[Édito] « Nous sommes tous vénézuéliens »

Le bras de fer qui se joue entre Maduro et Guaidó passionne, autant qu’il déroute, les opinions publiques africaines. Avec, au centre, un jeu de miroir entre les continents sur la question centrale de la légitimité des dirigeants politiques.

Des Vénézuéliens se massent devant le bureau de l’émigration, à la frontière avec la Colombie, le 8 février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

Des Vénézuéliens se massent devant le bureau de l’émigration, à la frontière avec la Colombie, le 8 février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

FRANCOIS-SOUDAN_2024

Publié le 10 février 2019 Lecture : 5 minutes.

« Todos somos venezolanos ». « Nous sommes tous vénézuéliens ». Il suffit de naviguer dans l’entrelacs des réseaux sociaux pour se rendre compte à quel point la profonde crise que connaît le Venezuela depuis le début de 2019 passionne et déroute à la fois les Africains politisés et mondialisés.

Elle passionne parce que les ingrédients du cocktail détonant réunis ces dernières semaines au pays de Bolivar – élections contestées, mobilisation de l’opposition, régime aux abois, ingérences étrangères – sont familiers de ce côté-ci de l’Atlantique.

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Elle déroute parce que les réponses aux questions que soulève le bras de fer entre Nicolás Maduro et Juan Guaidó sont tout sauf évidentes.

L’Afrique du Sud et le Maroc, seuls à prendre position

Pour l’instant, seuls deux pays africains se sont clairement positionnés dans cette bataille de légitimité : l’Afrique du Sud en faveur de Maduro, pour des raisons de solidarité militante entre l’ANC au pouvoir et la « révolution bolivarienne », et le Maroc en faveur de Guaidó, qui aurait promis de reconsidérer la position pro-Polisario de son pays à propos du Sahara occidental.

>>> A LIRE – Venezuela : Maroc, Algérie, Turquie… comment les pays arabo-musulmans se positionnent dans la crise

Tous les autres, y compris l’Algérie, dont la proximité avec le régime chaviste est pourtant historique, se cantonnent jusqu’ici dans un prudent silence.

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Aucun n’a, en revanche, reconnu – à l’instar de ce qu’ont fait les États-Unis, la majorité des pays de l’Union européenne et d’Amérique latine, Israël et l’Australie – le leader de l’opposition vénézuélienne comme président légitime.

Choix cornélien

Nicolas Maduro, président du Venezuela, brandissant la Constitution lors d'une conférence de presse, le 8 février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

Nicolas Maduro, président du Venezuela, brandissant la Constitution lors d'une conférence de presse, le 8 février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

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Pour l’opinion africaine, le choix est cornélien. Faut-il défendre un gouvernement « progressiste » que quatre administrations américaines successives ont systématiquement cherché à déstabiliser depuis l’arrivée au pouvoir (à la suite d’une élection démocratique) de son géniteur aujourd’hui décédé, Hugo Chávez, il y a deux décennies ?

Ou faut-il soutenir un opposant de 35 ans, capable de mobiliser des centaines de milliers de Vénézuéliens dans toutes les villes du pays sur fond de faillite économique, d’inflation à quatre chiffres et d’exode des classes moyennes ?

Maduro, l’ex-syndicaliste communiste, fils d’un juif séfarade, bras droit de Chávez, admirateur de Castro, d’Assad et de Kadhafi, ou Guaidó, le jeune ingénieur d’origine modeste au physique de gendre idéal, ancien leader étudiant, député et président d’une Assemblée nationale que l’actuel pouvoir ne reconnaît plus et classé libéral sur l’échiquier politique ?

Comment prendre fait et cause pour le premier sans se faire accuser de cautionner une protodictature et comment applaudir au second sans faire le jeu d’un président américain qui n’hésite pas, en toute irresponsabilité, à agiter la menace d’une intervention militaire ?

Transition démocratique ou coup d’Etat ?

Juan Guaido, qui s'est autoproclamé président du Venezuela, le 8 février 2019 à Caracas. © Ariana Cubillos/AP/SIPA

Juan Guaido, qui s'est autoproclamé président du Venezuela, le 8 février 2019 à Caracas. © Ariana Cubillos/AP/SIPA

Qui est légitime et qui ne l’est pas (ou plus) entre un président proclamé et un président autoproclamé ?

Pour avoir cité en exemple les manifestations en faveur de Juan Guaidó, le Congolais Martin Fayulu, qui revendique toujours sa victoire à la présidentielle et rêve de voir ses partisans inonder, comme à Caracas, les avenues de Kinshasa, s’est fait sèchement recadrer par la nébuleuse souverainiste panafricaine et anti-impérialiste, très active sur la Toile africaine.

