 40 % en huit ans.
Dans son sillage, la plupart des grandes manufactures qui en dépendaient (textile, agroalimentaire, matériel agricole et transformation alimentaire) ont fermé les unes après les autres. En huit ans, la production agricole s’est effondrée de 51 % et la production industrielle de 47 %. La perte de la manne touristique a fini d’achever le tout : en 1999, le Zimbabwe recevait 1,4 million de visiteurs. Aujourd’hui, les 80 % de chômeurs survivent grâce aux devises étrangères envoyées au pays par ses 4 millions d’émigrés. « Cette situation est l’exemple caricatural des ­conséquences d’une mauvaise gouvernance », résume Daniel Compagnon, professeur à l’Institut d’études politiques (IEP) de Bordeaux et spécialiste du Zimbabwe.
Toutes les activités sont en berne, y compris celles qui ne sont pas liées à l’agriculture. L’extraction minière est sinistrée, à commencer par l’or, autrefois première ressource du sous-sol du pays. À 7 tonnes, le volume produit en 2007 était quatre fois moins important qu’en 1999. Les minerais industriels attirent encore quelques multinationales, même si elles ont l’obligation d’être minoritaires dans tout projet, selon une loi entrée en vigueur en mars 2008 (Empowerment Bill). En juin, Anglo American a déboursé 400 millions de dollars américains pour le projet Unki, qui prévoit l’extraction de platine par sa filiale sud-africaine Anglo Platinum dans la région du Great Dyke, dans l’est du pays. « Si les deals se déroulent en devises étrangères, tout est possible, confie Tangai David Murangari, analyste financier à la Stanbic Bank de Harare. Mais de telles exploitations doivent être particulièrement rentables, car les exportateurs ont l’obligation de faire transiter leurs opérations par la Banque fédérale. » Au taux de change officiel, cinq fois moins élevé que les cours sur le marché parallèle.
La même loi de mars 2008 pourrait également avoir raison du secteur des transports, relativement épargné jusqu’à présent. Le Zimbabwe bénéficie d’une position géographique qui le rend pratiquement incontournable entre l’Afrique du Sud, la RD Congo et la Tanzanie. Et ses routes, quoique très mal entretenues, sont encore bien meilleures que celles du Mozambique, de la Zambie ou du Malawi voisins. Mais même J & J, la première entreprise zimbabwéenne de transport routier, créée en 1995, a du mal à faire face aux pénuries de pétrole. Elle doit consacrer une partie de son activité camions à transporter son propre carburant : l’essence est désormais rationnée au Zimbabwe et les prix sont fixés par le gouvernement.

Bénéfice multiplié par cent

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Comme beaucoup d’autres, le patron de J & J se refuse à donner quelque chiffre que ce soit. Ceux qui le font ont appris à jongler avec les taux de change et d’inflation. Ainsi Cottco (The Cotton Company of Zimbabwe), entreprise de textile et d’agroalimentaire (engrais, huiles de table, surgelés), affiche une hausse de 153 % de son chiffre d’affaires (données corrigées de l’inflation) sur son exercice, clos en mars dernier, à 1,5 milliard de dollars américains, alors qu’en volume son activité a décliné de 16 %. Explication : la même année, le groupe s’est doté d’une structure financière qui lui permet de se couvrir des évolutions du taux de change et aussi d’afficher un bénéfice net multiplié par cent.
Le 19 août, le gouvernement fixait à 11 000 000 % le taux d’inflation officiel. En mars, pour commander une bière, il fallait débourser 90 millions de dollars zimbabwéens (DZ). En juin, il en coûtait 1 milliard de DZ. À la fin de juillet, 800 milliards. Et la décision de Gideon Gono, le gouverneur de la Banque fédérale (Reserve Bank of Zimbabwe, RBZ), de supprimer dix zéros à la monnaie nationale (depuis le 1er août, 1 DZ correspond à 10 milliards d’anciens DZ), ne change rien à la donne : « C’est mettre du rouge à lèvres à un crapaud », estime Zimbabwe Today, journal d’opposition établi à Londres. Tant que les caisses seront vides, la monnaie ne retrouvera pas sa valeur d’échange et l’inflation continuera sa course. Les investissements directs étrangers sont inexistants : 30 millions de dollars américains l’année dernière (400 millions en 1998). Le déficit cumulé du commerce extérieur atteint le montant astronomique de 219 milliards de dollars américainsÂÂÂ Presque l’équivalent du PIB de l’Afrique du Sud.
« Notre économie a un besoin impérieux de changement, tonne Lovemore Kadenge, président de la Société économique du Zimbabwe, un think-tank financier basé à Harare. Nous atteignons à peine 15 % de notre capacité de production. Les entrepreneurs étrangers sont partis et les Zimbabwéens eux-mêmes n’ont plus confiance. Ils se sont installés en Afrique du Sud. » C’est le cas de l’opérateur de télécommunications Econet Wireless. Né en 1993, le groupe a lancé son premier réseau GSM en 1998. Aujourd’hui, sa branche nationale est encore l’une des premières entreprises zimbabwéennes, et la multinationale qui en est née a conquis des marchés dans plus de quinze pays, jusqu’au Nigeria, dont il s’est retiré en 2001.

