Piratage à grande échelle

Principale gangrène de l’industrie musicale, la contrefaçon des oeuvres s’est accrue avec le développement de l’Internet.

Publié le 25 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Combien des chanteurs comme Koffi Olomidé, Alpha Blondy ou Manu Dibango touchent-ils quand un de leurs morceaux passe en discothèque au pays ? Difficile à dire. Et pourtant, quasiment tous les pays d’Afrique comptent aujourd’hui une structure de gestion collective des droits des auteurs-compositeurs. Sauf qu’on ne vante pas leur efficacité. Inexpérimentées pour la plupart, ne publiant que rarement les chiffres des meilleurs ventes, ces structures sont régulièrement accusées de tenir des comptes peu clairs ou d’avoir des frais de fonctionnement exorbitants. À leur décharge, elles manquent souvent de personnel pour effectuer les opérations de recouvrement qui leur incombent. Sans compter que les grands médias et les directeurs de salles de spectacle ne se montrent pas toujours des plus coopératif.
Tous ces organismes sont encore contrôlés par l’État, ou sont dotés d’un statut mixte. « Leur création est allée de pair avec l’adoption de dispositions législatives garantissant une protection juridique aux ayants droit, rappelle Émile Glélé, juriste à la section de l’entreprise culturelle et des droits d’auteur au sein de l’Unesco. Aujourd’hui, tous les acteurs de la musique doivent se mobiliser avec l’appui et le soutien des pouvoirs publics pour participer à l’autogestion de leurs droits. Sans oublier le public qui doit aussi y être sensibilisé. » Sensibilisé à quoi ? À la protection des artistes. La Convention de Berne – adoptée en 1886 et révisée à de nombreuses reprises – stipule sur ce point : « Le droit moral est imprescriptible et inaliénable. » Ce texte instaure une protection juridique des auteurs en leur conférant des droits moraux et patrimoniaux (droit de reproduction et de représentation), qui leur donnent le pouvoir de s’opposer à toute déformation de leur création. En général, l’oeuvre ne peut tomber dans le domaine public que cinquante ans après la mort de l’artiste. Alors qu’attend-on du public ? Qu’il ne favorise pas le développement du piratage des disques en se laissant tenter par des copies, certes quatre fois moins chères que l’original dans certains pays comme le Cameroun.
En quelques années, la contrefaçon est devenue la principale gangrène de l’industrie musicale. D’après la Fédération internationale de l’industrie du disque (IFPI), qui regroupe 1 500 producteurs et distributeurs dans 76 pays, près de 40 % des CD et des cassettes vendus dans le monde en 2001 étaient des copies. En l’absence de structure régionale spécialisée dans la lutte contre la contrefaçon, et face au manque de formation patent des principaux acteurs de cette lutte (douaniers, policiers, magistrats), la piraterie artisanale est rapidement passée au stade industriel. Dans les grandes métropoles africaines, de véritables usines clandestines ont vu le jour. « La majorité des pays a adopté des dispositions législatives prévoyant de lourdes sanctions pénales pour punir ces trafiquants, souligne Émile Glélé. Toutefois, il conviendrait d’organiser une action panafricaine, fondée sur une véritable implication des pouvoirs publics. » Ce qui ressemble fort à un voeu pieux : les frontières sont toujours de véritables passoires et les cargaisons frauduleuses circulent en toute impunité. Le Nigeria, pour l’ouest du continent, et la Tanzanie, pour l’est, sont les deux plus gros pays pourvoyeurs de CD piratés. Mais, de plus en plus, les copies de succès internationaux arrivent directement de Thaïlande ou de Taiwan, les deux pôles du trafic dans le monde.
Face à ce fléau, plus la gestion collective est organisée, plus la lutte contre la copie frauduleuse est efficace. Et inversement. « Le Gabon est l’un des pires exemples que je connaisse en matière de protection des artistes, explique Alain Mouafo, journaliste camerounais spécialisé dans la musique afro-antillaise. La situation est telle qu’il faudrait y interdire la vente ! Les receleurs ne s’embarrassent pas de détails superflus : ils photocopient comme ils peuvent la pochette du CD et revendent la copie, même si les couleurs ne ressemblent pas du tout à l’original ! »
Pour lutter contre ces pratiques, il revient aux bureaux de droits d’auteur de prendre des mesures de protection adaptées. À l’instar de ce que fait l’Office national des droits d’auteur (ONDA) algérien, considéré par les professionnels comme un modèle en Afrique, la plupart des pays apposent un timbre ou une vignette sur chaque nouveau CD produit. Le producteur doit alors s’acquitter d’un droit de reproduction mécanique correspondant au nombre de vignettes achetées. Évidemment, cela ne suffit pas pour mettre totalement fin aux malversations. Tel producteur véreux, parfois avec la complicité de l’auteur, achète au noir des cargaisons de timbres pour n’avoir à payer de droits que sur quelques milliers de CD. Le procédé de l’hologramme infalsifiable, en vigueur en Côte d’Ivoire par exemple, semble alors être la seule solution efficace. Même si, au Sénégal, des petits malins ont déjà réussi à les reproduire…
Enfin, avec la multiplication des cybercafés et le développement rapide des nouvelles technologies, artistes et producteurs africains ont de bonnes raisons de craindre une explosion du pillage « internautique ». D’après l’IFPI, 99 % de la musique disponible sur Internet est illégale, 700 millions de fichiers musicaux auraient été téléchargés dans le monde en 2001. Et c’est encore moins cher qu’une copie…

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