Porte-parole d’une génération

Plus qu’un phénomène de mode, le hip-hop se revendique comme le moyen d’expression de ceux qui n’ont pas voix au chapitre.

Publié le 25 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Les rappeurs ont envahi le pays ! De Dakar à Saint-Louis en passant par Ziguinchor, les grandes villes du Sénégal succombent à la « tchatche » des quelque 3 000 groupes qui se donnent en concert. Pour sortir leur musique des discothèques et des cours d’école où elle est trop souvent cantonnée, les rappeurs s’organisent, tentent d’exporter leurs morceaux et multiplient les contacts avec des artistes internationaux, notamment français. Forts de ce nouvel élan, les festivals prolifèrent. À chaque fois, le succès est énorme.
Ce fut, par exemple, le cas du très remarqué Sénérap international, qui s’est tenu les 14 et 15 mars dernier dans la capitale sénégalaise. Pour cette première édition, environ 8 000 personnes ont repris à l’unisson les rimes contestatrices scandées par des artistes élevés au rang d’icônes par la plupart des jeunes : Positive Black Soul (PBS pour les intiniés), Pee Froiss, Wa BMG 44, Da Brains… Ambiance maillot de basket-ball et jeans extra-larges pour les garçons, hauts talons et cheveux blonds pour les demoiselles.
Cela fait maintenant une dizaine d’années que la patrie de Senghor est conquise par cette musique – le rap – et surtout par la culture qui l’accompagne – le hip-hop. « Mais le hip-hop n’est pas seulement un effet de mode venu des États-Unis, assure Mamadou Konté, producteur sénégalais et coorganisateur de Sénérap, via son association Africa Fête. La mode ne nous fait pas manger, alors que le rap nous permet de vivre et de nous exprimer. On est la voix de ceux qui n’ont pas droit à la parole. »
Au Sénégal comme sur l’ensemble du continent africain, le chômage frappe une population dont la moitié n’a pas 25 ans. Beaucoup de ces jeunes ne se reconnaissent pas dans les chants des griots, coupables à leurs yeux de faire par trop l’éloge des politiciens et des hommes d’affaires. La musique nationale moderne, le mbalax, ne leur parle pas davantage. Seul le rap leur permet d’aborder des sujets aussi vastes que les dangers du sida ou les récurrentes coupures d’électricité. Le courant musical est devenu le leitmotiv de toute une génération. Monter son groupe ou devenir animateur radio sont autant de moyens d’exister. Le hip-hop comme moyen de réinsertion ? Pas encore. Sur place, hormis une école des arts assez réputée, les structures et les formations aux métiers de la musique font défaut.
L’inspiration, ils la trouvent dans la rue. Mais, contrairement à leurs modèles anglo-saxons, pas question pour les rappeurs sénégalais de cracher sur les femmes ou d’inciter à la débauche dans leurs textes. « Notre différence se situe dans notre message : nous avons une sorte de mission d’intérêt général, explique Tapha, alias Cool MD, l’un des chanteurs du groupe Da Brains. Par ailleurs, si nous reprenons beaucoup les rythmes venus des États-Unis, nous les agrémentons à notre sauce, cora et balafon à l’appui. » Si leur répertoire compte un certain nombre de chansons en français et en anglais, le wolof reste la langue la plus utilisée. Tradition oblige.
Sur les quelque 2 millions de cassettes vendues au Sénégal en 2002, 500 000 étaient des albums de rap. Ce qui en fait le deuxième marché musical du pays, juste après le mbalax. Le mouvement hip-hop, qui englobe des activités artistiques aussi diverses que le graffiti ou les ateliers d’écriture, a explosé en 1994 avec la sortie de Boul Fale, le premier album de PBS. « Du jour au lendemain, le regard de la société sur les rappeurs a complètement changé, remarque Tapha. Avant, nous étions comme des parias, ma mère et les voisins ne voyaient pas d’un bon oeil mes habits de marque américaine. Ils appréciaient encore moins que je critique ouvertement les politiques. »
Le rap sénégalais pourrait bien finir par être victime de son succès. « Entre huit et douze nouveaux albums sortent chaque année », précise Mamadou Konté. Le marché national est en pleine forme, malgré une accalmie en 2000-2001, il tente même de s’exporter dans la sous-région – notamment vers le Mali, le Burkina ou encore la Mauritanie -, mais les problèmes de distribution sont de plus en plus sensibles. Comme partout en Afrique, le piratage fait des ravages. « Sortir une cassette revient en moyenne à 6 millions de F CFA (9 147 euros), pour un prix de vente à l’unité de 1 000 F CFA », détaille Mamadou Konté. Les pirates revendent leurs copies environ 800 F CFA sur les marchés ou sous le manteau. Depuis juin 2002, le Bureau sénégalais des droits d’auteur (BSDA) essaie d’imposer des hologrammes antifalsification sur les pochettes, menaçant de sanctions financières et pénales ceux qui ne respecteraient pas la règle. En vain. Selon Mamadou Konté, « les pirates savent où acheter ces timbres et n’ont plus ensuite qu’à les coller sur leurs propres copies ».
Autre problème : les groupes de rap qui débutent disposent de peu de moyens. Le matériel de qualité ne se trouve pas à tous les coins de rue et les studios d’enregistrement proposent rarement des tarifs abordables. La solution viendra peut-être du gouvernement d’Abdoulaye Wade, ce président que les rappeurs ont contribué à faire élire, le 19 mars 2000, en prônant le changement de politique pour lutter, notamment, contre le chômage. Mais attention, ne les taxez pas d’un quelconque militantisme. Pour preuve, dans l’une de ses plus célèbres chansons, PBS n’hésite pas à dénoncer la mauvaise gestion du continent par les leaders politiques. Son titre ? « Le bourreau est noir ».

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