Mourir pour les idées des autres

Slimane Benaïssa s’est glissé dans la peau d’un terroriste afin de mieux démonter le processus d’embrigadement. Édifiant.

Publié le 25 août 2003 Lecture : 2 minutes.

Un sujet en or. Après le 11 septembre, quel écrivain n’a pas rêvé de se glisser dans la peau d’un des pirates de l’air qui stupéfièrent le monde pour raconter de l’intérieur ce qui a pu amener des jeunes hommes sans histoires, en apparence bien intégrés en Occident, à ressusciter le fanatisme aveugle des haschischins du Vieux de la Montagne ? Beaucoup en ont rêvé, Slimane Benaïssa l’a fait.
Le narrateur s’appelle Raouf, c’est un jeune Américain d’origine libano-égyptienne qui semble promis à une belle carrière dans l’informatique, du côté de la Silicon Valley. Un choc émotionnel la mort du père -, une rencontre fortuite – Athmane, un dévot palestinien assez péremptoire – et le mécanisme s’enclenche. Trimballé de prônes en sermons, de prières dans les bois en virées dans les boîtes (pour mieux tromper l’ennemi), Raouf finit par se retrouver kamikaze en kamis. Entretemps, il a quitté, l’imbécile, sa douce petite amie et fait un gros chagrin à sa maman.
Raouf montera-t-il dans l’avion ? Dans la belle machinerie imaginée par ceux qui le manipulent – et qui resteront à terre, bien entendu – se glissent quelques grains de sable. D’abord, il ne supporte pas qu’il lui faille prendre des cachets, c’est-à-dire se droguer, au moment d’embarquer : tant qu’à aller au martyre, ne faut-il pas y aller lucidement ? Un acte sous influence est-il encore un acte voulu librement et qui lui gagnera le Paradis ? Et puis, il y a autre chose. Le questionnement, l’antipode du fanatisme, l’a pris et il ne peut s’en défaire : « Si Dieu peut nous envoyer à la mort pour venger la Oumma musulmane plongée dans la misère, si la foi peut nous convaincre de mourir, pourquoi ne nous convainc-t-elle pas de supporter la misère ? Et si certains disent que la misère est notre responsabilité ici-bas, pourquoi se battre pour aller dans l’au-delà afin de résoudre des problèmes d’ici-bas ? Et si les problèmes des musulmans sont des problèmes d’ici-bas dus à leurs erreurs, pourquoi mêler Dieu à tout cela ? » Excellentes questions, jeune homme, et surtout prenez bien le temps d’y réfléchir – dix ans, vingt ans… mais qui ne font pas du tout l’affaire des Ben Laden de tout poil.
Le décorticage de la logique intégriste tendance boum est impressionnant. Tout de même, un bon travail d’éditeur aurait permis d’élaguer çà et là dans un texte parfois touffu. Les longues citations du Coran et de la Sunna, si nécessaires qu’elles puissent être pour montrer comment fonctionne l’embrigadement, finissent par donner au livre l’apparence d’un manuel du parfait petit fou de Dieu. Le contraire de ce que voulait l’auteur, on suppose… Le dernier chapitre, la lettre de la mère à son fils pirate de l’air, montre comment l’émotion pure, dépouillée de l’appareil critique et des notes de bas de page, passe infiniment mieux.

La Dernière Nuit d’un damné, Slimane Benaïssa, Plon, 274 pp., 18 euros.

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