Au diable la politique
Que savent les Marocains (et plus généralement les Maghrébins) de leur histoire ? C’est la question que je me suis posée hier, alors que je me trouvais en gare de Perpignan. Vous savez que cette gare française a été proclamée centre du monde par Salvador Dali, il y a quelques décennies, ce qui ne nous rajeunit pasÂÂ Mais je m’égare, Dali n’est pas l’objet de cette chronique, ni même cette gare tristounette (pardon aux autochtones), cette gare où le hasard fait que je suis assis à côté d’une jeune dame, qui se révèle être marocaine : l’étiquette de sa valise en fait foi, sur laquelle s’étale le beau prénom de Boutaïna suivi d’un nom de famille plus-chérifien-que-moi-tu-meurs. La conversation s’engage entre nous, pauvres voyageurs échoués en gare de Perpignan, attendant un TGV aléatoire – ce sont les pires.
Boutaïna m’apprend qu’elle habite en Europe depuis l’année du typhus, qu’elle y mène une carrière prometteuse d’expert-comptable, qu’elle se plaît à Trifouillis-les-Oies mais reste profondément attachée au pays de ses aïeux. Alors moi, assez méchamment – ce maudit TGV n’en finit pas d’arriver, ça énerve tout le monde -, je lui demande quel est le nom du Premier ministre marocain. Elle fronce les sourcils, se creuse les méninges pendant quelques minutes puis finit par avouer qu’elle n’en sait fichtre rien. Je lui balance alors, très cuistre boutonneux :
« Il s’appelle Abbas El Fassi !
Elle me regarde de ses grands yeux d’expert-comptable et rétorque, ahurie :
– Comment ? Mais c’est un vieux d’la vieille, il a au moins 120 ans, mon grand-père en parlait déjà quand j’étais au berceau. »
J’ai mis un moment à réaliser que la mignonne confondait Abbas El Fassi et Allal El Fassi : un peu comme si une Anglaise imaginait Churchill Premier ministre en 2008, ou qu’une Bretonne croyait Giscard encore à la barre.
Vous me dites que c’est catastrophique (« Où va le monde, les jeunes ne savent plus rien, on n’enseigne plus l’histoire, etc. »). Pas du tout. En fait, c’est un grand progrès qu’on ne voie plus le monde à travers le prisme étroit de la politique. Cette ingénue en gare de Perpignan avait un rapport très sain avec son pays : elle m’a par la suite parlé avec chaleur des paysages, des odeurs, des bons petits plats, de la gentillesse des gens – et peu lui importait que Ba Ahmed ne fût plus grand vizir de l’empire ni Mezouari ministre du CoffreÂÂ
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