Vers un nouveau gel des prix

Son siège n’est plus à Harare, mais à Johannesburg, en Afrique du Sud. Officiellement, pour des raisons logistiques. Le directeur exécutif Douglas Mboweni refuse de parler de crise, mais plutôt de « difficultés temporaires ». Son directeur financier, Kris Chirairo, est plus critique : « On nous impose un contrôle des prix pour les maintenir à un niveau très bas, ce n’est pas réaliste ! Nos produits ne viennent pas du Zimbabwe, il faut que nos tarifs soient ajustés au monde. »
Les négociations lancées à la fin de juillet sous l’égide du président sud-africain Thabo Mbeki donnent cependant espoir aux observateurs économiques. Tous prédisent un retour rapide à la normale de l’économie, car le Zimbabwe peut s’appuyer sur les vestiges du passé, des infrastructures de qualité, un approvisionnement en électricité unique en Afrique grâce au barrage de Kariba, un système bancaire qui était solide et une jeunesse éduquée et formée. « Le pays peut se redresser rapidement. Encore faut-il lui apporter de l’argent frais de l’Occident pour relancer l’économie à travers un vaste programme d’investissements », estime Daniel Compagnon, de l’IEP de Bordeaux. « Je suis certain que l’on verrait une amélioration dans les trois mois, et un retour au niveau de 1998 d’ici à trois ans, affirme Erich Bloch, économiste basé à Bulawayo (deuxième ville du pays) qui conseille la Banque fédérale. Mais à une seule condition : que les pourparlers entre le pouvoir et l’opposition aboutissent, et que Robert Mugabe abandonne le pouvoir exécutif. »
Du côté des opérateurs, on appréhende une ouverture brutale des marchés, comme le promet Morgan Tsvangirai en cas de partage du pouvoir. « Lorsque le pays s’ouvrira, nous devrons être prêts à affronter des groupes sud-africains comme MTN, et d’autres plus puissants », s’exclame Kris Chirairo, d’Econet Wireless. Pour le moment, son groupe est numéro un avec 653 000 abonnés au Zimbabwe, qui présente l’un des taux de pénétration les plus bas du continent (7 %, à comparer avec 16 % au Mozambique ou 40 % en Namibie). La marge de progression est très importante et la concurrence devrait s’accélérer. Dans l’immédiat, les discussions entre Robert Mugabe et son rival pour le partage du pouvoir sont toujours au point mort, et la Banque fédérale souhaite décréter un nouveau gel des prix et des salaires. « Il n’y a qu’une seule solution pour que le pays retrouve un dynamisme économique : cela s’appelle la confiance », conclut Andrew Ferreira, de l’Association des producteurs de tabac.

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