[Tribune] Nigeria : il faut rendre à Buhari ce qui est à Buhari

S’il reste beaucoup à faire au Nigeria, où le président sortant Muhammadu Buhari est candidat à sa propre succession le 16 février, le pays a connu quatre années de réformes qui, même si elles n’ont pas toutes abouti, permettent d’entrevoir d’intéressantes perspectives.

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d’un rassemblement à Lagos, au Nigeria, le 9 février 2019. © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le président nigérian Muhammadu Buhari lors d’un rassemblement à Lagos, au Nigeria, le 9 février 2019. © Sunday Alamba/AP/SIPA

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  • Alioune Ndiaye

    Enseignant à l’École de politique appliquée de l’université de Sherbrooke (Canada)

Publié le 13 février 2019 Lecture : 3 minutes.

Affiches électorales dans une rue d’Abuja, à la veille de la présidentielle du 16 février 2019. © Ben Curtis/AP/SIPA
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Présidentielle au Nigeria : Buhari réélu, Abubakar rejette les résultats

84 millions d’électeurs, 72 candidats. La présidentielle qui se joue samedi 23 février, après avoir été repoussée le 16 février à quelques heures de l’ouverture des bureaux de vote, est à l’image de ce géant de l’Afrique de l’Ouest : colossale. Face à Atiku Abubakar, son principal challenger, Muhammadu Buhari a été réélu président du Nigeria avec 56 % des suffrages.

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Les Nigérians diront, par l’élection présidentielle du 16 février, s’ils choisissent de renouveler leur confiance à Muhammadu Buhari. Ces derniers mois, alors qu’approchait l’échéance, les critiques à l’égard de sa gouvernance se sont multipliées, tout comme les doutes quant à son état de santé et à sa capacité à diriger le pays.

La déception, ont résumé certains, a été aussi forte que l’espoir suscité était grand, en mars 2015. C’est un constat sévère qu’il me paraît important de nuancer, quitte à prendre le contre-pied du discours ambiant.

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>>> À LIRE – Présidentielle au Nigeria : surenchère entre Buhari et Abubakar dans la bataille contre la corruption

Certes, il reste beaucoup à faire. Mais l’on ne peut nier que le Nigeria a connu quatre années de réformes qui, même si elles n’ont pas toutes abouti, permettent d’entrevoir d’intéressantes perspectives. J’irais jusqu’à dire que l’administration Buhari a écrit des pages positives dans l’évolution politique et institutionnelle de ce pays, comme si le vieux général avait vu dans son retour au pouvoir une façon de rattraper l’occasion manquée qu’a été sa courte présidence dans les années 1980.

Un travail contre la corruption engagé

Commençons par la lutte contre la corruption, puisque c’est l’une des questions sur lesquelles le président sortant était le plus attendu. Durant son mandat, différentes mesures ont été mises en œuvre pour une plus grande transparence dans la gestion des fonds publics, comme le Compte de trésor unifié (Treasury Single Account, TSA). Son administration a tenté d’être plus efficiente et d’obtenir plus de résultats tout en mobilisant moins de ressources. Elle a travaillé à accélérer le recouvrement des avoirs volés placés à l’étranger.

Bien sûr, l’idée n’est pas de faire preuve d’un optimisme béat. Le caractère partisan des poursuites judiciaires engagées, souligné aussi bien par l’opposition que par des organismes indépendants, demeure une source d’inquiétude importante. Il faut cependant noter que des personnalités en vue du régime de Buhari n’ont pas été épargnées.

Le Nigeria a réalisé de véritables prouesses sur le plan agricole

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Prendre le virage post-pétrolier

Autre sujet : la diversification de l’économie, un enjeu de première importance aux yeux du président. « Le Nigeria doit agir comme s’il n’avait pas de pétrole », a-t-il dit plusieurs fois. À cet égard, la crise occasionnée par la baisse des cours du brut et, par conséquent, celle des revenus du gouvernement fédéral, a constitué une occasion pour le pays de prendre enfin le virage post-pétrolier qu’il contemplait depuis si longtemps sans s’y lancer faute de volonté politique.

Sous Buhari, le Nigeria a réalisé de véritables prouesses sur le plan agricole, réduisant, par exemple, ses importations en riz de 97 % grâce à la production locale. L’interdiction d’accéder aux devises étrangères pour les importations de 47 produits a permis de stimuler la production locale tout en renflouant les réserves extérieures.

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>>> À LIRE – Nigeria : « Des signaux fragiles de l’émergence économique »

Des efforts contre les inégalités

Au Nigeria, les inégalités verticales produites par un système de prédation des élites viennent s’ajouter aux inégalités horizontales construites sur les griefs portés par certains groupes ethno-régionaux, qui menacent constamment le projet fédéral. C’est pour cela que Muhammadu Buhari a encouragé une gouvernance redistributive à travers la mise en place d’un Programme national d’investissements sociaux (NSIP), permettant de reconstruire le fédéralisme sur la base d’une plus grande justice sociale. Près de 10,5 millions de Nigérians en profitent aujourd’hui, mais, là encore, des efforts considérables restent à faire, notamment pour que le pays puisse faire face aux menaces sécuritaires qui persistent dans ses extrémités nord et sud, et de plus en plus dans sa région centre.

Le pays ne pourra pas rester longtemps en retrait

Enfin, ces quatre dernières années, la dynamique du redressement a fortement orienté la diplomatie nigériane. Sans doute est-ce pour cela que le pays n’a pas toujours répondu aux attentes liées à son poids et à son histoire. Ainsi, le Nigeria a « suspendu » sa signature du traité de Zone de libre-échange continentale (Zlec). Une telle attitude même si Abuja n’a cessé d’affirmer son caractère temporaire – s’explique par le défi que pose la Zlec vis-à-vis de l’agenda économique national, fait de substitution des importations et de protection des industries locales. Cependant, le pays ne pourra pas rester longtemps en retrait, et son implication ponctuelle dans la résolution de telle ou telle crise dans la sous-région ne suffira pas à compenser l’accueil froid qu’il réserve aux processus d’intégration monétaire et commerciale.

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