Sergio Vieira de Mello Représentant de l’ONU en Irak

Publié le 25 août 2003 Lecture : 3 minutes.

J’ai fait la connaissance de Sergio Vieira de Mello au milieu des années 1990. Il était alors l’un des responsables du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dont j’étais l’un des porte-parole, à Genève. Difficile de ne pas tomber en admiration devant ce gaillard à la carrure de rugbyman, à la poignée de main franche et au rire contagieux.
Ex-soixante-huitard au Quartier latin de Paris, « Sergio », comme on l’appelait, était un esprit vif et brillant, un séducteur né, parfaitement conscient de son charme, notamment auprès de la gent féminine, au point de toujours s’entourer de ravissantes collaboratrices. Il avait la repartie facile, un sens inné de la formule, un franc-parler aux antipodes des formules creuses et empesées qu’affectionnent nombre de fonctionnaires internationaux. Pour le plus grand bonheur des journalistes.

Ce diplomate brésilien aux tempes grisonnantes, mort à 55 ans, avec plusieurs de ses collègues, dans l’attentat à la bombe contre le siège de l’ONU à Bagdad, le 19 août, ne repoussait jamais une demande d’interview, quand il ne s’arrangeait pas pour la susciter. Le même jour, il pouvait ainsi intervenir live sur TV Globo, CNN et la BBC, réagir à brûle-pourpoint sur RFI et accorder un entretien inopiné à El Pais. Sergio, contrairement à beaucoup de ses collègues, passait avec aisance du portugais à l’anglais, et de l’espagnol au français, qu’il parlait de façon tout à fait remarquable.
Marié en premières noces à une Française et père de deux enfants, Sergio Vieira de Mello a débuté sa carrière internationale en 1969 – à 21 ans ! – comme simple « auditeur » au HCR, tout en poursuivant des études de philosophie à l’université Panthéon-Sorbonne, à Paris. Intelligent, travailleur et, selon ses détracteurs, « calculateur », il y connaîtra une ascension fulgurante, sans jamais rester plus de deux ans au même poste. Il sera ainsi, tour à tour, chef de cabinet du haut-commissaire, chef du personnel, directeur des opérations, envoyé spécial au Cambodge, où il apprend, au propre et au figuré, à « déminer ». Puis, en 1996, il est affublé du titre étrange, du moins en français, de « haut-commissaire assistant » et devient, de fait, le numéro deux d’une des agences les plus prestigieuses du système onusien avec, à l’époque, un budget autonome de 2,3 milliards de dollars.

la suite après cette publicité

Puis, Sergio, que certains présentent déjà comme un sérieux prétendant à la succession de Kofi Annan, s’envole pour New York, où il prend en main la coordination des Affaires humanitaires, avec rang de sous-secrétaire général des Nations unies. Après une tentative infructueuse pour le faire nommer envoyé spécial en Angola (Luanda refusera la demande d’accréditation, sans doute à cause de la nationalité brésilienne de l’intéressé), Annan l’envoie au Kosovo, puis au Timor oriental, dont il devient, à partir de septembre 2001, le « proconsul ». C’est lui, en tout cas, qui, de manière intelligente, méthodique, pragmatique et pacifique, accompagnera l’ancienne colonie portugaise à l’indépendance, le 20 mai 2002. Ce succès, unanimement salué, comptera pour beaucoup dans la décision du secrétaire général de lui confier, à compter du 12 septembre 2002, les rênes du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, autre institution réputée, quoique dotée de faibles moyens humains et financiers (200 agents et un budget de 50 millions de dollars).
Sergio remplace à ce poste sensible une « trouble-fête », Mary Robinson, ancienne présidente d’Irlande et bête noire des États-Unis. Le Brésilien présente l’avantage d’être « de la maison », de bénéficier de la confiance de Kofi Annan (les deux hommes ont naguère travaillé ensemble au HCR) et du soutien des Américains, des Britanniques, des Russes et des Chinois, soulagés de s’être enfin débarrassés de Robinson.
Quelques mois plus tard, en mai 2003, le secrétaire général de l’ONU pensera de nouveau à Vieira de Mello lorsqu’il lui faudra désigner son « envoyé spécial » en Irak. Sergio est, un moment, en concurrence avec son vieil ami et collègue tunisien Kamal Morjane, actuel numéro deux du HCR et ancien patron de la Mission des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc). Surprise ! Pour la première fois, le diplomate tout-terrain, qui a pourtant les faveurs de Washington, hésite. Et on le comprend. S’il accepte sa nouvelle affectation, huit mois seulement après sa nomination à la tête du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, il passera probablement aux yeux de l’opinion comme « l’homme des Américains », qui se sont rendus maîtres de l’Irak sans le feu vert de l’ONU. S’il refuse, il risque de se mettre à dos ces derniers et d’hypothéquer la suite de sa carrière. Finalement, il accepte, mais pose deux conditions : il conserve son poste au Palais Wilson, à Genève, et sa mission en Irak ne devra pas excéder quatre mois.

En homme d’expérience, Sergio savait qu’il jouait la partie la plus difficile de sa vie.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires