Nigeria : Boko Haram, affaibli par les troupes de Buhari, « a gagné en qualité tactique »
À quelques jours de la présidentielle à laquelle il est candidat, le président Muhammadu Buhari présente un bilan sécuritaire mitigé. S’il a dans un premier temps réussi à affaiblir Boko Haram, le groupe jihadiste a gagné en qualité tactique et stratégique, analyse le spécialiste Vincent Foucher.
C’était sa promesse lors de son arrivée au pouvoir en 2015 : « éradiquer Boko Haram ». Quatre ans après, le président Muhammadu Buhari, candidat à sa propre succession à la présidentielle du 16 février prochain, ne semble pas avoir changé de rhétorique. « Nos troupes ne doivent pas perdre de vue leur tâche : éliminer Boko Haram de la surface de la terre », a-t-il ainsi déclaré en novembre dernier à Maiduguri, capitale de l’État du Borno, après une terrible attaque contre une base militaire qui a fait une centaine de morts parmi les soldats.
Muhammad Buhari le sait, le 16 février prochain, son bilan sécuritaire sera particulièrement évalué par les Nigérians qui se rendront aux urnes. Un bilan sécuritaire mitigé, selon Vincent Foucher, chercheur au CNRS et spécialiste de Boko Haram au Nigeria, pour qui Boko Haram, scindé en factions, est aujourd’hui mieux organisé, en prenant notamment pour cible principale l’armée.
Jeune Afrique : En 2015, Muhammadu Buhari avait notamment promis aux Nigérians de combattre Boko Haram d’ici la fin de son mandat. A-t-il tenu sa promesse de campagne ?
Vincent Foucher : Muhammadu Buhari a été élu avec l’idée qu’il saurait mieux gérer le conflit sécuritaire que son prédécesseur Goodluck Jonathan, étant lui-même un ancien militaire qui a gouverné l’État de Borno, où Boko Haram était le plus actif. D’un point de vue militaire, il a renforcé l’armée de l’air et promu des officiers du Nord-Est qui connaissaient bien cette zone.
Il a dynamisé la Force multinationale mixte autour du lac Tchad, qui était jusque-là une coquille vide
Il a aussi renforcé la coopération bilatérale entre États, en relançant notamment la collaboration avec le Cameroun, longtemps opposé au Nigeria autour de la possession de la péninsule de Bakassi, dans le sud des deux pays. Il a également dynamisé la Force multinationale mixte, qui regroupe des militaires du Tchad, du Cameroun, du Niger, du Bénin et du Nigeria autour du lac Tchad, qui était jusque-là une coquille vide.
Shekau disposerait d’environ 2000 combattants et la faction d’al-Barnawi en aurait entre 2500 et 5000
Durant son mandat, Muhammadu Buhari a répété à de nombreuses reprises que Boko Haram était « techniquement défait ». Qu’en est-il réellement ?
Dès le début de son mandat, Buhari a continué les efforts de son prédécesseur en faisant reculer Boko Haram. En 2016, le groupe a perdu le contrôle de toutes les villes secondaires qu’il possédait autour de l’État de Borno notamment. Suite aux défaites, les militants se sont interrogés sur le leadership de leur chef Abubakar Shekau et se sont scindés en deux : la faction d’Abu Musab al-Barnawi, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWA), et la branche de Shekau.
>>> À LIRE – Lac Tchad : quelle réorganisation de Boko Haram se cache derrière la recrudescence des attaques ?
La première tient le lac Tchad, zone riche en ressources naturelles et convoitée par la société civile, et la seconde reste présente dans la forêt de la Sambisa, à la frontière camerounaise. Il existe aussi des zones grises où les deux groupes sont présents. Les sources sécuritaires estiment que Shekau disposerait d’environ 2 000 combattants, tandis qu’al-Barnawi en aurait entre 2 500 et 5 000.
Les jihadistes ont-ils changé leurs méthodes ?
L’ISWA s’est éloigné des méthodes de Shekau basées sur la terreur et l’explosion de kamikazes sur les places publiques. Le groupe préfère aujourd’hui bombarder les bases militaires de l’armée nigériane. Il essaie aussi de fournir des services aux populations : justice, santé, éducation islamique. Dans le Nord du Nigeria, un certain nombre de gens juge qu’on peut vivre et travailler dans les zones occupées par l’ISWA.
Comment expliquez-vous la recrudescence des attaques depuis mi-2018 dans le nord du pays ?
Il y a deux raisons. La première, c’est que depuis 2016, l’ISWA a reconstitué ses stocks – armes, véhicules, carburants – en attaquant des petites bases militaires au Niger et au Nigeria. Le groupe s’attaque désormais aux grosses bases militaires car il a atteint une taille crédible qui le lui permet. La prise de Baga en décembre dernier a fait fuir des centaines de soldats de la Force multinationale mixte.
La deuxième raison, c’est qu’il y a eu un changement de stratégie avec la mort de Mamman Nur, un des leaders de l’ISWA tué en 2018 par les membres radicaux de son groupe, qui lui reprochaient d’être trop modéré et proche de l’État nigérian.
Comme ils n’ont pas encore de solution face à la menace aérienne, ils font du jihad rural
Qu’est-ce que fait l’ISWA des bases militaires qu’il détruit ? Ce pillage leur permet-il de se militariser ?
La défaite de 2016 a montré aux membres de l’ISWA qu’ils ne peuvent pas durablement tenir les grandes localités parce qu’ils seront bombardés par les aviations du Nigeria et de ses voisins. Alors quand ils attaquent les bases militaires, ils pillent et évacuent. Comme ils n’ont pas encore de solution face à la menace aérienne, ils font du jihad rural.
Après l’attaque de Baga en décembre dernier, Boko Haram a-t-il une force de frappe supérieure à celle de l’armée nigériane ?
L’armée nigériane est mal gouvernée : ses ressources sont mal utilisées et les conditions de vie des soldats posent problèmes. Il se dit par exemple qu’elle ne possède pas de système médical pour évacuer les soldats blessés.
En face, les experts affirment que l’ISWA a gagné en qualité tactique et stratégique, avec un meilleur maniement des armes et une meilleure formation de ses combattants. Mais l’armée nigériane reste très active.
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