L’affaire est d’autant plus complexe qu’à ce dilemme s’en ajoute un autre. Qui est légitime et qui ne l’est pas (ou plus) entre un président proclamé (Maduro) et un président autoproclamé (Guaidó) ?

En d’autres termes : la quarantaine de pays qui, à la suite des États-Unis, ont déjà reconnu le second comme président par intérim ont-ils accompagné une transition démocratique ou encouragé un coup d’État ?

Or la légitimité est un concept à la fois objectif et subjectif. Certes, on est légitime parce qu’on a été élu et on le demeure jusqu’à l’expiration de son mandat, quel que soit son degré de popularité – ou d’impopularité.

Label de légitimité sujet à caution

Rassemblement de partisans de Juan Guaido , le 2 février 2019 à Caracas. © Elyxandro CEGARRA/SIPA

Rassemblement de partisans de Juan Guaido , le 2 février 2019 à Caracas. © Elyxandro CEGARRA/SIPA

Mais la légitimité est aussi une affaire de perception : si le peuple vous rejette massivement et que la communauté internationale annonce qu’elle ne vous reconnaît plus – les deux phénomènes se renforçant l’un l’autre –, il est très difficile de se maintenir au pouvoir.

Dans le cas d’espèce, le label de légitimité que revendiquent les deux protagonistes vénézuéliens est sujet à caution.

Élu en 2013, Maduro a été mal réélu en 2018. Il n’est certes pas le seul dans ce cas : on a connu les États-Unis et les pays européens beaucoup moins regardants ailleurs, le dernier exemple en date étant celui de la RD Congo. Mais une élection mal acquise fournit toujours une base pour un procès en illégitimité.

Quant à Juan Guaidó, les fondements légaux de son autoproclamation sont tout aussi contestables, puisqu’il estime que la réélection « usurpée » de son adversaire a rendu vacante une fonction présidentielle qu’en tant que chef de l’Assemblée il est en droit d’occuper. Son objectif désormais est de faire basculer l’armée en sa faveur – avec le risque de tirer les marrons du feu au profit des militaires, comme les insurgés égyptiens de 2011.

« Marée humaine » des pro-Guaidó face au « peuple chaviste »

Manifestation pro-Maduro, à Caracas, le 2 février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

Manifestation pro-Maduro, à Caracas, le 2 février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

Méfions-nous de l’effet souvent déformant suscité par les médias

Si l’on écarte l’hypothèse (heureusement peu probable) d’une intervention armée directe des États-Unis, qui aurait pour effet certain d’ôter toute légitimité au nouveau gouvernement vénézuélien, c’est donc au peuple que revient la décision.

Méfions-nous de l’effet souvent déformant suscité par les médias : l’addition des images de réfugiés économiques fuyant le pays et des statistiques désastreuses en matière de santé et de sécurité alimentaire ne signifie pas que les 32 millions de Vénézuéliens soient résolus à destituer Nicolás Maduro.

La « marée humaine » des pro-Guaidó qui a déferlé le 2 février dans les rues de Caracas était certes impressionnante, mais 300 000 manifestants, c’est à peine 1 % de la population.

Le même jour, avenue Simon-Bolivar, le « peuple chaviste » en chemise rouge venu des quartiers pauvres était sans doute moins nombreux autour de son caudillo à moustache, mais tout aussi déterminé.

Un portrait d'Hugo Chavez, dans le salon d'un famille de Caracas, en février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

Un portrait d'Hugo Chavez, dans le salon d'un famille de Caracas, en février 2019. © Rodrigo Abd/AP/SIPA

Le Venezuela est l’exemple même de ce qu’il ne faut souhaiter à aucune nation. Un désastre !

Ce qui, inexorablement, finira par faire pencher la balance en défaveur de Nicolás Maduro, c’est bien l’état économique et social d’un pays rendu exsangue par la faute de ses dirigeants, certes, mais aussi de ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, auront tout fait pour qu’ils échouent.

Dans une formidable interview accordée à Jeune Afrique peu de temps après son accession au pouvoir (JA no 2079), Hugo Chávez dressait en ces termes l’état du pays dont il venait d’hériter : « Le Venezuela est l’exemple même de ce qu’il ne faut souhaiter à aucune nation. Un désastre ! Tous les diables de l’économie ont été lâchés sur ce pays. » Six ans après sa mort, hélas, le constat est le même.

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